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Cénurose : cas clinique

 

Observation

 

Une jeune fille sénégalaise de 18 ans est adressée en consultation à l’Hôpital Principal de Dakar pour une tuméfaction latérocervicale droite apparue depuis 4 mois, de façon isolée, sans atteinte de l’état général. A l’examen, on note :

- une tuméfaction oblongue soulevant le muscle sterno-cléido-mastoïdien droit à sa partie postérieure, de consistance ferme, se fixant lors de la contraction du muscle, mesurant 8cm x 3 cm, sensible à la palpation profonde, non battante, non adhérente à la peau ;

- deux adénopathies jugulo-carotidiennes droites,

- à l’examen oro-pharyngé : amygdales  volumineuses et cavum inflammatoire.

L’examen clinique est par ailleurs normal.

 

Examens paracliniques :

 

VSH : 20 mm à la première heure ;

NFS : taux d’Hb : 13,5 g/100 ml, GB : 6 100 el/mm3, polynucléaires éosinophiles : 1% ;

Radiographie du cou : absence de calcification des parties molles du cou ;

Radiographie thoracique : ITN ;

Echographie du cou : masse liquidienne ;

Ponction de la masse à l’aiguille fine sous échographie : liquide eau de roche, totalement acellulaire.

 

Quel examen est indispensable pour faire le diagnostic ?

Quelles sont les principales caractéristiques de la maladie diagnostiquée ?
Y a-t-il d’autres examens complémentaires utiles ?

Quel est le traitement ?
Y a-t-il une prévention ?

 

Discussion

 

Le diagnostic ne peut être apporté que par l’examen histopathologique de la pièce opératoire. Une cervicotomie exploratrice est effectuée : elle expose une formation kystique profonde et postérieure, entre les faisceaux musculaires du sterno-cléido-mastoïdien, cravatée en haut par le nerf spinal, adhérente en avant à la gouttière vasculaire. Il est pratiqué une exérèse sans effraction de la paroi, selon un plan de clivage bien individualisé.

L’examen histopathologique de la pièce opératoire montre qu’il s’agit d’un kyste constitué d’une coque fibreuse limitante, doublé intérieurement d’une membrane qui se décolle et s’affaisse à l’ouverture. Cette membrane est porteuse, sur sa face interne, de petites vésicules ovoïdes, rassemblées en plusieurs grappes. Sous la loupe binoculairte, la dissection des petites vésicules montre qu’elles contiennent chacune un scolex invaginé. Au microscope, la membrane parasitaire est fine, granuleuse, non lamellaire. On n’observe qu’un scolex dans chaque capsule proligère.

On est donc en présence d’une cestodose larvaire. On élimine d’emblée une échinococcose alvéolaire, parasitose des régions froides du globe et on discute :

- une hydatidose due à la larve hydatide, Echinococcus granulosus,

- une cysticercose due à la larve cysticerce du Taenia solium, Cysticercus cellulosae

- une cénurose, due à la larve cénure de taenia du sous-genre Multiceps (M. multiceps, M. serialis, M. brauni).

Ces trois cestodoses larvaires sont rares en Afrique de l’ouest.

Le diagnostic de ces trois cestodoses larvaires est morphologique :

- la larve hydatide est constituée de 2 enveloppes parasitaires : la membrane cuticulaire externe, et la membrane proligère interne avec plusieurs vésicules et, à l’intérieur de celles-ci, plusieurs scolex,

- la larve cysticerque est constituée d’une seule membrane proligère avec une seule vésicule et un seul scolex,

- la larve cénure est constituée d’une seule membrane proligère avec plusieurs vésicules et un seul scolex par vésicule.

Il s’agit ici d’une cénurose. Le tænia en cause, du sous genre Multiceps est un parasite digestif des chiens et de divers canidés sauvages à l’état adulte. Les animaux parasités éliminent dans leurs selles des œufs embryonnés. La contamination de l’homme se fait par voie digestive (mains sales, ingestion de crudités et d’eau souillée). Les embryons sont libérés dans l’estomac, traversent la paroi digestive et gagnent par voie sanguine ou lymphatique les tissus où ils se transforment en larves cénures.

La cénurose st une impasse parasitaire chez l’homme. Elle est pratiquement toujours à localisation unique, alors que les cénures sont le plus souvent multiples chez l’animal. Leur présence et leur volume donnent lieu à une pathologie essentiellement de compression.

On distingue :

- la cénurose cérébrale, observée en Europe, en ex-URSS, en Amérique du nord et en Afrique du sud,

- la cénurose sous-cutanée observée en Afrique subsaharienne : quelques cas ont été rapportés en Ouganda, au Kenya, au Rwanda, en République Démocratique du Congo, au Nigeria, au Ghana.

- la cénurose oculaire rattachée à la cénurose sous-cutanée.

 

Leurs principales caractéristiques sont rappelées dans le tableau ci-dessus

 

 

 

Cysticercose

 

 

Cenurose

 

Hydatidose

Larve

 

 

 

Cysticercus cellulosae

Multiceps multiceps

M. serialis

M. brauni

Echinococcus granulosus

Hôte définitif

Homme

Canidés

Canidés

Hôte intermédiaire

Porc

Ovins

Ovins²², lièvres

Forme larvaire

Un seul scolex dans la vésicule

Plusieurs scolex dans la vésicule

Plusieurs scolex par vésicule-fille, plusieurs vésicules filles par kyste

Principales

localisations

Cerveau

Muscle et tissu sous-cutané

Oeil

Cerveau

Œil

Tissu sous-cutané

Foie

Poumon

Autres (plèvre, péritoine, rate, rein, muscles…)

Traitement

Médical : praziquantel, 

               albendazole

Chirurgical

Chirurgical

 

Chirurgical

Médical : albendazole

PAIR

Prévention

Education sanitaire

Surveillance vétérinaire

Lutte contre le péril fécal

Traitement du taeniasis

Education sanitaire

Surveillance vétérinaire

Traitement des chiens

Prudence dans les contacts avec les chiens

Education sanitaire

Surveillance vétérinaire

Traitement des chiens

Prudence dans les contacts  avec les chiens

 

Il n’y pas d’examens complémentaires à pratiquer, cependant, bien que le nodule soit classiquement unique, il faut rechercher systématiquement d’autres localisations par l’échographie ou, si possible, la tomodensitométrie.

Le traitement de la cénurose est uniquement chirurgical. L’exérèse est facile (plan de clivage) et la guérison définitive et sans séquelles.

La prévention est proche de celle de l’hydatidose  : éducation sanitaire, surveillance vétérinaire des hôtes intermédiaires, traitement des chiens domestiques par le praziquantel (Droncitâ), prudence dans les contacts avec les chiens.

Notre malade n’avait jamais quitté le Sénégal. Sa famille avait un chien domestique. Au Sénégal, M. mulitceps existe chez les ovins et M. serialis chez les lièvres. On ne peut différencier les sous-espèces sur les seuls critères histo-pathologiques. 

 

 

Références

 

Menard M, Debrie J.C., Faugére J.M., Brunetti G., Aubry P. La cénurose humaine. Premier cas à localisation intermusculaire observé au Sénégal. Med. Trop., 1982, 42, 617-623.

 

Aubry P., Touze J.E. Cénurose. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., 1999, pp. 90-92.

Iconographie

 

Schéma des formes larvaires des cestodes

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 08/04/2004.

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Cestode larvaire : echinococus granulosis, crohet libre en poignard