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  Ulcére de Buruli chez un ivoirien : cas clinique

Ulcère de Buruli  chez un ivoirien : cas clinique

 

Observation 

Un jeune homme de 18 ans, Ivoirien, consulte au Centre de Santé d’Adozpe pour une ulcération de la face externe de la cuisse droite, indolore, à fond gris-jaunâtre, à bords décollés, sous-minés, entourée d’une zone hyperchromique correspondant à la zone décollée.

L’interrogatoire du sujet apprend que la maladie a débuté par un «abcès» de la cuisse. Malgré plusieurs traitements par voie locale, l’évolution s’est faite vers une ulcération.

Le reste de l’examen clinique est sans anomalie. Le malade est apyrétique.

Des prélèvements sont effectués en périphérie de la lésion pour examen direct.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens complémentaires demandez-vous pour affirmer votre diagnostic ?

Quelle est l’évolution de cette affection ?

Quel traitement proposez-vous ?

Quelle est la prophylaxie de cette maladie ?

 

Discussion

Devant cette lésion ulcéreuse, à bords décollés, indolore, précédée d’un stade pré-ulcératif à type de nodule (décrit ici comme un abcès), vu la fréquence actuelle de la maladie en Côte d’Ivoire, le diagnostic à évoquer en premier est l’Ulcère de Buruli, infection cutanée à Mycobacterium ulcerans.

Beaucoup d’autres étiologies peuvent être discutées. Le tableau ci-dessous donne une liste des principaux ulcères tropicaux :

 

 

Ulcère bactérien

 

Mycobactérioses : Ulcère de Buruli , Lèpre, Tuberculose

Tréponématoses non vénériennes : Pian, Bejel, Syphilis (gommes)

Charbon

Ecthyma

Ulcère phagédénique

Noma

 

 

Ulcère parasitaire

 

Leishmaniose cutanée

Trypanosomiase humaine africaine (trypanome)

Amibiase cutanée

 

 

Ulcère mycosique

 

Histoplasmose africaine

Sprotrichose

Chromomycose

 

 

Ulcère viral

 

Infection à VIH/SIDA : herpès

 

 

Autres

 

Hémoglobinopathies : maladie drépanocytaire

Malnutrition protéino-énergétique : kwashiorkor

Diabète sucré

Ulcère trophique d’origine vasculaire (artérielle ou veineuse)

 

 

Toutes ces étiologies sont rapidement réfutées. Ainsi, par exemple, le diagnostic d’ulcère phagédénique, cause très fréquente des ulcères chroniques en zone tropicale, est éliminé : sa localisation siège presque toujours au niveau des membres inférieurs, il est très douloureux, ses bords ne sont pas décollés et il survient sur un terrain débilité.

Le diagnostic d’Ulcère de Buruli est apporté :

- par l’examen direct de frottis colorés selon la méthode de Ziehl-Neelsen

- par culture sur milieu spécifique (milieu de Leowenstein-Jensen, et BATEC®)

- et par PCR, technique utilisant l’amplification d’une séquence d’ADN spécifique de M. ulcerans.

Le diagnostic est apporté ici par l’étude des frottis en zone périphérique de l’ulcération qui met en évidence à la coloration de Ziehl-Neelsen quelques bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR).

Il s’agit donc d’un ulcère de Buruli, dans un foyer endémique connu.

La Côte d’Ivoire est, en effet, le pays d’Afrique de l’ouest où a été rapporté le plus grand nombre d’Ulcères de Buruli depuis 1989. Environ 500 nouveaux cas sont dépistés chaque année.

L’Ulcère de Buruli est devenu un problème majeur de santé publique dans les PED. L’OMS a, en 1997, classé cette infection parmi les maladies émergentes prioritaires.

Maladie liée à l’écosystème aquatique, la transmission humaine de l’Ulcère de Buruli est probablement directe transcutanée à partir du réservoir hydrotellurique, mais certains insectes (punaises d’eau) pourraient jouer un rôle dans la transmission.

L’Ulcère de Buruli atteint surtout les femmes et les enfants vivant en zones rurales, prés des rivières et des marais.

Il est plus fréquent au niveau des membres.

Il est caractérisé par deux stades :

- un stade pré-ulcératif à type de papule, de nodule,

- un stade ulcératif  réalisant une perte de substance dermo-épidermique plus ou moins large, à fond nécrotique, à bords décollés. La nécrose des tissus accompagnant l’ulcération, est due à une toxine produite par la bactérie, la mycolactone.

C’est au stade ulcératif que sont vus la majorité des malades qui consultent avec retard. 

L’évolution peut se faire vers une cicatrisation au prix d’ankylose, d’atrophies vicieuses et d’impotence fonctionnelle. Les atteintes ostéo-articulaires et des os longs sont fréquentes au cours de l’évolution. Il faut toujours craindre le tétanos. Il n’y aurait pas de cancérisation.

Le traitement de l’Ulcère de Buruli est médico-chiturgical. Alors que le traitement chirurgical était seul, il y a encore quelques années, à donner des résultats, l’efficacité du traitement médical a été prouvée lors de la première Conférence Mondiale à Yamoussoukro en 1999. Il repose actuellement sur l’association rifampicine-streptomycine pendant 4 semaines, suivi si nécessaire d’une excision-greffe qui consiste à retirer les zones lésées, puis d’une greffe de peau.

Dans le cas présenté, le traitement a consisté en une antibiothérapie associant rifampicine 600 mg/j et  streptomycine 1 g/j pendant 4 semaines, Le malade a été revu à l’issue : l’ulcération évoluant vers la cicatrisation, la greffe n’a pas été retenue.

La prévention consisterait à éviter les bains dans les mares boueuses. Le BCG à la naissance assure  une protection significative contre le développement d’une ostéomyélite à M. ulcerans.

 

Références

 

Josse R., Guedenon A., Darie H., Anagonou S ., Portaels F., Meyers W.M. Les infections cutanées à Mycobactérium ulcerans : ulcères de Buruli. Med. Trop., 1995, 55, 363-373.

Touze J.E, Peyron F., Malvy D. Un ulcère peu bénin. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile. Editions Varia, mars 2001, pp. 221-224.

Kanga J.M., Kacou E.D., Kouame K. et coll. L’Ulcère de Buruli : aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques en Côte d’Ivoire. Med. Trop., 2004, 64, 238-242.

Ekaza E., Kacou-N’Douba A., Oniangué N .C. et coll. Apport de l’amplification génique dans la détection de Mycobactérium ulcérans dans les exsudats et les biopsies cutanées en Côte d’Ivoire. Bull. Soc. Path. Exot., 2004, 97, 95-96.

 

Iconographie

 

 

Ulcération à bords décollés, avec zone hyperchromique périphérique

 

Collections: Pr. Pierre Bobin. Bordeaux 2

Ulcération à bords
décollés, avec zone hyperchromique périphérique

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 25/03/05.

Remerciements de l’auteur au Docteur Pierre Bobin.