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Cas clinique

 

Cas clinique. Dermatophytie chez un tchadien de 35 ans séropositif.

 

Observation

 

Un homme de 35 ans, chauffeur, marié, consulte à Doba, situé à 700 km de la capitale N’Djamena de la République du Tchad, pour de vastes lésions cutanées prurigineuses, circonscrites, d'évolution centrifuge, siégeant d'une part au niveau de l'hémithorax gauche s'étendant à la région latérocervicale homolatérale (figure 1), d'autre part de la racine de la cuisse gauche, gagnant la fesse, le flanc gauche et la région péri-lombaire homolatérale (figure 2).

Le début de la maladie remonte à un mois. Le malade décrit l'atteinte initiale comme de petites lésions cutanées circonscrites par des “boutons”, très prurigineuses, s'étendant de façon centrifuge.

Ce malade a été traité il y a 15 mois pour une pneumopathie aiguë. La radiographie a montré un syndrome de condensation pulmonaire. L'IDR à la tuberculine était positive à 5 mm. La recherche de bacilles alcoolo-acido-résistants dans les crachats à été négative. Il n'a pas été pratiqué de tubage gastrique. Il a été noté une guérison clinique et radiologique après traitement par cotrimoxazole.

L'examen clinique retrouve les lésions cutanées décrites par le malade : vastes placards plus ou moins arrondis recouverts de squames, bordés de petites vésicules très prurigineuses comme en témoignent les lésions de grattage.

Le malade est fébrile (température 37,6°C, pouls à 96/mm) la tension artérielle à 120/63 mm Hg. Il accuse un amaigrissement d’une dizaine de kg (poids actuel : 62 kg, poids antérieur : 74 kg).

 

Examens par acliniques :

- NFS : taux d'hémoglobine à 11 g/d

- Bilan biologique : glycémie, créatininémie, transaminases sériques, gamma GT dans les limites de la normale

- Anticorps anti-VIH positif

-  Taux des CD4 : 275/mm3

 

Quel est votre diagnostic?

Quel est l’examen para clinique qu'il faut demander pour confirmer ce diagnostic?

Quel est le traitement que vous prescrivez?

Quelle est l'évolution attendue chez ce malade, compte-tenu de la positivité des anticorps anti VIH?

 

Discussion

 

Les lésions cutanées extensives évoquent une dermatophytie de la peau glabre. Elles réalisent des placards prurigineux, très étendus, limités par une bordure active vésiculeuse et squameuse. La lésion de la cuisse gauche déborde largement y compris vers la région inguino-crurale réalisant un eczéma marginé de Hébra, souvent associé à la dermatophytie sur la peau glabre.

Le caractère profus des lésions est dû à l'infection à VIH/Sida avec un taux de CD4 inférieur à 350/mm3. Chez ce malade, l'atteinte de l'état général (fébricule, amaigrissement), l'antécédent de pneumopathie aiguë bactérienne, la dermatophytie extensive imposaient la recherche des anticorps anti-VIH.

Les dermatophyties chez les sujets VIH positifs peuvent se présenter sous différents aspects cliniques : onychomycose, intertrigo, herpès circiné, teigne du cuir chevelu. Des formes profuses ou atypiques ont été décrites : teigne étendue du cuir chevelu, kératodermie palmo-plantaire, trichophytie disséminée comme dans le cas présent.

 

Bien que l'aspect clinique des lésions soit très évocateur, il est préférable, lorsqu’on a un laboratoire bien équipé à disposition, de faire un prélèvement mycologique pour confirmer le diagnostic. Le prélèvement s'effectue avec un grattoir de Vidal ou un vaccinostyle et le matériel prélevé est recueilli dans une boîte de Pétri. Les lésions squameuses sont prélevées en périphérie. Au niveau des plis, les lésions peuvent être suintantes et il faut prélever au moyen d'un écouvillon. Les prélèvements sont examinés à l'examen direct, qui met en évidence des filaments mycéliens, et ensemencés sur milieu de Sabouraud. Les dermatophyties se développent à la température de 20 à 27°C, leur croissance est lente et leur identification n'est possible qu'au bout de 1 à 4 semaines. Le dermatophyte le plus souvent incriminé est Trichophyton rubrum. La transmission est inter humaine directe ou indirecte par l'intermédiaire des sols.

La guérison des lésions par la griséofulvine a confirmé, dans notre observation, le diagnostic de dermatophytie posé par la clinique.

 

Le traitement repose; en effet, sur la griséofulvine (GRISEFULINE®) qui est active par voie orale, à la posologie d'un gramme par jour (dose adulte) en 2 prises. Dans les dermatophyties extensives, ce traitement doit être poursuivi jusqu'à la guérison clinique, voire prolongé quinze jours après la guérison. Le traitement local par les dérivés de l'imidazole, commercialisés sous forme de crème, pommade, aérosol ou lotion, est associé pendant 2 à 4 semaines. 

 

Les dermatophyties surviennent en général précocement dans l'histoire naturelle de l'infection par le VIH, en moyenne pour un taux de lymphocytes CD4 de 500/mm3. Chez notre malade, la dermatophytie disséminée témoigne d'un déficit immunitaire important chiffré à 275 CD4/mm3. Ce taux de CD4 impose une trithérapie par les antirétroviraux (ARV). En l'absence de mise sous ARV, le malade va obligatoirement présenter d'autres infections opportunistes dont la gravité sera corrélée au taux de CD4. Il faut pratiquer un bilan para clinique à la recherche d'autres infections opportunistes, en particulier, compte-tenu des antécédents pulmonaires, d'une tuberculose, le traitement des infections opportunistes devant être débuté  avant la mise sous ARV.

 

Références

 

Piérard G.E., Caumes E., Franchimont C., Estrada J.A. Dermatologie tropicale. Editions de l'Université de Bruxelles, 1993, pp. 273-280

 

Janier M., Caumes E. Manifestations dermatologiques de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine. Encycl. Med. Chir. (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris (tous droits réservés) Dermatologie, 98-455-A-10, Maladies infectieuses, 8-050-D-20, 2002, 17 p.

Collections: Dr. Houchinné Lemone (N'Djamena)

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Docteur Houchinné LEMONE, Professeur Pierre AUBRY. Texte rédigé le 16/02/2009.