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Erythème noueux lépreux chez un Européen

 

Erythème noueux lépreux chez un Européen : cas clinique.

 

Observation

 

Un homme de 62 ans, européen, ancien officier de  marine marchande, ayant navigué dans l’Océan pacifique (Polynésie, Nouvelle-Calédonie) jusqu’à sa retraite il y a 2 ans, est hospitalisé à Marseille pour une poussée d’éléments nodulaires cutanés et des douleurs au niveau des membres.

Il a été hospitalisé une première fois il y a six mois pour une fièvre prolongée, des arthro-myalgies diffuses et des nouures douloureuses au niveau des cuisses, des membres supérieurs et de l’abdomen. Le diagnostic de périartérite noueuse a alors été porté sur une biopsie cutanée et le malades mis sous corticoïdes : prednisone, 1 mg/kg/j pendant 4 semaines, puis à doses  dégressives. Sous l’influence du traitement, le malade s’est rapidement amélioré, jusqu’à la poussée actuelle datant de 7 jours.

L’examen clinique  objective :

- des nouures disséminées sur le revêtement cutané dont certains sont nécrotiques, 

- une multinévrite hyperalgique avec des troubles moteurs et sensitifs au niveau des membres : anesthésie en chaussette, déficit des releveurs des pieds, steppage, hypertrophie du nerf cubital droit, amyotrophie du premier interosseux droit et de la partie interne de l’avant-bras droit,

- de petites polyadénopathies axillaires, cervicales et inguinales.

La température est à 37,8°C, la TA à 145/ 85 mm/Hg.

L’interrogatoire orienté apprend que le malade a présenté il y a 2 ans, à son retour du Pacifique, des lésions cutanées à type de placards érythémateux sur l’abdomen et les flancs, et qu’il a consulté à plusieurs reprises en ORL pour une rhinite et une laryngite chroniques.

 

Examens paracliniques :

- VSH à 66 mm à la 1ére heure,

- NFS : 11 600 globules blancs, dont 76% de polynucléaires neutrophiles,

- CRP : 84 mg/l

- Créatininémie : 18 mg/L, protéinurie : ++

- Biopsie cutanée : épiderme normal, granulome inflammatoire dermo-hypodermique polymorphe riche en polynucléaires à noyaux parfois fragmentés, à renforcement péri vasculaire avec infiltration et nécrose fibrinoïde de la paroi des vaisseaux. Une coloration de Ziehl-Nelsen apporte le diagnostic.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quelle est la pathogénie de cette maladie ?

Quel traitement allez-vous prescrire ?

 

Discussion :

 

Le diagnostic de périartérite noueuse (PAN) a été porté il y a six mois sur l’examen histologique d’une biopsie cutanée. Le malade est depuis lors sous corticoïdes à doses dégressives. Le tableau clinique, fait alors de fièvre, de nouures et d’arthro-myalgies, se complète d’une multinévrite hyperalgique et de polyadénopathies. Ce malade a séjourné de nombreuses années  dans des pays d’endémie lépreuse. Le diagnostic d’érythème noueux lépreux aurait du être évoqué cliniquement. Il est porté par la mise en évidence de bacilles de Hansen (BH) ou Mycobactérium leprae granuleux à la coloration de Ziehl-Nelsen de la biopsie cutanée. Le frottis de mucus nasal montre la présence de BH.

Il s’agit donc d’un ENL ou réaction lépreuse de type 2 chez un lépreux lépromateux (LL) méconnu.

L’ENL est en relation avec la présence d’immuns complexes circulants qui précipitent dans la paroi des vaisseaux et fixent le facteur C3 du complément provoquant une altération brutale de la paroi vasculaire et réalisant une réaction de type phénomène d’Arthus.

Il survient spontanément ou au cours d’un traitement anti bacillaire; Il est  souvent déclenché par une infection intercurrente, une intervention chirurgicale, un accouchement ou un avortement.

Les lésions siégent surtout dans la partie moyenne et profonde du derme et dans la partie superficielle de l’hypoderme. Elles associent des vascularites nécrosantes leucocytoclasique touchant les petits ou moyens vaisseaux (les tuniques vasculaires sont dissociées par un infiltrat massif de leucocytes altérés et des foyers de nécrose fibrinoïde détruisent les parois vasculaires) et un granulome macrophagique riche en cellules spumeuses modifié par un œdème et un afflux brutal de polynucléaires neutrophiles avec formation de micro abcès.

L’ENL se caractérise non seulement par une éruption de nouures évoluant par poussées,  mais aussi par de multiples manifestations extra-cutanées pouvant accompagner ou remplacer l’éruption :  névrite, arthrite, orchite, adénite, néphrite, iridocyclite,… Ces manifestations, lorsqu’elles sont isolées, réalisent les « équivalents réactionnels ».

