Amibiase
pleuropulmonaire ; cas clinique.
Observation
Un
jeune gabonais, lycéen, âgé de 17 ans, est hospitalisé au CHU de Libreville,
pour une fièvre à 38°C, évoluant depuis un mois, associée à une toux et à une
expectoration jaunâtre striée de sang. Il a été traité par b-lactamines sans
amélioration.
Dans
les antécédents récents, on note deux épisodes de diarrhée glairo-sanglante,
sans fièvre, lors de vacances scolaires dans un village à l’intérieur du pays,
non traités.
A
l’entrée dans le service, on est en présence d’un sujet asthénique, amaigri,
présentant une douleur hémithoracique gauche avec diminution du murmure
vésiculaire à l’auscultation.
Examens
paracliniques à l’entrée:
VSH :
76 mm à la première heure.
NFS :
globules rouges : 4 150 000/mm3, Hb : 13,5 g/dl, VGM : 88
µ3 ; globules blancs : 22 600/mm3, polynucléaires neutrophiles :
72%, éosinophiles : 22%, lymphocytes : 6%.
Radiographie
pulmonaire de face et de profil : opacité ovalaire gauche reposant sur la
coupole diaphragmatique, présentant à son tiers supéro-interne un niveau
hydroaérique.
Examen
parasitologique des selles : oeufs d’ankylostomes et de trichocéphales.
Le diagnostic d’abcès du poumon gauche est porté et le
malade mis sous antibiotiques (céfotaxime [CLAFORANâ] + amikacine [AMIKLINâ]).
L’évolution est marquée, deux jours après l’admission, par l’apparition brutale
d’une hyperthermie à 40,2°C, avec une toux incessante. L’examen met en évidence
une matité de tout l’hémithorax gauche.
Examens
paraclniques demandés :
Radiographie
pulmonaire de contrôle : opacité homogène de toute la plage pulmonaire
gauche,
Echographie
abdominale : absence de signe d’abcédation hépatique ou splénique.
Ponction
pleurale exploratrice : liquide purulent de couleur chocolat
Quel
est votre diagnostic ?
Quels
examens complémentaires demandez-vous pour confirmer ce diagnostic ?
Quels
traitements allez-vous prescrire ?
Quelle
évolution est attendue ?
Discussion
Il
s’agit d’un abcès du poumon rompu dans la grande cavité pleurale gauche.
L’aspect chocolat du liquide de ponction pleurale attire l’attention et évoque
une amibiase pleuro-pulmonaire chez ce jeune malade ayant des antécédents
récents de diarrhée glairo-sanglante non traités.
Le
diagnostic d’amibiase va être confirmé par la mise en évidence de formes
hématophages d’ Entamoeba histolytica
dans le pus retiré par ponction pleurale et par la sérologie de l’amibiase
(IFI : 1/800, ELISA : 1/1600).
Il
s’agit d’une amibiase pleuro-pulmonaire gauche apparemment isolée.
Classiquement, l’amibiase pleuro-pulmonaire est secondaire à une localisation
hépatique, le passage intrathoracique s’effectuant par voie transphrénique (par
diffusion ou par effraction). L’absence de foyer hépatique (ou splénique) à
l’échographie abdominale, la localisation thoracique gauche font évoquer soit
une transmission hématophage (passage direct des amibes du colon dans la veine cave inférieure, puis
dans l’artère pulmonaire), soit une migration par contiguïté à partir d’un
foyer splénique passé inaperçu.
Les
manifestations pleuro-pulmonaires de l’amibiase réalisent soit des
pneumopathies abcédées ou non, soit des pleurésies purulentes, soit des
fistules hépato-bronchiques. Elles siégent le plus souvent à droite et sont
secondaires à un abcès amibien du foie. Les manifestations pleuro-pulmonaires
isolées sont exceptionnelles. Cependant, en zone d’endémie amibienne,
l’amibiase pleuro-pulmonaire doit être systématiquement évoquée et confirmée
par la sérologie, voir par la mise en évidence des amibes par examen
parasitologique direct ou par immunofluorescence directe dans le pus recueilli
par ponction. En pratique, la mise en évidence d’amibes hématophages dans le
liquide pleural est rare, moins de 10% des cas. La sérologie est donc un apport
majeur au diagnostic : elle doit utiliser au moins deux techniques, ELISA
ou HIA et IFI.
Les
grands principes du traitement de l’amibiase pleuro-pulmonaire sont identiques
à ceux de l’amibiase hépatique :
-
traitement médical par un amoebicide diffusible, en pratique métronidazole
(FLAGYLâ)
per os ou injectable selon l’état clinique du malade, à la dose de 1,50 à 2 g/j
chez l’adulte,
-
évacuation de l’épanchement pleural par drainage chirurgical d’emblée en cas de
pyothorax.
Dans
l’observation présente, le traitement a associé le FLAGYLâ injectable :
1,50 g/j pendant 10 jours, avec prise concomitante pendant 15 jours d’un
ameobicide de contact (INTETRIXâ), et un drainage pleural. L’apyrexie s’est installée au 4
éme jour. Cependant, la persistance à la troisième semaine d’un
épanchement pleural cloisonné et d’un foyer de pneumopathie abcédé de la base
gauche a fait poser l’indication, en l’absence de scanner thoracique, de tomographies et de bronchographies
lipiodolées homo et controlatérales. Celles-ci ont montré que l’abcès de la
base gauche communiquait avec la cavité
pleurale. Une thoracotomie a été pratiquée. Elle a mis en évidence une nécrose
du lobe inférieur gauche du poumon et une pachypleurite. Une lobectomie
inférieure gauche et une décortication ont été effectuées. Le malade est décédé
48 heures après l’intervention d’un hémithorax compressif avec poumon de choc
controlatéral.
L’hyperéosinophilie
sanguine doit être rattachée aux helminthiases associées (ankylostomose,
trichocéphalose)
Références
Aubry
P., Touze J.E. Amibiase pleuro-pulmonaire. Cas cliniques en Médecine Tropicale.
La Duraulié édit., mars 1990, pp. 30-31.
Aubry P. Amibiase. Encycl. Méd. Chir.,
Thérapeutique., 25-062-A-10, 1994, 10 p.
Mbaye
P.S., Koffi N., Camara P., Burgel P.R., Hovette P., Klotz F. Manifestations
pleuropulmonaires de l’amibiase. Rev. Pneumo. Clin., 1998, 54, 346-352.
Hugard
L., Dubroux Ph., Massouve P.L., Thefenne H., Coué J.C. Amibiase
pleuro-pulmonaire : un diagnostic en attente. Bull. Soc. Patf. Exot., 2005, 98,
89-90.
Professeur Pierre Aubry. Texte revu le 20/07/2005.