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Cas clinique : Bejel chez un enfant touareg de 7 ans

Cas clinique : Bejel chez un enfant touareg de 7 ans.

 

Observation

 

Il s'agit d'un enfant touareg, vivant avec sa famille dans le désert de l'Aïr, amené par son grand père à la consultation d'une formation médicale d'une compagnie minière du Niger le 31 janvier 2009, pour des lésions au niveau de la bouche apparues depuis quelque temps. Il n'est pas possible de faire préciser la date du début des lésions, même de manière approximative.

L'examen clinique met en évidence des plaques muqueuses au niveau de la bouche, bien visibles au niveau de la langue (figures 1 et 2), sous forme d'éléments plus ou moins ovalaires, végétant, indurés.

L'examen clinique est par ailleurs normal : il n'y a pas d'autre lésion muqueuse, en particulier périnéale, de lésion cutanée, d'adénopathie périphérique palpable.

On remarque au cours de la consultation que le grand père présente des lésions au niveau des paumes des mains (figure 3). L’examen clinique révèle aussi des lésions balaniques sous forme de petites formations tumorales d’une taille de 2 à 3 mm sans autre atteinte (exulcération), scrotale notamment. Il signale de plus que des enfants et des adultes de l'entourage ont des lésions cutanées et/ou muqueuses de la bouche, des membres et des organes génitaux externes. Une anamnèse plus précise permet d’évoquer des lésions palmo-plantaires diffuses chez d’autres enfants.

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Aucun examen paraclinique ne peut être effectué sur place.

 

Quel est votre diagnostic?

Quels sont les signes cliniques qui vous permettent de porter ce diagnostic?

Quel est l’examen paraclinique utile au diagnostic?

Quel est le traitement?

Quelle en est la prévention?

 

Discussion

 

Il s'agit à l'évidence d'un bejel, tréponématose dite non vénérienne, due à une bactérie spiralée, Treponema pallidum spp endemicum.  Le béjel ou syphilis endémique est  avec le pian ou yaws ou framboesia, du à T. pallidum spp pertenue et la pinta ou carate ou mal del pinto due à T. carateum, l'une des trois tréponématoses non vénériennes, à séparer de la syphilis vénérienne due à T. pallidum spp pallidum.

Le bejel est, en effet, transmis de manière directe par contacts rapprochés, entre les enfants, parfois entre les enfants et les parents, dans un contexte de promiscuité et d'hygiène précaire, plus rarement de manière indirecte par des objets souillés, en particulier les récipients pour boire. Le bejel est observé dans le Sahel et au Moyen-Orient, plus rarement en Inde et en Europe centrale.

 

Les signes cliniques qui permettent de porter le diagnostic de bejel sont, dans notre observation, les plaques muqueuses indurées siégeant au niveau de la bouche, en particulier les plaques linguales. Il n'est pas mis en évidence de stomatite angulaire ou pseudo-perlèche. Il n'y a pas ici de lésions génitales et/ou anales, ni de lésions cutanées circinées qu'il faut rechercher dans les régions humides du corps. Ces lésions sont rares. Les lésions des paumes des mains observées chez le grand-père de l'enfant évoquent la dyschromie pintoïde, qui n'est pas spécifique de la pinta, mais est aussi observée dans le pian et le bejel au stade tertiaire.

 

Le diagnostic de béjel est basé sur la conjonction d'un contexte épidémique (ici Sahel et maladie familiale), d'une symptomatologie évocatrice (ici plaques linguales) et la sérologie tréponémique. La sérologie n'a pas pu être pratiquée. Elle repose sur la réalisation du test VDRL utilisant un antigène cardiolipidique ubiquitaire, donc peu spécifique et sur le TPHA qui utilise un antigène tréponémique donc plus spécifique. La sérologie tréponémique est interprétée en fonction de l'âge et de l'origine urbaine ou rurale du malade.

 

 

    Age

          > 5 ans

      > 20 ans

       > 40 ans

 

Taux sérologiques

  VDRL

 

  TPHA

           Elevé

         

              +

        Elevé

        

          +

       Négatif

          

            +

 

Interprétation selon l’origine

  Urbaine

 

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  Rurale

 

Syphilis congénitale     tardive

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Béjel  ou Pian l

 

  Syphilis vénérienne

   - syphilis récente

   - syphilis latente

 

Séquelles sérologiques

de pian ou de béjel

 

Le traitement repose sur la benzathine benzylpénicilline (Extencilline®) est l'antibiotique de référence recommandé par l'OMS. Il assure une pénicillinémie efficace et très prolongée en une administration unique. Il est prescrit par voie intra-musculaire en une seule injection à la dose de 2,4 MU chez l'adulte, 1,2 MU chez l'enfant de plus de 10 ans, 0,6 MU chez l'enfant de moins de 10 ans. Il faut traiter tous les malades, tous les membres de la famille et tous les contacts, en particulier s'il s'agit de populations nomades. Dans le cas présenté, plus d’une dizaine de patients ont consulté au mois de janvier 2009 avec le même type de symptomatologie, confirmant ainsi les données épidémiologiques d’endémicité focale. Les quelques rares patients revus présentaient une évolution favorable après traitement par pénicilline retard.

 

Les campagnes de traitement de masse par pénicilline des années 1950-1960 avaient contribué à une réduction, puis à une stabilisation de la prévalence du béjel et du pian en Afrique. Des résurgences sont apparues durant les années 1980-2000, dues au manque de suivi, à l'absence de nouvelle campagne de masse, à la dégradation des conditions d'hygiène (crise économique, conflits). Il n'y a pas de preuve de l'implication de l'épidémie de sida.

La prévention consiste donc à reprendre les campagnes de masse en traitant la totalité du réservoir si la prévalence est supérieure à 10%, c'est à dire en pratique toute la population, la pénicilline étant prescrite à la même posologie que pour le traitement.

 

Référence

 

Morand J.J., Simon F., Garnotel E., Mahé A., Clity E., Morlain B. Panorama des tréponématoses endémiques. Med. Trop., 2006, 66, 15-20 (50 références, 15 figures).

 

Docteur Gilles Chaumentin, Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 12/02/2009