Chancre mou : cas clinique.
Observation
Un homme de 30 ans, originaire de
Saint-Louis du Sénégal, militaire de carrière, célibataire, vient consulter à
l’Hôpital Principal de Dakar pour des ulcérations génitales douloureuses et
extensives de la verge évoluant depuis 2 semaines.
L’interrogatoire note un rapport sexuel
non protégé avec une femme de rencontre une semaine avant l’apparition des
ulcérations génitales de la verge.
A l’examen, on note deux ulcérations
siégeant sur la peau du fourreau de la verge, de grande taille, douloureuses
spontanément et à la palpation, non infiltrées, de consistance molle. Les bords
sont décollés et inflammatoires, le fond est sanieux, recouvert d’un enduit
purulent.
Il existe une adénopathie inguinale
gauche douloureuse, inflammatoire, volumineuse.
Examens paracliniques :
- Prélèvement de l’enduit puriforme
prélevé sur le bord d’une lésion : l’examen direct avec coloration de
Gram met en évidence des bacilles Gram
négatif à coloration bipolaire. Ces bacilles siégent au nombre de 10 à 20 à
l’intérieur des polynucléaires. Certains bacilles extracellulaires se
regroupent en chaînettes
- Sérologie des tréponématoses :
VDRL négatif, TPHA positif à 1/80ème.
Quel est votre diagnostic ?
Quels sont les examens complémentaires
indispensables pour compléter cette observation ?
Quels sont les principales
caractéristiques de la maladie en cours ?
Quels sont les critères diagnostiques
des ulcérations génitales ?
Quel en est le traitement ?
Quelle en est la prévention ?
Discussion
La notion d’un rapport sexuel à risque
oriente vers une infection sexuellement transmissible (IST). La première
infection à évoquer est la syphilis primaire. C’est une maladie d’incubation
longue (3 semaines en moyenne) ; l’ulcération est souvent unique, propre
si elle n’est pas surinfectée, indurée et indolore, avec des adénopathies (ADP)
multiples, dont une grosse ADP «le préfet de l’aine», indolores, fermes, non
inflammatoires. La sérologie syphilitique (VDRL négatif, TPHA à 1/80ème)
témoigne ici d’une séquelle sérologique d’une tréponématose non vénérienne
(Béjel chez un malade originaire du Sahel).
La donovanose ou granulome inguinal a
une durée d’incubation généralement longue (plusieurs semaines) ; il y a
plusieurs lésions ulcéro-végétantes, indurées, indolores, bourgeonnantes en
périphérie, extensives ; il n’y a pas de ganglion satellite ; le
pseudobubon est une cellulite infiltrante due à la diffusion sous-cutanée à
partir des ulcérations.
La lymphogranulomatose vénérienne ou
maladie de Nicolas-Favre à une incubation variable (de 3 jours à 4 semaines);
l’ulcération génitale est souvent inapparente ou très fugace, superficielle,
avec des ADP inflammatoires de part et d’autre de l’arcade crurale, évoluant
vers la fistulisation « en pomme d’arrosoir ». Ce sont les ADP qui
font porter le diagnostic.
L’herpès génital est d’incubation
courte (2 à 7 jours), il est caractérisé par des érosions post-vésiculeuses
groupées en bouquet, hyperalgiques, souvent surinfectées.
Il s’agit ici d’un chancre mou. Le
chancre mou, maladie vénérienne due à Haemophilus
ducreyi ou bacille de Ducrey, est
très fréquent en zone tropicale. Son incubation est brève, en moyenne de 2 à 5
jours. Les lésions réalisent chez l’homme une couronne de chancres mous du bord
libre du prépuce, du sillon balanopréputial, voir du fourreau de la verge et du
scrotum. Les lésions d’auto-inoculation sont caractéristiques de l’affection et
siégent en général au niveau des cuisses en regard de la verge.
Le chancre mou, spontanément indolore,
est douloureux à la pression et à la palpation.
L’aspect est le plus souvent
évocateur : ulcérations uniques ou multiples, ovalaires, de 5 mm à 1,5 cm,
à bords décollés, avec présence d’un double liseré jaune et rouge. Le fond est
recouvert d’un enduit puriforme, la base est empâtée, non indurée. Les
adénopathies satellites sont toujours présentes, de siège inguinal, et ont un
caractère inflammatoire. En l’absence de traitement et chez les malades
n’observant pas de repos, l’adénopathie va évoluer vers la suppuration et la
fistulisation. C’est le bubon chancrelleux.
