.
 

Thalassémie alpha chez un Vietnamien : cas clinique.

 

Observation 

 

Un homme jeune, âgé de 23 ans, de nationalité vietnamienne, migrant, récemment arrivé en France, est adressé à la consultation de Médecine Interne pour l’exploration d’une polyglobulie découverte lors d’un examen systématique. Il est en bon état général. L’examen de l’abdomen met en évidence une splénomégalie stade 1 de l’OMS. Il n’y a ni hépatomégalie, ni adénopathie. Le reste de l’examen est normal.

 

Examens paracliniques :

NFS faite à titre externe : globules rouges : 6.740 000/mm3, taux d’Hb : 12,4g/dl, Ht : 42,6%, VGM: 63,2 µ3, CCMH : 28,8 g/dl, TCMH : 18,3 pg ; globules blancs : 8.900/mm3, polynucléaires neutrophiles : 72%, lymphocytes : 26% ; plaquettes : 356 000/mm3

Le bilan est complété par :

Taux des réticulocytes : 256 000/mm3

Bilirubinémie totale : 28 µmol/l, dont 22 µmol/l de bilirubile libre

Fer sérique : 29 µmol/l, férritine : 200 µg/l 

Test de Coombs négatif

Dosage des G6 PD : normal

 

Quel est votre diagnostic ?

Quel examen complémentaire est indispensable pour confirmer le diagnostic ?

Quels sont les principales caractéristiques des différentes formes de cette maladie ?

Quel en est le traitement ?

Quelle en est la prévention ?

 

Discussion 

 

Il s’agit d’une pseudopolyglobulie et non d’une polyglobulie vraie, l’hématocrite étant inférieur à 50%.  Cette pseudopolyglobulie est hypochrome et microcytaire (diminution de la CCMH, de la TCMH et du VGM).

Elle est associée à une hémolyse chronique (augmentation de la bilirubine libre, des réticulocytes, du fer sérique, de la ferritine). La splénomégalie est rattachée à l’hémolyse chronique.

Comte tenu des origines de ce jeune homme, une hémoglobinopathie est évoquée. Il est demandé une électrophorèse de l’hémoglobine qui montre un taux d’hémoglobine A à 84,9%, d’Hb A2 à 1,1% et d’Hb H à 14%. Il s’agit donc d’une hémoglobinose H, forme clinique de l’a-thalassémie.

Les hémoglobinoses sont des maladies patentes ou latentes dans lesquelles il existe une anomalie héréditaire de l’hémoglobine. Il existe deux groupes d’hémoglobinoses :

- les hémoglobinopathies dues à une anomalie structurale de certaines chaînes polypeptidiques de la globine,

- les thalassémies dues à une inhibition de la synthèse de certaines chaînes polypeptidiques de la globine (tableau I).

On rappelle que la molécule d’hémoglobine est un tétramère constituée de 4 chaînes identiques deux à deux. L’Hb A est composée de deux chaînes alpha et de deux chaînes béta, elle représente la  quasi-totalité de l’hémoglobine adulte (95,5 à 97%), avec 2 à 3,5% d’hémoglobine A2 et 1% d’hémoglobine F. Quant à l’hémoglobine H, elle n’existe pas chez le sujet normal (ainsi que l’hémoglobine Bart’s).

L’a-thalassémie est une maladie de l’Asie du sud-est, de l’Afrique, du bassion méditerranéen. Elle est due à un défaut d’origine congénital de la synthèse des chaînes alpha de l’hémoglobine. Les gènes qui en sont responsables sont au nombre de 4. Il y a donc 4 formes d’a-thalassémies correspondant à la délétion de 1 à 4 gènes.

- L’a-thalassémie 1 correspond à la délation de 2 gènes alpha. L’ a°-thalassémie hétérozygote (--/aa) est due à un défaut de 2 gènes alpha en cis sur le même chromosome : c’est une maladie d’Asie et du pourtour méditerranéen ; l’a+-thalassémie homozygote (-a/-a) est due à un défaut de 2 gènes a en trans sur chaque chromosome : c’est une maladie du Noir africain ou antillais. Elle est cliniquement silencieuse et est évoquée devant une pseudopolyglobulie microcytaire. Le diagnostic ne peut être porté avec certitude qu’à la naissance : le sang du nouveau-né contient 5 à 10% d’Hb Bart’s.(g 4)

- L’a2-thalassémie (-a/aa) est totalement asymptomatique sur le plan clinique et hématologique chez l’adulte. Le diagnostic peut être fait à la naissance en présence d’un taux d’Hb Bart’s de 1 à 2%.

- L’anasarque foeto-placentaire est du à la délation des 4 gènes (--/--). Elle est mortelle. Il n’y a ni Hb F, ni Hb A, remplacée par de l’Hb Bart’s et de l’Hb H.

- L’hémoglobinose H est liée à la délation de 3 gènes (--/-a). Elle existe en Asie et en Méditérranée.  Elle n’existe ni en Afrique, ni en Amérique chez les Noirs. Elle est d’expression clinique très variable :

     -  soit pratiquement asymptomatique,

     -  soit cause d’une anémie hémolytique chronique, modérée ( pâleur, ictère, hépatosplénomagélie, modifications squelettiques mineures),

     - soit cause d’une anémie hémolytique sévére, microcytaire, hypochrome ( taux d’Hb : 6 à 10 g/dl), avec présence de corps de Heinz (hématies ponctuées de petits précipités en «mottes»). Cette forme est une thalassémie intermédiaire, nécessitant des transfusions répétées. Des anomalies morphologiques faciales et squelettiques peuvent être mises en évidence.  L’évolution de la maladie H peut se marquer par des crises de déglobulisation survenant au cours d’infections, de grossesses, de prises de médicaments.

