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Cysticercose oculaire : cas clinique

Cysticercose oculaire : cas clinique

 

Observation

Une femme malgache, âgée de 50 ans, consulte au Centre Hospitalier de Saovinandrina, à Antananarivo, pour une baisse progressive de la vision de l’œil droit évoluant depuis un mois. L’acuité visuelle est réduite à une vague perception lumineuse. L’examen bio-microscopique permet de noter une uvéite antérieure. Mais c’est surtout une hyalite massive qui attire l’attention au sein de laquelle se trouve une grosse masse kystique arrondie de 10 mm de diamètre, à bords nets, translucides. L’observation attentive permet de noter l’existence de mouvements péristaltiques à la surface du kyste lents et peu fréquents.

Deux jours après, un nouvel examen ophtalmologique montre au niveau de l’image kystique une formation allongée de 3 mm de long sur 1 mm de large évoquant fortement un scolex animé de mouvements.

 

Examens paracliniques :

NFS : 9 000 globules blancs, dont 12% d’éosinophiles (1 080/mm3)

Echographie oculaire mode B : image ronde intraoculaire de l’œil droit, décollement de rétine total

Scanner cérébral : absence de lésion

Radiographie des parties molles : calcifications au niveau des muscles de la cuisse, de l’aile iliaque et du psoas gauches.

Examen parasitologique des selles : présence d’œufs de tænia

 

Quel est votre diagnostic ?

Quelle est l’épidémiologie de cette maladie ?

Quel est le traitement ?

Quelle est la prévention ?

 

Discussion

Chez cette femme malgache présentant une tumeur kystique à contours nets du globe oculaire droit, le diagnostic le plus probable est celui d’une cysticercose oculaire. La mise en évidence d’œufs de tænia dans les selles affirme l’existence d’un tæniasis (mais il n’est pas possible de distinguer les œufs de Tænia solium et de Tænia saginata).

C’est la larve de Tænia solium (Cysticercus cellulosae) qui est la cause de la cysticercose. T. solium vit à l’état adulte dans l’intestin grêle de l’homme et émet des anneaux remplis d’œufs dans les selles. Ceux-ci sont ingérés par un hôte intermédiaire (le porc ou le phacochère), gagnent les tissus et donnent des larves. L’homme s’infecte en mangeant de la viande de porc non ou mal cuite : c’est le tæniasis. Dans la cysticercose, l’homme ingère par l’intermédiaire des végétaux souillés, des eaux, de la terre (géophagie), des mains sales, des œufs et non des larves : c’est la voie exogène. Dans certains cas, l’homme peut s’auto infecter : les anneaux remontent de l’intestin grêle vers l’estomac, ils sont lysés par le suc gastrique et libèrent des embryons qui perforent la paroi gastrique, gagnant les tissus et donnent des larves : c’est la voie endogène.

Quel que soit le mécanisme, les larves vont se localiser dans différents organes, essentiellement le système nerveux central, soit dans le cortex ou à sa surface, soit au niveau des ventricules cérébraux,  l’œil et ses annexes, le tissu cellulaire sous-cutané et les muscles.

Dans la cysticercose oculaire, la larve pénètre au niveau de l’œil soit par l’artère centrale de la rétine donnant des localisations intra vitréennes, soit par l’intermédiaire de la circulation uvéale, donnant des localisations sous-rétiniennes. La localisation vitréenne est la plus fréquente. L’aspect du cysticerque vitréen est assez proche de celui d’un cristallin luxé dans le vitré. La vésicule, cernée d’un contour irisé, est animée de mouvements péristaltiques, déclenchés par la lumière. Le scolex peut être dévaginé ou invaginé. En l’absence  de traitement, l’évolution se fait vers des complications inflammatoires majeures entraînant décollement de rétine, hypertonie et cataracte secondaire.

C’est une maladie de répartition mondiale liée aux mauvaises conditions d’hygiène. Elle est endémique en Amérique latine  y compris les Iles de la Caraïbe anglophone (mais est exceptionnelle dans les Antilles françaises) ; en Asie du sud-est ; en Australie ; en Afrique noire (Afrique du Sud, Cameroun, Rwanda, Burundi, République Démocratique du Congo, Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin). Elle est devenue peu fréquente à l’île de La Réunion grâce à une prévention active. Elle reste un problème de santé publique à Madagascar.

Le diagnostic est facile si le kyste est palpable (tissu sous-cutané, muscles), ou visible (radiographies simples montrant des kystes calcifiés, examen ophtalmologique).

L’origine géographique, l’hyperéosinophilie sanguine, en règle modérée, la présence d’œufs ou d’anneaux de tænia dans les selles, les radiographies simples du crâne et des parties molles montrant des kystes calcifiés ovalaires de 5 à 15 mm de longueur sont, dans le cas présenté, des éléments importants du diagnostic de cysticercose.

Le bilan doit être complété par la sérologie  par méthode ELISA, Western blot, Western blot modifié ou EITB, immunocapture d’antigènes circulants Mais, dans la cysticercose oculaire, la sérologie est négative, car l’œil est immunologiquement en milieu protégé. C’est l’étude de l’humeur aqueuse ou du liquide sous rétinien qui permet le diagnostic immunologique.

Le traitement de la cysticercose est médico-chirurgical. Le traitement médical repose sur deux cestocides : le praziquantel (Biltricideâ) à la posologie de 50 mg/kg/j en cures de 15 jours, et l’albendazole (Zentelâ) à la posologie de 15 mg/kg/j en cures de 15 jours, sous couvert de corticoïdes, vu la fréquence de la réaction inflammatoire locale à la mort du kyste. Ce risque est majeur en cas de cysticercose cérébrale.

Dans la cysticercose oculaire, le traitement médical et le traitement chirurgical sont toujours associés. Dans les kystes intra vitréens (cas présenté), la technique est une vitrectomie partielle suivie d’une aspiration de la larve. Elle permet l’ablation du kyste sans fragmentation de celui-ci, en diminuant considérablement le risque inflammatoire. Elle permet l’examen anatomo-pathologique du kyste en totalité. Il faut insister sur l'importance d'un examen ophtalmologique systématique avant tout traitement cestocide, compte-tenu de la grande quantité d'antigènes libérés en cas de traitement avec des réactions inflammatoires et des phénomènes de nécrose tissulaire pouvant conduire à la perte de la vision.

La prévention consiste en un traitement de masse par praziquantel (10 mg/kg en une prise) : il déparasite les porteurs de Tænia solium disséminateurs d’œufs. L’éradication de la ladrerie du porc  permet d’entraîner une chute de la prévalence. Mais, c’est la modification des habitudes alimentaires et la lutte contre le péril fécal pour stopper la transmission féco-orale qui permettent l’éradication de la cysticercose. 

 

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Professeur Pierre Aubry. Texte revu le 27/06/2007.

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Cysticerque intra vitréen : scolex au fort grossissement Cysticerque intra vitréen : aspect de cristallin luxé dans le vitré
Cysticerque intra vitréen : scolex dévaginé