La névrite met en cause le pronostic fonctionne, la néphrite le pronostic vital. Les lésions histologiques observées à la ponction biopsie rénale sont à type de glomérulonéphrite extra-membraneuse ou membrano-proliférative.

Deux types de réactions lépreuses sont observées au cours de la lèpre. Les principales caractéristiques sont rappelées dans le tableau ci-dessous.

 

 

 

Réaction reverse (type 1)

 

 

Erythème noueux lépreux (type 2)

 

 

Type de lèpre

 

Mécanisme

 

 

Relation avec le traitement

 

Clinique

 

 

 

 

Bactériologie

 

Histopathologie

 

 

 

Traitement antiréactionnel

 

 

 

 

Borderline

 

Récupération d’une immunité à médiation cellulaire

 

Fréquente

 

Poussée inflammatoire des lésions cutanées et nerveuses pouvant aller jusqu’à la nécrose

 

 

M. leprae rares ou absents

 

Granulome tuberculoïde actif      

  + œdème

 

 

Prednisone

Clofazimine

Décompression nerveuse chirurgicale

 

 

 

Lépromateuse

 

Immuns complexes circulants

 

 

Habituelle avec les sulfones

 

Erythème noueux, fièvre, manifestations extra cutanées : névrite, adénite, néphrite, orchite, uvéite,…

 

M. leprae présents

 

Granulome type Virchow   

  + vascularite nécrosante  leucocytoclasique (Arthus)

 

Thalidomide

Prednisone

Clofazimine

 

Le traitement médical de l’ENL associe la thalidomide (CONTERGAN) ® et la clofazimine (LAMPRENE®). La thalidomide est prescrite à la dose de 400 mg/j répartis en 2 prises. Son effet est généralement spectaculaire : en 2 à 4 jours, la poussée est stoppée. Dès l'arrêt de la poussée, la posologie est diminuée de 100 mg par semaine, jusqu'à la dose de 100 mg/j, puis plus lentement : 50 mg/j pendant 15 jours, puis 50 mg tous les 2 jours pendant encore 15 jours. La thalidomide a un risque tératogène et est absolument contre-indiquée chez la femme en âge de procréer. Elle n’est disponible qu’à la Pharmacie Centrale des Hôpitaux et est toujours difficile à se procurer en zone tropicale.

Le clofazimine est prescrit à la dose de 300 mg/j, compte tenu de son action anti-inflammatoire.

En l'absence de thalidomide, on a recours à l'acide acétylsalicylique : 2 à 3 g/j, ou aux corticoïdes:  prednisone (CORTANCYL®) à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j. Cependant, la corticothérapie doit être évitée en raison d'une fréquence cortico-dépendance des poussées d'ENL. Récemment, l'efficacité de la pentoxifylline (TORENTAL®) a été rapportée à la dose de 1200 à 2 400 mg/j.

Chez ce malade, le traitement a consisté en CONTERGAN® et LAMPRENE®. L’évolution a été favorable, la névrite a cédé au traitement médical et n’a pas. nécessité de décompression chirurgicale.

Le traitement de la lèpre lépromateuse a été débuté associant rifampicine 10 mg/kg/j, disulone 1,5 mg/kg/j et clofazimine (poursuivi après guérison de l’ENL) à la dose de1mg/kg/j. Le traitement antihansénien doit durer 12 mois.

La biopsie cutanée qui avait fait porter le diagnostic de PAN a été revue. Une coloration de Ziehl-Nelsen a montré des BH granuleux. D’où l’intérêt, devant des manifestations cutanées ou extra-cutanées chez un malade ayant vécu en zone d’endémie lépreuse, de demander au laboratoire que tout prélèvement (biopsie cutanée, biopsie ganglionnaire,…) soit coloré pour la recherche de BH. Tout traitement agressif doit être exclu en l’absence de diagnostic de certitude : c’est le cas des corticoïdes qui peuvent masquer la symptomatologie et employer seuls, entraîner une dissémination des BH.

 

 

Références 

 

Aubry P., Barabé P., Darie H. Les manifestations viscérales de la lèpre. Acta leprologica, 1985, 3, 103-111.

Aubry P, Touze J.E. Erythème noueux lépreux. Cas cliniques en Médecine Tropicale, La Duraulié édit., 1990, pp. 113-114.

Bobin P. Lèpre. Encycl. Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-038-F-10, 1999, 17 p.

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Des nouures. Médecine Tropicale au quotidien, 100 cas cliniques.  Varia, Format utile édit., mars 2001, pp. 183-185.

-         Flageul B. Prise en charge médicale actuelle de la maladie de Hansen. Bull. Soc. Path. Exot., 2003, 96, 357-360.

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Iconographie

 

Erythème noueux lépreux

Collections : Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A Le Pharo (Marseille)

Lèpre : érythème noueux

 

Professeur Pierre Aubry. Texte mis à jour le 24/01/2007