Le pourcentage d’Hb H (b4) est entre 1 et 30%. L’Hémoglobine H se décèle facilement sur les méthodes habituelles d’électrophorèse par sa mobilité particulière qui la situe nettement en avant de la fraction A.

L’examen des parents, quand il est réalisable, montre chez l’un d’entre eux des anomalies hématologiques évocatrices d’une a1-thalassémie alors que l’autre apparemment normal est porteur d’une a2-thalassémie. Il s’agit donc d’un double hétérozygotisme a1-thalassémie, a2-thalassémie. 

Un bilan hématologique doit être pratiqué chez les migrants rendant possible la découverte d’hémoglobinopathies ou d'enzymopathies, en particulier chez les migrants d’Asie du sud-est : hémoglobinurie E, a-thalassémies, hémoglobinose H, hémoglobinose Constant-Spring. ou déficit en G6PD.

Le traitement de l’hémoglobinose H est symptomatique.

La prévention s’adresse essentiellement aux couples de personnes atteintes d’une a1-thalassémie  mineure, afin d’interrompre une grossesse devant se compliquer inéluctablement d’une anasarque foeto-placentaire, qui correspond à un homozygotisme a1-thalassémie.

Le malade, originaire du Vietnam présente une forme cliniquement asymptomatique d’Hémoglobinose H, révélée par une NFS systématique.

 

 

Références 

 

De Montalembert M. Syndromes thalassémiques. Encycl. Med. Chir., Hématologie, 13-006-D-17, 2002, 8 p.

 

 

Iconographie 

 

Electrophorèse de l’hémoglobine

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 07/06/2004.

 

 

Tableau I- Principaux caractères des différentes formes de thalassémies

 

 

Variétés

 

 

Caractères bio-cliniques

 

Caractères hémoglobiniques

 

b-thalassémies

 

   Forme homozygote (Thalassémie

      majeure, maladie de Cooley)

 

   Forme hétérozygote

 

  

   Forme intermédiaire

 

 

 

 

Anémie hémolytique sévère

 

 

Cliniquement asymptomatique

Pseudopolyglobulie

 

Anémie hémolytique atténuée

 

 

 

Pourcentage élevé d’Hb F et d’Hb A2 ; absence (b°Thal) ou présence (b+Thal) d’Hb A

 

Augmentation de l’Hb A2

 

 

Augmentation de l’Hb F et de l’Hb A2 ; présence d’Hb A

 

 

a-thalassémies

 

     a1-thalassémie

 

   

     a2-thalassémie

 

 

    Hémoglobinose H

 

     Anasarque foeto-placentaire

 

 

    a-thalassémie Hb Constant-Spring

 

 

 

 

Cliniquement asymptomatique

Pseudopolyglobulie

 

Cliniquement et hématologiquement asymptomatique

 

Thalassémie intermédiaire

 

Anémie hémolytique néo-natale gravissime

 

Thalassémie intermédiaire

 

 

 

Néant, sauf 5% Hb Bart’s à la naissance

 

 

Néant, sauf 1 à 2% d’Hb Bart’s à la naissance

 

Hb A + Hb H (b4) 1 à 30%

 

Hb Bart’s (g4)

 

 

Hb A + Hb H + Hb Constant-Spring

 

 db-thalassémies

 

     Forme homozygote

 

     Double hétérozygotisme b-db

 

    

     Forme hétérozygote

 

 

 

 

Thalassémie intermédiaire

 

Thalassémie intermédiaire

 

 

Cliniquement asymptomatique

Pseudo polyglobulie

 

 

 

 

100% d’Hg F ; ni Hb A, ni A2

 

Pourcentage élevé d’Hb F ;

taux bas d'Hb A et d’Hb A2

 

5 à 20% d’Hb F ;  taux bas d’Hb A2

 

Thalassémie à Hb Lepore

 

     Forme homozygote

 

   

    Double hétérozygotisme

      b-thalassémie + Hb Lepore

 

     Forme hétérozygote

 

 

 

Anémie hémolytique sévère

 

 

Anémie hémolytique sévère

 

 

Pseudo polyglobulie

 

 

 

Hb F 70% + Hb Lepore 30% ; ni d’Hb A, ni d’Hb A2

 

Hb F+ Hb A (15%)+ Hb A2(1%) + Hb Lepore (84%)

 

 

Hb A + 5 à 15% d’Hb Lepore, Hb A2 diminuée

 

Formes associées à des hémoglobinopathies

 

   Thalasso-drépanocytose

 Sb°

 

            Sb+

     

  

   b-Thalassémie + Hb E

 

 

 

 

Anémie hémolytique sévère

 

 

 

 

 

Anémie hémolytique sévère

 

 

 

 

 

Hb S (80-90%) + Hb F (5-15%) + Hb A2 (4 -6%)

Hb S (55-90%) + Hb F (5-15%) + Hb A2 (4-6%), + Hb A (1-25%)

 

Hb E (65%) + Hb F 35%)