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Méningite à éosinophiles : cas clinique.

 

Observation

 

Un Européen, âgé de 37 ans, mécanicien à Nouméa, consulte au service de Médecine Interne du  CHT pour des céphalées pulsatiles, temporo-pariétales, des nausées, des paresthésies au niveau du membre inférieur droit (MID), du flanc gauche, des épaules, des mains et des pieds à type de picotements, de prurit apparues le même jour. Il est fébrile et fatigué.

A l’examen, la température est à 38° C. On note une hyperesthésie très vive arrachant des gémissements au moindre effleurement, donnant une sensation de piqûres d’aiguilles, en particulier au niveau du MID. La nuque est « un peu » raide, la mobilisation du rachis est douloureuse dans son ensemble. Il y a une diminution de la force musculaire au niveau du MID avec un déficit des releveurs du pied. Les ROT sont symétriques, le réflexe cutané-plantaire en flexion.

 

Examens paracliniques :

VSH : 6 mm à la première heure, CRP < 3,5 mg.l

NFS : globules blancs : 12 500/mm3, polynucléaires neutrophiles : 63%, éosinophiles : 13%

(1 625/mm3)

FODG : normaux

LCR : liquide hypertendu, légèrement trouble, contenant 220 el/mm3, dont 70% d’éosinophiles, protéines : 0,80 g/l, glucose : 3,7 mmol/l, chlorures : 120 mmol/l

Examen parasitologique des selles : négatif

EEG : tracé mal structuré et mal modulé, témoignant d’une souffrance cérébrale temporale sous-corticale

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens paracliniques sont utiles pour confirmer ce diagnostic ?

Quels sont les principales causes des éosinophilies rachidiennes ?

Quel traitement proposez-vous ?

Quelle est la prévention de cette maladie ?

 

Discussion

 

Il s’agit dune méningite à éosinophiles, le syndrome méningé étant limité à des céphalées, une fièvre à 38° C, une nuque un peu raide, mais douloureuse ; le rachis étant douloureux dans son ensemble. A ce syndrome méningé sont associées des paresthésies.

Dans le Pacifique, une méningite à éosinophilies évoque d’emblée une Angiostrongylose à Angiostrongylus cantonensis. Cette impasse parasitaire, d’abord reconnue en Nouvelle-Calédonie, à Tahiti, en Thaïlande a été ensuite signalée dans les autres îles du Pacifique, en Asie du sud-est, dans l’Océan indien (Ile de la Réunion, Mayotte). Des cas isolés ont été rapportés en Afrique noire (Côte d’Ivoire), dans les Caraïbes (Cuba), en Australie.

Angiostrongylus cantonensis est un parasite du rat. Les larves éliminées dans les selles des rats doivent poursuivre leur cycle évolutif chez des mollusques : il s’agit d’escargots ou de limaces, en particulier d’Acanthina fulica. L’homme peut s’infecter en mangeant crus ou mal cuits des mollusques (Thaïlande) ou, surtout, des crustacés d’eau douce (crevettes, crabes) ou des fruits ou des salades contaminés.

Les larves infectantes ingérées ne peuvent poursuivre chez l’homme leur développement et se localisent en particulier au niveau du système nerveux central et des globes oculaires. L’Angiostrongylose est une impasse parasitaire, l’homme est un hôte accidentel. Elle affecte, en pays d’endémie, surtout les enfants, y compris les nourrissons.

La symptomatologie clinique est dans le cas présenté classique. Après une incubation de 16 jours en moyenne, quatre aspects cliniques peuvent se voir :

- une forme céphalalgique mono symptomatique à localisation temporo-occipitale ou fronto- temporale, céphalées permanentes avec des paroxysmes surtout nocturnes, et une fièvre discrètement élevée,

- un syndrome méningé isolé ou associé à de signes de souffrance cérébrale, à une atteinte des nerfs crâniens,

- un syndrome douloureux radiculaire souvent associé à des épisodes céphalalgiques,

- une paralysie isolée d’un nerf  crânien : nerf facial, réalisant une paralysie faciale périphérique, nerfs oculomoteurs pouvant réaliser une diplopie isolée par atteinte du nerf moteur oculaire externe.

Ces différents aspects peuvent être plus ou moins associés.

Il faut donc penser à une Angiostongylose nerveuse dans le Pacifique, en Asie du sud-est, dans l’Océan indien devant des céphalées isolées, une douleur radiculaire, une paralysie d’un nerf crânien. Seul l’examen du LCR apporte le diagnostic d’éosinophilie rachidienne.

