Choléra chez une
fillette camerounaise, suivi d’une nécrolyse épidermique toxique (NET)
médicamenteuse : cas clinique.
Observation
Une
fillette camerounaise de 6 ans est admise à l’hôpital Laquintinie de Douala, en
pleine épidémie de choléra, pour un syndrome diarrhéique d’installation brutale
apparu depuis 3 heures. La malade est adynamique. L’émission de selles aqueuses
est incessante survenant toutes les 5 minutes, sans douleurs abdominales,
s’accompagnant de vomissements itératifs. La malade se plaint de myalgies au
niveau de ses membres inférieurs.
A
l’examen le tableau clinique est caractéristique : apyrétique et
oligurique, la petite malade a le teint cireux ; les yeux excavés, le
visage cadavérique. La langue est sèche, le pli cutané recherché au niveau de
l’abdomen, qui reste souple et dépressible, est net. Le pouls est à 120/mn, la
TA à 60/40 mmHg.
Aucun
examen paraclinique n’est pratiqué à l’entrée à l’hôpital.
Quel
est votre diagnostic ?
Quelle
est votre conduite thérapeutique ?
Quelle est l’évolution à prévoir ?
Quelle
en est la prévention ?
Discussion
Le
diagnostic de choléra ne fait aucun doute : le contexte épidémique et la
clinique permettent le diagnostic. Le diagnostic bactériologique est ici
inutile, l’épidémie en cours étant due au Vibrio
cholerae 01, biotype El Tor,
sérotype Ogawa. L’isolement de Vibrio cholerae aurait seulement
l’intérêt d’étudier sa sensibilité aux antibiotiques.
Ainsi, dès son admission et sans retard, la jeune malade
est soumise aux mesures appliquées systématiquement à tout malade
cholérique :
- mise sur un lit percé en son centre, permettant le
recueil des selles dans un seau gradué pour l’appréciation de leur volume, mise
en place d’un seau gradué à la tête du lit pour le recueil des vomissements,
-
mise en place immédiate d’une voie veineuse pour permettre une réhydratation
intensive (les vomissements itératifs rendent impossible dans l’immédiat la
réhydratation orale)
-
perfusion de Ringer-Lactate : 600 ml la première demi-heure, 2000 ml à la
troisième heure, ce qui représente 10% du poids du corps de cette enfant (poids
connu : 20 kg) et correspond à 100 ml/kg en 3 heures, dont 30 ml/kg la
première demi-heure..
-
établissement d’une feuille de surveillance individuelle.
L’évolution
est rapidement favorable : après une heure de réhydratation, la TA se
normalise, l’atonie disparaît, la diurèse s’installe, les vomissements
régressent permettant de débuter une réhydratation orale en utilisant les SRO
de l’OMS.
La
persistance des myalgies va cependant nécessiter un bilan sanguin (ionogramme
et réserve alcaline) qui montrera une acidose (RA à 18 nmol/l, ionogramme
sensiblement normal), et la prescription de 250 ml de sérum bicarbonaté.
La
diarrhée cesse totalement à la 12 éme heure.
Le
traitement antibiotique par cotrimoxazole (BACTRIMâ) est alors prescrit
à la dose de 5 mg/kg de triméthoprime et de 25 mg/kg de sulfaméthoxazole, 2
fois par jour, pendant 3 jours.
L’enfant
est rendu à ses parents après 36 heures d’hospitalisation.
Ce type d’évolution est la règle. Les décès sont rares,
imputables à un retard de réhydratation ou observés chez des sujets âgés
ou porteurs de tares, par défaillance cardiaque, cérébro-vasculaire ou
insuffisance rénale.
Mais, l’évolution dans le cas présenté va se compliquer.
En effet, six jours après la sortie, la fillette sera revue en raison de
l’apparition brutale d’une cécité. L’examen ophtalmologique met en évidence une
iridocyclite aiguë. Le lendemain, apparaît une fièvre à 39°C. On note au niveau
du dos des lésions d’aspect bulleux,
qui vont évoluer vers des décollements extensifs «en linge mouillé», donnant à
la peau un aspect plissé en larges lambeaux, mettant à nu un derme rouge et
suintant. Ce tableau est caractéristique d’un syndrome de Lyell ou nécrolyse
épidermique toxique (NET). L’origine médicamenteuse est fortement soupçonnée.
Le syndrome de Lyell toxidermique est bien connu lors de l’utilisation der
sulfamides antibactériens, (sulfadiazine, sulfaméthoxazole, sulfadoxine et
autres formes retard)
Le traitement a été symptomatique : réhydratation,
apports nutritionnels (3 mg/kg/j de protides, prévention des infections par
antiseptiques locaux type chlorhexidine à 0,05%). L’antibioprophylaxie
systématique n’est pas recommandée. Cependant, ne pouvant éliminer d’emblée un
syndrome de nécrolyse épidermique staphylococcique et d’autre part
l'iridocyclite entraînant la prescription d'instillations oculaires d’un
corticoïde local, il a été prescrit amoxicilline-acide clavulanique (CLAFORANâ).
Les hémocultures, faites lors de la rehospitalisation, ont été stériles.
Il faut donc discuter l’utilisation du cotrimoxazole dans
le traitement du choléra vu le risque vital du syndrome de Lyell et aussi la
résistance du Vibrio cholerae aux
sulfamides. Le cotrimoxazole est souvent pris en automédication. Rappelons que
la doxycycline per os à la dose de 6 mg/kg chez l'enfant en une prise unique ou
les fluoroquinolones (ciprofloxacine 20 mg/kg pendant 3 jours)
n'entraînent pas d'effets indésirables.
Chez cette malade, les muqueuses ont été respectées et le
tableau clinique n’a pas atteint celui du grand écorché vif classique. L'acuité
visuelle a été récupérée en 8 jours avec guérison totale ultérieure de
l'iridocyclite. La limitation de l'extension du syndrome toxidermique a
lentement évolué vers la cicatrisation en 3 semaines. Il n'y a pas eu de
surinfections. Le pronostic du syndrome de Lyell est meilleur chez l’enfant que
chez l’adulte.
Il faut rappeler qu l’incidence du syndrome de Lyell est
augmentée chez les patients VIH positifs.
Références
Aubry P., Touze J.E. Choléra. Cas cliniques en Médecine
Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp. 121-122.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Des diarrhées
incoercibles. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format
utile ; Editions Varia, 2001, 206-208.
Wetterwald E., Chosidow O., Bachot N., Roujeau J.C.
Syndrome de Lyell (nécrolyse épidermique toxique). Encycl. Med. Chir.,
Dermatologie, 98-270-A-10,2001, 13 p.
Iconographies
Prélèvement de selles : présence de nombreux Vibrio cholerae (coloration de gram)
Syndrome de Lyell avec épidermolyse diffuse et
hémorragique.
Professeur Pierre Aubry. Texte revu le 11.04.2006.