.
 
Méningo-encéphalites à Virus Chikungunya à La Réunion (Océan Indien)

Méningo-encéphalite à virus Chikungunya : cas clinique

 

 

Observation

Une femme de 24 ans, est hospitalisée le 24/07/2005 pour des troubles du comportement récents avec fièvre. Elle a accouché deux mois auparavant d’un troisième enfant a terme par césarienne sous rachianesthésie, le 25 mai. Les antécédents et son habitus comportent un asthme équilibré, une HTA gravidique récidivante, une surcharge pondérale importante et trois grossesses menées à terme. Elle est native de la Réunion et n’a pas voyagé au cours des derniers mois. Les symptômes ont débuté 3 jours plus tôt par des céphalées, de la fièvre, des myalgies et des vomissements. Le 22 juillet sont apparus un érythème fugace du visage. Le 23 juillet, la survenue de troubles de la comportement avec aphasie ont motivé l’admission au Centre Hospitalier de Saint-Paul, le 24 juillet. L’examen clinique initial retrouve une température à 39,4°C, une raideur de nuque et une aphasie motrice sans déficit sensitivomoteur associé.

Le scanner cérébral sans injection est normal. La ponction lombaire met en évidence un LCR clair, une pléiocytose à 110 globules blancs/mm3 dont 85% de polynucléaires neutrophiles, la protéinorachie est à 0,60 g/L, la glycorachie normale. L’examen direct du LCR est négatif. Un traitement associant amoxicilline 200 mg /kg/j IV et cefotaxime 200mg /kg/j IV est débuté.

Le lendemain, devant l’apparition de troubles de la conscience, la patiente est transférée dans le service de réanimation du C.H de Saint-Denis. L’examen retrouve une fièvre à 38,6°C, la pression artérielle est à 157/87 mmHg. Le score de Glasgow est égal à 9/15. Il persiste un syndrome méningé et une aphasie. On note une paraplégie flasque, un déficit moteur du membre supérieur droit sans signes pyramidaux associés et une réaction  adaptée à la douleur du membre supérieur gauche. A l’antibiothérapie en cours, on ajoute de l’aciclovir 30 mg/kg/j IV. L’aggravation rapide des troubles de la conscience va imposer le recours à la ventilation mécanique.

 

Examens paracliniques

NFS : 10 380 GB/mm3, 80% de polynucléaires neutrophiles, Hb : 12 g/dl, plaquettes : 176 000/ mm3

Créatininémie : 71 µm/l, glycémie : 6,3 mmol/l, ionogramme sanguin : Na 142 mmol/l, K 3,7 mol/l, Cl 110 mmol/l, RA : 23 mmol/l, protides : 76 g/l

CRP : 21 mg/l

Bilan hépatique : ASAT 9 UI/l, ALAT : 11 UI/l, phosphatases alcalines : 32 UI/l, gamma GT : 8 UI/l, bilirubinémie totale : 8 mg/l

TP : 87%, TCA : 32/31

Radiographie thoracique : ITN

ECG : rythme sinusal et régulier à 100/mn, ni trouble de la repolarisation, ni trouble de la conduction

Frottis sanguin, goutte épaisse, antigénémie palustre : négatif

Scanner cérébral avec injection normal.

L’EEG du 28 juillet réalisé 24 heures après l’arrêt de la sédation, montrait des pointes ondes lentes triphasiques bitemporales compatibles avec une méningo-encéphalite.

IRM encéphalique normale (appareil 1,5 Tesla) sur des séquences axiales pondérées en écho de spin T1, T2, et T2. La patiente a bénéficié d’une injection de Gadolinium, une thrombophlébite cérébrale ayant été évoquée.

Une deuxième ponction lombaire est pratiquée et montre  un liquide clair avec 300 GB/mm3 dont 99% de lymphocytes, la glycorachie reste normale et la protéinorachie est à 0,68 g/L, l’examen direct est de nouveau négatif.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels sont les examens complémentaires pour affirmer ce diagnostic ?

Quelles sont les complications à craindre ?Quel est le traitement de cette maladie?

Quelle en est la prévention ?

