Erythème noueux lépreux chez un Européen : cas
clinique.
Observation
- une multinévrite hyperalgique avec
des troubles moteurs et sensitifs au niveau des membres : anesthésie en
chaussette, déficit des releveurs des pieds, steppage, hypertrophie du nerf
cubital droit, amyotrophie du premier interosseux droit et de la partie interne
de l’avant-bras droit,
- de petites polyadénopathies
axillaires, cervicales et inguinales.
La température est à 37,8°C, la TA à
145/ 85 mm/Hg.
L’interrogatoire orienté apprend que le
malade a présenté il y a 2 ans, à son retour du Pacifique, des lésions cutanées
à type de placards érythémateux sur l’abdomen et les flancs, et qu’il a
consulté à plusieurs reprises en ORL pour une rhinite et une laryngite
chroniques.
Examens paracliniques :
- VSH à 66 mm à la 1ére heure,
- NFS : 11 600 globules blancs,
dont 76% de polynucléaires neutrophiles,
- CRP : 84 mg/l
- Créatininémie : 18 mg/L,
protéinurie : ++
- Biopsie cutanée : épiderme
normal, granulome inflammatoire dermo-hypodermique polymorphe riche en
polynucléaires à noyaux parfois fragmentés, à renforcement péri vasculaire avec
infiltration et nécrose fibrinoïde de la paroi des vaisseaux. Une coloration de
Ziehl-Nelsen apporte le diagnostic.
Quel est votre diagnostic ?
Quelle est la pathogénie de cette
maladie ?
Quel traitement allez-vous
prescrire ?
Discussion :
Le diagnostic de périartérite noueuse
(PAN) a été porté il y a six mois sur l’examen histologique d’une biopsie
cutanée. Le malade est depuis lors sous corticoïdes à doses dégressives. Le
tableau clinique, fait alors de fièvre, de nouures et d’arthro-myalgies, se
complète d’une multinévrite hyperalgique et de polyadénopathies. Ce malade a
séjourné de nombreuses années dans des
pays d’endémie lépreuse. Le diagnostic d’érythème noueux lépreux aurait du être
évoqué cliniquement. Il est porté par la mise en évidence de bacilles de Hansen
(BH) ou Mycobactérium leprae
granuleux à la coloration de Ziehl-Nelsen de la biopsie cutanée. Le frottis de
mucus nasal montre la présence de BH.
Il s’agit donc d’un ENL ou réaction
lépreuse de type 2 chez un lépreux lépromateux (LL) méconnu.
L’ENL est en relation avec la présence
d’immuns complexes circulants qui précipitent dans la paroi des vaisseaux et
fixent le facteur C3 du complément provoquant une altération brutale de la
paroi vasculaire et réalisant une réaction de type phénomène d’Arthus.
Il survient spontanément ou au cours
d’un traitement anti bacillaire; Il est
souvent déclenché par une infection intercurrente, une intervention
chirurgicale, un accouchement ou un avortement.
Les lésions siégent surtout dans la
partie moyenne et profonde du derme et dans la partie superficielle de
l’hypoderme. Elles associent des vascularites nécrosantes leucocytoclasique
touchant les petits ou moyens vaisseaux (les tuniques vasculaires sont
dissociées par un infiltrat massif de leucocytes altérés et des foyers de nécrose
fibrinoïde détruisent les parois vasculaires) et un granulome macrophagique
riche en cellules spumeuses modifié par un œdème et un afflux brutal de
polynucléaires neutrophiles avec formation de micro abcès.
L’ENL se caractérise non seulement par
une éruption de nouures évoluant par poussées,
mais aussi par de multiples manifestations extra-cutanées pouvant
accompagner ou remplacer l’éruption :
névrite, arthrite, orchite, adénite, néphrite, iridocyclite,… Ces
manifestations, lorsqu’elles sont isolées, réalisent
les « équivalents réactionnels ».
La névrite met en cause le pronostic
fonctionne, la néphrite le pronostic vital. Les lésions histologiques observées
à la ponction biopsie rénale sont à type de glomérulonéphrite extra-membraneuse
ou membrano-proliférative.
