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Colite amibienne nécrosante : cas clinique.

 

Observation

 

Une femme, sénégalaise, âgée de 30 ans, est admise en Réanimation à l’Hôpital Principal de Dakar pour des douleurs abdominales, une diarrhée profuse et un état de choc. Elle a accouché en brousse il y a une semaine et a présenté 2 jours après l’accouchement une diarrhée glairo-sanglante faite de 10 selles par jour. Son état s’est progressivement aggravé.

A l’entrée, la malade est prostrée, adynamique et déshydratée. L’état de choc est manifeste : pouls rapide, filant, à 130/mn, tension artérielle effondrée avec pincement de la différentielle à 60/40 mm/Hg. Le sondage vésical ne ramène que quelques ml d’urines foncées. Une pression veineuse centrale égale à 3cm d’eau confirme la nature hypovolémique de l’état de choc. La température est à 38°5C. L’examen de l’abdomen note un ballonnement diffus , la fosse iliaque droite est douloureuse et empâtée. Le toucher rectal ramène de nombreux débris muqueux, du sang et des glaires.

 

Examens complémentaires :

NFS :  GR :  2 500 000/mm3, Hb : 5,5g/dl, GB : 15 000/mm3, PN : 85%

VSH : 82 mm à la 1ère heure

Ionogramme : K : 2,5 mmol/l, Na : 125 mmol/l, Cl : 110 mmol/l

Créatininémie : 35 mg/l

Protidémie : 55 g/l

Radiographie de l’abdomen sans préparation : discrète aéroiléite

Echographie abdominale : épaississement de la paroi colique, petit épanchement abdominal, foie normal.

Recherche de parasites dans les selles négatif (un seul examen).

 

Après réanimation hydroélectrolytique et hémodynamique, une laparotomie est pratiquée. Elle montre à l’ouverture de la cavité abdominale, un cæcum tuméfié, turgescent, aux parois épaissies et cartonnées, avec deux zones pré-perforatives. La palpation montre un épaississement global du reste du cadre colique avec de nombreux ganglions mésocoliques. La séreuse est inflammatoire et pétéchiale. L’étage sus-mésocolique est normal. Il est pratiqué une hémicolectomie droite avec résection de l’iléon terminal à 10 cm de la jonction iléo-cæcale et une iléostomie temporaire. L’examen de la pièce opératoire montre une paroi épaissie, une muqueuse parsemée de larges ulcérations creusantes, recouvertes de dépôts jaunâtres.

L’examen histologique de la pièce opératoire apporte le diagnostic.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens complémentaires sont  utiles pour conforter ce diagnostic ?

Quelle est la conduite à tenir ?

 

Discussion

 

Le tableau clinique est compatible avec trois diagnostics : une complication appendiculaire, une colite inflammatoire et surtout, compte tenu du contexte, une

colite amibienne nécrosante. Ils justifient tous trois l’indication opératoire.

La survenue chez une Africaine dans le post-partum d’une diarrhée glairo-sanglante avec état de choc hypovolémique doit faire évoquer en premier une colite amibienne nécrosante ou amibiase colique maligne, même si la recherche d’amibes hématophages dans les selles est négative. L’examen histologique de la paroi colique confirme ce diagnostic : il montre de nombreux trophozoïtes d’Entamoeba histolytica au sein des zones de nécrose.

La colite amibienne nécrosante est rare, même en pays d’endémie amibienne (environ 3% des amibiases coliques). Son pronostic est gravissime, la mortalité étant proche de 90% en Afrique noire. Ce taux élevé de mortalité est du aux mauvaises conditions sanitaires (absence d’hygiène fécale ; malnutrition ; carences multiples ; agressions parasitaires, virales, bactériennes associées), à sa survenue au cours de la grossesse ou du post-partum, d’une immunodépression (infection à VIH), ou sous corticothérapie (qui peut précipiter l’évolution d’une amibiase colique aiguë vers une forme maligne)..

La clinique est dominée au début par des douleurs abdominales et une diarrhée glairo-sanglante. L’apparition d’un météorisme abdominal et/ou d’une atonie sphinctérienne anale avec expulsion de lambeaux de muqueuse colique constituent des signes de gravité témoignant d’une colectasie aiguë et pouvant évoluer vers la nécrose colique et la perforation.

L’état de choc est pratiquement toujours présent, répondant à deux mécanismes :

- choc hypovolémique, par pertes digestives, de pronostic favorable,

- choc toxi-infectieux, avec fièvre élevée, faciès toxique, extrémités froides et cyanosées, du à une surinfection bactérienne (bacilles anaérobies, bacilles à Gram négatif, staphylocoques pathogènes), de pronostic gravissime.

Le diagnostic repose rarement sur la mise en évidence des amibes hématophages dans les selles, positif dans un quart à un tiers des cas au premier examen. La rectosigmoïdoscopie, en principe contre-indiquée, ne peut être pratiquée que si les clichés de l’abdomen sans préparation et/ou l’échographie abdominale ne montrent pas de complications. Elle met en évidence des ulcérations à bords surélevés, recouvertes d’exsudats jaunâtres, séparés par une muqueuse congestive ou hémorragique. Des prélèvements (écouvillonnage, spongiopsies) sont pratiquées pour examen parasitologique.

La sérologie amibienne est positive. Deux examens sont demandés : IFI et HAI ou ELISA.

Le traitement est médico-chirurgical :

- médical : restauration volémique et électrolytique en préopératoire ne dépassant pas 3 heures vu l’urgence ; amoebicides tissulaires :métronidazole (FLAGYL®) ou ornidazole (TIBERAL®), solution injectable pour perfusion, à la dose de 30 mg/Kg/j pendant au minimum 10 jours ; antibiotiques à large spectre systématiquement associés après recueil des selles pour coproculture et antibiogramme : cyclines (2 grs/j) par voie parentérale, traitement modifié selon les résultats des examens.

- chirurgical, précoce et conservateur : iléostomie associée ou non à une extériorisation des lésions, exérèse des lésions à la demandes sans rétablissement immédiat de la continuité en l’absence d’adhésions.

Dans le cas rapporté, le traitement a associé métronidazole, cyclines IV, colectomie droite avec iléostomie. Un amoebicide de contact (INTETRIX®: 1,50 g/j pendant 10 jours ) a été prescrit à la sortie du service de Réanimation au 10ème jour post-opératoire.

L’évolution a été favorable, le rétablissement de la continuité digestive été effectué un mois après l’intervention.

 

Références 

 

Aubry P., Oddes B., Béchade D. Les colites en zones tropicales. Acta Endoscopica, 1996, 26, 17-23.

 

Aubry P., Touze J.E. Amibiase colique maligne. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1999, pp. 23-24.

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 18/04/2003.