 

Discussion

 

Dans le contexte de l’île de La Réunion, et en l’absence de paludisme autochtone et de voyage récent qui auraient fait évoquer une neuropaludisme ou une Encéphalite Japonaise, ce tableau de méningo-encéphalite à LCR clair évoque en premier lieu une méningo-encéphalite herpétique ou une listériose neuroméningée.

La présence de laboratoires spécialisés à La Réunion permet les sérologies virales, l’immunodétection par PCR des antigènes viraux dans le LCR. Sont éliminés les infections dues aux virus herpétiques (HSV1 et HSV2), au Cytomégalovirus, aux entérovirus, à EBV, à VZV, les oreillons, la grippe A et B.

L’antigénémie des listérioses, les sérologies de la syphilis, de Mycoplasma pneumoniae et de la leptospirose sont négatives. En fait, seule la sérologie des arboviroses s’avère positive en IgM et en IgG pour le virus Chikungunya (CHIK) dans le sang et le LCR (sérologies réalisées par le Centre national de référence de L »’Institut Pasteur de Lyon), alors qu’elle est négative pour le West Nile et les dengues. La RT-PCR et la recherche virale de CHIK seront négatives, mais le prélèvement a été fait à distance du début de la symptomatologie clinique.

La positivité de la sérologie pour le virus CHIK ne doit pas surprendre, La Réunion connaissant  depuis fin février 2005 une épidémie due à l’infection à CHIK. Cependant, cette arbovirose entraîne classiquement un syndrome dengue-like, mais ni syndrome encéphalique, ni syndrome hémorragique. Sous traitement symptomatique, l’apyrexie a été obtenue à J 3, avec réveil progressif à partir de J 5. La présence d’une tétraparésie asymétrique prédominant à l’hémicorps gauche a retardé le sevrage respiratoire.

L’extubation a été réalisée le 3 août, avec persistance d’un déficit moteur des membres inférieurs, d’une dysarthrie avec impression de diplégie faciale, de troubles des fonctions supérieures avec MMS à 23/30 et d’une incontinence urinaire partielle. La patiente fut transférée le 5 août en service de Rééducation fonctionnelle et l’évolution ultérieure fut progressivement favorable avec régression du déficit moteur et amélioration des fonctions supérieures. L’examen urodynamique a mis en évidence une vessie neurologique de type central. La patiente a regagné son domicile à J 25.

 

La symptomatologie classique de l’infection à virus CHIK associe, après une incubation de 2 à 10 jours, une fièvre d’apparition brutale et des douleurs articulaires et musculaires intenses (le mot chikungunya signifie marché courbé en Swahili) et souvent un rash cutané de type exanthème morbilliforme. Des signes hémorragiques (gingivorragies, hématome, épistaxis, purpura) peuvent être observés. Ils sont toujours bénins. L’infection guérit sans séquelles dans 90% des cas, mais il est parfois observé des tableaux prolongés d’oligo ou polyarthrites non destructrices. Un tableau de méningoencéphalite est tout à fait exceptionnel : un seul cas de méningo-encéphalite a été rapporté en 1972 au Cambodge chez un enfant de 5 ans.

Le virus CHIK est un alphavirus de la famille des Togaviridae transmis par un moustique du genre Aedes (A. aegypti, A. albopictus). Le virus circule surtout en Afrique, en Asie du sud-est et dans le sous-continent indien. Entre le début janvier et la mi-mai 2005, une épidémie de CHIK a sévit pendant 19 semaines aux Comores, constituant la première émergence du virus dans le sud-ouest de l’Océan indien. A partir de la mi-avril, des cas suspects importés de Grande Comores étaient signalés à Mayotte et l’épidémie atteignait l’île Maurice à la fin du mois d’avril. A la Réunion, dans le cadre d’un dispositif de vigilance mis en place par la DRASS, un praticien du service de pneumologie du GHSR signalait le 29 avril un cas biologiquement confirmé d’infection par le virus Chikungunya importé de Grande Comores, puis 3 cas autochtones cliniquement suspects le 4 mai. Le service de lutte anti-vectorielle de La Réunion a diligenté une enquête dans le voisinage des cas qui a révélé l’existence de nombreux autres cas suspects. Le dispositif de surveillance épidémiologique des arboviroses a alors été déclenché afin de suivre l’évolution de l’épidémie et d’orienter les actions de prévention et de lutte anti-vectorielle.