Deux types de réactions lépreuses sont
observées au cours de la lèpre. Les principales caractéristiques sont rappelées
dans le tableau ci-dessous.
|
Réaction
reverse (type 1)
|
Erythème
noueux lépreux (type 2)
|
Type de lèpre
Mécanisme
Relation avec le
traitement
Clinique
Bactériologie
Histopathologie
Traitement
antiréactionnel
|
Borderline
Récupération d’une
immunité à médiation cellulaire
Fréquente
Poussée inflammatoire des
lésions cutanées et nerveuses pouvant aller jusqu’à la nécrose
M. leprae rares ou absents
Granulome tuberculoïde actif
+ œdème
Prednisone
Clofazimine
Décompression
nerveuse chirurgicale
|
Lépromateuse
Immuns complexes
circulants
Habituelle avec les
sulfones
Erythème noueux,
fièvre, manifestations extra cutanées : névrite, adénite, néphrite,
orchite, uvéite,…
M. leprae présents
Granulome type Virchow
+ vascularite
nécrosante leucocytoclasique (Arthus)
Thalidomide
Prednisone
Clofazimine
|
Le traitement médical de l’ENL associe
la thalidomide (CONTERGAN) ® et la clofazimine (LAMPRENE®). La thalidomide est
prescrite à la dose de 400 mg/j répartis en 2 prises. Son effet est
généralement spectaculaire : en 2 à 4 jours, la poussée est stoppée. Dès
l'arrêt de la poussée, la posologie est diminuée de 100 mg par semaine, jusqu'à
la dose de 100 mg/j, puis plus lentement : 50 mg/j pendant 15 jours, puis 50 mg
tous les 2 jours pendant encore 15 jours. La thalidomide a un risque tératogène
et est absolument contre-indiquée chez la femme en âge de procréer. Elle n’est
disponible qu’à la Pharmacie Centrale des Hôpitaux et est toujours difficile à
se procurer en zone tropicale.
Le clofazimine est prescrit à la dose
de 300 mg/j, compte tenu de son action anti-inflammatoire.
En l'absence de thalidomide, on a
recours à l'acide acétylsalicylique : 2 à 3 g/j, ou aux corticoïdes: prednisone (CORTANCYL®) à la dose de 0,5 à 1
mg/kg/j. Cependant, la corticothérapie doit être évitée en raison d'une
fréquence cortico-dépendance des poussées d'ENL. Récemment, l'efficacité de la
pentoxifylline (TORENTAL®) a été rapportée à la dose de 1200 à 2 400 mg/j.
Chez ce malade, le traitement a
consisté en CONTERGAN® et LAMPRENE®. L’évolution a été favorable, la névrite a
cédé au traitement médical et n’a pas. nécessité de décompression chirurgicale.
Le traitement de la lèpre lépromateuse
a été débuté associant rifampicine 10 mg/kg/j, disulone 1,5 mg/kg/j et
clofazimine (poursuivi après guérison de l’ENL) à la dose de1mg/kg/j. Le
traitement antihansénien doit durer 12 mois.
La biopsie cutanée qui avait fait
porter le diagnostic de PAN a été revue. Une coloration de Ziehl-Nelsen a
montré des BH granuleux. D’où l’intérêt, devant des manifestations cutanées ou
extra-cutanées chez un malade ayant vécu en zone d’endémie lépreuse, de
demander au laboratoire que tout prélèvement (biopsie cutanée, biopsie
ganglionnaire,…) soit coloré pour la recherche de BH. Tout traitement agressif
doit être exclu en l’absence de diagnostic de certitude : c’est le cas des
corticoïdes qui peuvent masquer la symptomatologie et employer seuls, entraîner
une dissémination des BH.
Références
Aubry P., Barabé P., Darie H. Les
manifestations viscérales de la lèpre. Acta leprologica, 1985, 3,
103-111.
Aubry P, Touze J.E. Erythème noueux lépreux.
Cas cliniques en Médecine Tropicale, La Duraulié édit., 1990, pp. 113-114.
Bobin P. Lèpre. Encycl. Med. Chir.,
Maladies infectieuses, 8-038-F-10, 1999, 17 p.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Des
nouures. Médecine Tropicale au quotidien, 100 cas cliniques. Varia, Format utile édit., mars 2001, pp.
183-185.
-
Flageul B. Prise en charge médicale actuelle de la maladie
de Hansen. Bull. Soc. Path. Exot., 2003, 96,
357-360.
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Iconographie
Erythème noueux lépreux
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Collections : Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A Le Pharo (Marseille)
Professeur Pierre Aubry. Texte mis à jour
le 24/01/2007