Le diagnostic est confirmé par le
laboratoire : le prélèvement de la sérosité au niveau des bords de la
lésion montre la présence de
bacille gram négatif à coloration bipolaire de 1,5 à 2 µ de long sur 0,5 µ de
large. Les bacilles sont à l’intérieur des polynucléaires, parfois
extracellulaires, ils se regroupent en chaînettes donnant l’aspect en chaîne de
bicyclette de Morax.
Il faut toujours penser à une autre
étiologie associée : la syphilis, réalisant le chancre mixte de Riollet
(10% des cas), d’où la réalisation systématique d’une sérologie
syphilitique ; et surtout l’infection à VIH/SIDA car les IST (syphilis,
chancre mou, infections dues au gonocoque et à Chlamydiae notamment) sont des co-facteurs de l’infection à VIH. La
recherche des anticorps anti-VIH est ici négative, mais devra être contrôlée au
bout de 4 à 6 semaines.
Le traitement fait appel à la
doxycycline 200 mg/j pendant 2 semaines, au cotrimoxazole (160 mg de
triméthoprime + 800 mg de sulfaméthoxazole) 2 fois par jour pendant 15 jours, à
la ceftriaxone 250 mg en dose unique, à la
ciprofloxacine 500 mg à 1 g en dose unique ou à l’azithromycine 1g en
dose unique.
Dans le cas présenté, le traitement
prescrit a été le cotrimoxazole sous forme de BACTRIMâ FORTE,
1 comprimé 2 fois par jour pendant 15
jours. Une désinfection locale par permanganate à 1/20.000 a été associée. La
guérison a été totale au prix d’une cicatrice.
Des conseils d’hygiène sexuelle doivent
être donnés, en parisienne la prévention par préservation des infections
sexuellement transmissibles.
Tableau : Critères diagnostiques
et traitement des ulcérations génitales.
|
Chancre
mou
|
Syphilis
primaire
|
Donovanose
|
Lymphogranulomatose
vénérienne
|
Herpès
|
Agent
pathogène
|
Hémophilus ducreyi
|
Treponema pallidum
|
Colymmato-
bacterium granulomatis
|
Chlamydia trachomatis L1, L2,
L3
|
Herpés virus simplex 2
|
Incubation
|
Courte
(2
à 5 jours)
|
Longue
(10
à 90 jours)
|
Longue
(>
6 mois)
|
|
Courte
1
à 10 jours
|
Clinique
|
Chancres multiples, non
indurés, douloureux
ADP
douloureuses Bubon
|
Chancre
unique, induré, indolore.
|
Ulcérations indolores
Pseudobubon
|
Erosion ou papule
ADP unilatérale inguinale suppurée.
(bubon)
|
Vésicules,
ulcérations douloureuses
ADP
multiples
|
Evolution
spontanée
|
Fistulisation
des ADP
|
Régression
|
Mutilation
|
Fistulisation
des ADP
|
Régression
Récurrences
|
Examen
direct
|
|
Spirochètes
|
BGN:
corps
de
Donovan
|
(culture
cellulaire)
|
(cytodiagnostic)
|
Sérologie
|
-
|
VDRL,
TPHA
|
-
|
IFI, FC
|
IF
|
Traitement
|
Doxycycline
Cotrimoxazole
Ceftriaxone
Ciprofloxacine
Azithromycine
|
Pénicilline
retard
|
Doxycycline
Cotrimoxazole
Ceftriaxone
Ciprofloxacine
Azithromycine
|
Doxycycline
|
Aciclovir
|
Les modalités de lutte contre les IST
en milieu tropical consistent en
- une prévention primaire :
comportements sexuels à moindre risque, en particulier usage du préservatif,
- une prévention secondaire :
prise en charge curative des IST.
- une prise en charge du ou des
partenaires sexuels, essentielle mais difficile,
- le dépistage des autres
IST associées : infection à VIH, syphilis, mais aussi hépatites virales B
et C,
- la prise en charge des groupes à
risque particuliers : professionnelles du sexe et leurs clients.
Références
Aubry P., Touze J.E. Chancre mou. Cas cliniques en Médecine
Tropicale. La Durauliè édit., 1990, pp. 176-177.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Une
ulcération génitale. Médecine Tropicale au quotidien, 100 cas cliniques. Format
utile. Editions Varia, 2001, pp ; 214-217.
Iconographies
- Photographie du chancre mou
- Frottis de l’ulcération Gram x 1000
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé
le 14/04/2004.
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Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)