L’infection est immunisante. Il n’y a ni traitement étiologique, ni vaccin. La prévention consiste à lutter contre les moustiques et plus particulièrement contre les gîtes larvaires (petites collections d’eau stagnante). Des mesures de prévention individuelle contre les piques de moustiques doivent être prises : spray et crèmes, diffuseurs électriques, serpentins, vêtements longs et clairs… Le moustique vecteur pique la journée avec une activité plus importante en début de matinée et en fin de journée, mais également dans la journée, s’il est dérangé de son gîte par l’homme (feuillages). La lutte communautaire doit être encouragée avec la destruction des gîtes autour des habitations, des activités d’information et d’éducation sanitaires.

 

Note : La surveillance du CHIK à la Réunion repose sur un dispositif de signalement suivi d’un repérage actif et rétrospectif des cas suspects par les équipes de lutte anti-vectorielle dans l’entourage des cas signalés. Les médecins sentinelles du réseau animé par l’Observatoire régional de la santé, les laboratoires de biologie médicale, les médiateurs communaux et les malades constituent les sources du signalement. Le service de lutte anti-vectorielle repère les cas suspects récents et anciens dans les 10 maisons autour du domicile de chaque cas (signalé ou détecté) au moyen d’une fiche de renseignement standardisée et, de proche en proche, identifie les foyers de transmission. Parallèlement, les professionnels de santé ont été informés individuellement par la DRASS de la réalité de l’épidémie et incités à prescrire des examens biologiques de confirmation. L’investigation entomologique porte sur la recherche de gîtes larvaires, sur l’identification et la capture de moustiques potentiellement vecteurs et sur la recherche du virus sur les moustiques capturés. Ce dispositif a été complété secondairement par le signalement à la DRASS par les établissements de santé des cas de méningo-encéphalites associés à une infection par le virus Chikungunya, y compris pour les nouveau-nés.

 

Le diagnostic biologique repose sur :

-          l’isolement viral pendant la durée de la phase fébrile

-          la détection du virus par PCR pendant les 5 jours qui suivent le début des signes

-          la sérologie IgM à partir du 5e jour suivant le début des signes (de fait la positivité apparaît à J3)

-          l’augmentation du titre IgG sur 2 sérums prélevés à 3 semaines d’intervalle (test peu utilisé en pratique en raison de la persistance de la séropositivité en IgM pendant plusieurs mois et que la population est naïve).

 

Chez cette patiente, après élimination des diagnostics différentiels classiques des méningo-encéphalites à liquide clair, le diagnostic d’infection à CHIK a été affirmé par la mise en évidence d’anticorps de type Ig M et IgG dans le LCR. C’est un des premiers cas de méningo-encéphalite, forme grave de l’infection à CHIK, qui a été observé au cours de l’épidémie de La Réunion. Mais, à la date du 20 janvier 2006, 9 autres cas d’atteintes neurologiques sévères chez des adultes ont été rapportés, dont un syndrome de Guillain-Barré. Le nombre de personnes malades s’établit à cette date entre 10 000 et 15 000, pour une population de 750 000 habitants.

 

References

 

Mc Gill P.E. Viral infections : a-viral arthropathie Bailière’s Clinical Rheumatology, Vol 9, No 1, Feb 1995, pp145-150

Brighton S.W., Prozesky O.W., De La Harpe A.L.. Chikungunya virus infection. A Retrospective Study of 107 cases. SA Medical Journal, Vl 63, 1983, Feb, 313-315

Tsai Th. Chikungunya fever In Tropical diseases pp 246-248

 

B-A Gaüzère. Texte rédigé le 20 janvier 2006

Aedes albopictus : vesteur de la chikungunya à La Réunion
Aedes albopictus : vecteur du chikungunya à La Réunion
Collections : DRASS Réunion 2004