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Cas clinique : Eumycérome d'une cheville chez un Mahorais

Cas clinique : Eumycérome d'une cheville chez un Mahorais

 

Observation

 

Un homme, âgé de 48 ans, originaire de la Grande Comore, vivant à Mayotte depuis 15 ans, cultivateur, marchant et travaillant pieds nus, consulte au Dispensaire de Koungou à Mayotte début juin 2005 pour une tuméfaction douloureuse de la cheville gauche.

Cette tuméfaction ferait suite à une blessure survenue en 1996 au niveau de la voûte plantaire du pied gauche, que le malade rattache à des petites huîtres. Il n'a consulté pour la première fois qu'en 1999, la lésion s'étant étendue vers la cheville. Plusieurs traitements antibiotiques et des soins locaux ont été prescrits entre 1999 et 2004, sans résultat.

A l'exame,n clinique, la cheville est tuméfiée, bosselée, chaude. La lésion joint les deux malléoles en passant par le talon (figure 1). La lésion est criblée d'orifices en pomme d'arrosoir d'où sourd du “pus”. Un prélèvement réalisé au dispensaire met en évidence des grains noirs visibles macroscopiquement.

L'état général est bon. Il n'y a pas d'adénopathies, notamment inguinales.

 

Examens paracliniques

 

VSH :  90 mm à la 1ère heure

CRP : 96 mg/l

NFS: 4 530 000 GR, taux d'Hb : 13 g/dl, 2 900 GB dont  polynucléaires neutrophiles : 1,7 giga/l, 228 000 plaquettes

Glycémie :4,74 mmol/l, créatininémie : 81 µmol/l

Sérologies VIH, HTLV1, VHA, VHB, VHC négatives

Radiographie de la cheville gauche : atteinte de la trame osseuse au niveau de l'astragale et du calcanéum.

Scanner de la cheville gauche : épaississement et infiltration du tissu cellulaire sous-cutané et de la peau, multiples géodes bien limitées, de tailles inégales, situées dans l'astragale et le calcanéum notamment, soit en topographie sous-chondrale, soit plus centrales dans le tissu spongieux (figure 2).

Prélèvement de”pus” adressé à Institut Pasteur de Paris qui identifie Exophila jeanselmei.

 

Questions

 

1- Quel est votre diagnostic?

2- Quelles sont les particularités  épidémiologiques de cette observation?

3- Comment interprétez-vous la neutropénie présentée par ce malade?

4- Quel est le traitement médical que vous prescrivez?

5- Quelle est l'évolution attendue sous traitement médical?

 

 Discussion:

 

1- Il s'agit à l'évidence d'un eumycétome fongique à grains noirs du à un champignon Exophila jeanselmei.

 

2- La zone d'endémie des eumycétomes se situe de part et d'autre du 15ème parallèle dans l'hémisphère Nord, passant par Dakar et Djibouti en Afrique, Madura en Inde, Mexico et Caracas en Amérique centrale. Le climat est de type tropical sec ou semi-aride, la pluviométrie annuelle inférieure à 800 mm et la végétation constituée d'arbustes épineux. Les champignons le plus fréquemment en cause sont Madurella mycetomi en Afrique, Madurella grisea  en Inde et en Amérique centrale.

Cette observation présente au point de vue épidémiologique une double originalité. Le mycétome est découvert hors de la zone d'endémie dans une île où le climat est tropical humide avec une pluviométrie annuelle de plus de 2 500 mm. L'agent pathogène est Exophilia jeanselmei, champignon exceptionnellement en cause dans les eumycétomes. C'est un champignon saprophyte des végétaux (épineux) et de sols. Or, la végétation de Mayotte ne comporte pas d'arbustes épineux. La blessure provoquée par les huîtres a pu constituer la porte d'entrée chez ce malade qui travaille pieds nus dans les champs

Notons que des foyers d'eumycétomes sont connus hors de la zone d'endémie, comme dans le sud de Madagascar qui a un climat sahélien.

 

3- La neutropénie est classiquement retrouvée à Mayotte dans la population noire et entre probablement dans le cadre des neutropénies dites “ethniques” du sujet noir. Il n'a pas été trouvé chez ce malade de signes d'immunodépression et les sérologies VIH et HTLV1 sont négatives.

 

4- Le traitement médical des eumycétomes repose sur les antifongiques : amphotéricine B, kétoconazole, itraconazole, terbinafine. Le malade a été traité par itraconazole (SPORANOX®), à la dose de 400 mg/j, la concentration minimale inhibitrice pour l'itraconazole étant de 0,5 µg/ml. Le traitement antifongique était prévu pendant un an, les conditions locales permettant un traitement médical coûteux au long cours.

 

5- La prise en charge des eumycétomes est médico-chirurgicale. Le traitement médical seul n'apporte pas la guérison. Notre observation en est la preuve, puisqu'au 9ème mois du traitement par itraconazole, il a été observé une rechute clinique et mycologique, ce qui a amené à un geste chirurgical radical, compte-tenu de l'atteinte osseuse (amputation de jambe au niveau du tiers inférieur). En pratique, on peut proposer en zone d'endémie, où le traitement médical ne peut être longtemps poursuivi, un traitement antifongique pendant deux mois en pré-opératoire, suivi d'une chirurgie conservatrice ou d'une chirurgie radicale en cas d'atteinte osseuse.

 

Références

Develoux M., Dieng M.T., N'Diaye B. Mycétomes. Encycl. Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-606-A-10, 2002, 11 p.

Severo L.C., Oliveira F.M., Vettorato G., Londero A.T. Mycetoma caused by Exophilia janselmei. Report of a case sucessfully treated by itraconazole and review of literature. Rev. Iberoam. Mico. 1999, 16, 57-59.

 

Dr. Judith Dendievel et Pr. Pierre Aubry, texte rédigé le 18/09/ 2007.

Collections : Judith Dendiével

Face postérieure de la cheville
Nombreuses lacunes osseuses (en bleu)