Le diagnostic de certitude d’Angiostrongylose nerveuse est apporté par l’immuniologie (ELISA). La mise en évidence directe du parasite dans le LCR est exceptionnelle. L’électroencéphalogramme, l’imagerie médicale (scanner, IRM) ne sont pas spécifiques. Le scanner est en règle normal, l’IRM est plus sensible, mettant en évidence des hypersignaux de la substance blanche.

D’autres causes de Méningite à éosinophiles sont connues :

- causes non parasitaires : lymphome, sarcoïdose, infections virales, bactériennes, mycosiques, prise médicamenteuse (ibuproféne, ciprofloxacine)

- causes parasitaires : on cite les Schistosomoses (Schistosomose à Schistosoma japonicum), les distomatoses (distomatoise à Fasciola hépatica), la toxocarose ; mais, on retient surtout la Gnathostomose, la Paragonimose et la Cysticercose.

 

 

 

 

Angiostrongylose

 

 

Gnathostomose

 

Paragonimose

 

Cysticercose

 

Parasite

 

Angiostongylus cantonensis

 

Gnathostoma spinigerum

 

Paragonimus westermani

 

Cysticercus cellulosae

 

 

Géographie

 

 

 

Pacifique,

Asie du sud-est,

Océan indien

 

Asie du sud-est

 

Asie,

Afrique,

Amérique du sud

 

Amérique latine, Asie, Australie, Océan indien, Afrique noire

 

 

Epidémiologie

 

 

HD : rats

HI : mollusques,

      Crustacés

 

 

HD : chiens, chats

HI : poissons

 

HD : chats, chiens,

        porcs

HI : mollusques

      crustacés

 

 

HD : hommes

HI : porcs, hommes

 

Symptomatologie

 

 

Méningoencéphalite

 

Myeloencéphalite

 

Méningoencéphalite

 

Méningoencéphalite

 

Diagnostic

 

 

ELISA

 

ELISA

 

ELISA

Scanner

 

ELISA, EITB

Scanner

 

 

Traitement

 

 

symptomatique

 

Mébendazole

Extirpation chirurgicale

 

Praziquantel

 

Albendazole

Praziquantel

Extirpation chirurgicale

 

 

Aucune thérapeutique médicamenteuse n’est active dans l’Angiostrongylose : albendazole,  thiabendazole, ivermectine ont été prescrits sans aucune efficacité. Le traitement est donc symptomatique, ponctions lombaires décompressives, antalgiques.

Dans l’ensemble, le pronostic est excellent, Des formes mortelles à type de radiculomyéloencaphalite sont signalées chez le petit enfant à Mayotte.

Dans l’observation rapportée, il est apparu une diplopie au 8ème jour d’évolution. Une PL de contrôle faite au 10ème jour d’évolution a montré une hypercytose à 580 el/mm3 avec 83% de polynucléaires éosinophiles. Compte tenu de l’amélioration clinique, le LCR n’a pas été contrôlé par la suite. Des paresthésies étaient toujours signalées par le patient 2 mois après l’épisode aigu.

La prévention consiste dans la lutte contre les rats, la consommation de crustacés bien cuits ou au préalable congelé, le nettoyage des fruits et légumes.

 

 

Références

 

Schollhammer G., Aubry P., Rigaud P. Quelques réflexions sur la méningite à éosinophiles à Tahiti. Etude clinique et biologique de 165 observations, à propos d’un cas atypique. Bull. Soc. Path. Exot., 1966, 59, 341-349.

 

Aubry p., Touze J.E. Méningite à éosinophiles. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp. 97-98.

 

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Syndrome méningé au retour de Polynésie. Médecine Tropicale au quotidien. Format utile. Editions Varia, 2001, pp. 152-153.

 

Graber D., Hebert J.C., Jaffar-Bandjee M.C., Alessandri L.J., Combes J.C. Formes graves de méningites à éosinophiles chez le nourrisson à Mayotte. A propos de 3 observations. Bull. Soc. Path. Exot., 1999, 92, 164-166.

 

De Roux-Serratrice C., Allègre T., Bensaïd T., Bigorgne C., Vassal D., Cailléres S. Méningite à éosinophiles au retour de Tahiti. Presse Méd., 2002, 31, 1219.

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 10/05/2004.