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Chromomycose ou chromoblastomycose: cas clinique chez un malgache.

Professeur Pierre Aubry . Texte rédigé le 23/04/2003

 

Observation

 

Un homme, de nationalité malgache, âgé de 38 ans, fermier dans la région d’Andapa dans le nord-est de Madagascar, consulte à l’hôpital de Toamasina (Tamatave), pour une lésion cutanée de la jambe gauche qui a débuté il y a plus de 2 ans et s’est étendue progressivement. Elle est indolore, ce qui explique le long délai pour consulter. La lésion réalise un placard hyperkératosique verruqueux du 1/3 moyen de la face externe de la jambe gauche (Fig. 1). Il n’y a pas de signe clinique de surinfection. Il n’y a pas d’adénopathie loco-régionale. L’état général est bien conservé.

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens complémentaires sont nécessaires pour affirmer ce diagnostic ?
Quel(s) traitement(s) allez-vous proposer ?

 

Discussion

 

L’origine géographique du malade et l’aspect de la lésion font d’emblée évoquer une chromomycose ou chromoblastomycose.

La chromomycose est une mycose profonde sous-cutanée des zones tropicales, particulièrement fréquente à Madagascar, due à des champignons pigmentés (noirs) du groupe des dématiés. Ces champignons vivent à l’état saprophyte dans la nature sous forme filamenteuse. Ils ont été isolés du bois mort, d’épines, du sol. Deux espèces fongiques sont observées à Madagascar :

- Fonsecaea pedrosoi an nord et à l’est,

- Cladosporium carrionii au sud.

La transmission est directe, généralement après un traumatisme avec des débris de bois ou des végétaux. Dans la région du nord-est de Madagascar (région d’Andapa) où la prévalence est de 1/4000, la contamination se fait  au cours de la coupe de bois. Dans le sud (région de Fort-Dauphin) , où la prévalence est de 1/2500, la contamination est liée aux épines (cactus) et au sisal. La chromomycose est une maladie de l’homme adulte, fermier ou bûcheron, marchant pied nus, ce qui explique l’atteinte au niveau des pieds et des jambes dans ¾ des cas.

Les aspects cliniques sont variables : placards hyperkératosiques verruqueux, nodules ou plaques d’aspect cicatriciel. On peut observer parfois en surface des grains sombres de petite taille riches en spores.

L’extension de la lésion se fait par les bords de la lésion qui sont actifs. Des lésions satellites peuvent survenir par auto inoculation. L’atteinte par contiguïté (muscles , articulations, os), la dissémination lymphatique (adénopathies, éléphantiasis) et hématogène (atteinte viscérale), liée à une immunodépression, sont possibles, mais rares. De même, l’évolution carcinomateuse de type épidermoïde est rare, mais nécessite une biopsie systématique au moindre doute.

Le diagnostic différentiel se pose suivant l’aspect clinique et la zone géographique avec la leishmaniose cutanée (Amérique du sud, Afrique de l’est), la lèpre lépromateuse, la tuberculose verruqueuse, le pian (Afrique noire, Madagascar).

Le diagnostic de certitude  est mycologique et histopathologique :

- mycologique : prélèvement des squames et produits de grattage pour :

- examen direct: présence de corpuscules bruns, sphériques, à parois épaisses de 5 à 12 µ de 

  diamètre, isolés ou en chaînettes ; ce sont les cellules fumagoïdes ou sclérotic cells spécifiques,

- culture sur milieu de Sabouraud : elle permet de différencier les 2 espèces sur l’aspect des      filaments (conidiophores), mais le délai d’obtention est long (6 semaines) ;

- histopahologique : biopsie cutanée montrant une hyperplasie épidermique pseudo carcinomateuse associée à une réaction granulomateuse épithélioïde gigantocellulaire ; au sein de la réaction granulomateuse, présence d’éléments fongiques ovoïdes ou ronds mesurant 5 à 12 µ spontanément colorés en brun et à paroi colorée en brun plus foncé après coloration à l’HES, au PAS ou au Gomori.

Un diagnostic immunologique par technique ELISA a été développé à l’Institut Pasteur de Madagascar.

Le traitement est médico-chirurgical. En pratique, le traitement chirurgical par excision ou excision greffe ne s’adresse qu’à une petite lésion nodulaire, isolée (lésion de début) et le malade consulte rarement à ce stade.

Le traitement médical classique associe le 5-fluorocytosine (ANCOTIL®) à la dose de 100 à 200 mg/j et l’itraconazole (SPORANOX®) à la même dose de 100 à 200 mg/j. Ce traitement doit durer plusieurs mois. Actuellement, la terbinafine (LAMISIL®) à la dose de 500 mg/j pendant au moins 6 mois lui est préféré.

Dans le cas présenté, le diagnostic, fortement évoqué par la clinique, a été confirmé par l’examen direct : présence de cellules fumagoïdes pathognomoniques. La terbinafine a été prescrite. Le traitement a du être poursuivi jusqu’à 12 mois pour obtenir la guérison. Une surveillance régulière est ensuite nécessaire, vu le risque de récidive.

La prévention est indispensable. Maladie de l’environnement, la chromomycose nécessite une action en santé publique associant information, éducation et communication dans les zones d’endémie. Il faut en particulier convaincre les fermiers et les bûcherons de porter des chaussures et de se protéger les membres inférieurs lors de la coupe du bois ou de la culture du sisal.

Références 

Esterre P., Andriantsimahavandy A., Raharisolo C. Histoire naturelle des chromoblastomycoses à Madagascar et dans l’Océan Indien. Bull. Soc. Path. Exot., 1997, 90, 312-317.

 

Esterre P., Ratsioharana M., Andriantsimahavandy A. et coll. A multicentre trial of terbinafine in patients with chromoblastomycosis. Effect on clinical and biological criteria. J. Dermatol. Treatment, 1998, 9, 529-534.

 

Maslin J., Morand J.J., Civatte M. Les chromomycoses (chromoblatomycoses). Med. Trop., 2001, 61, 459-461.

 

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)
Chromomycose: lésions ulcéro-végétante de la jambe
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