Filariose lymphatique surinfectée: cas
clinique.
Observation
Un homme de 48 ans, de nationalité
malgache, habitant à Vavatenina sur la côte est de
Madagascar, au nord de Toamasina (Tamatave)se présente à la consultation de Médecine Interne de
l’Hôpital de Toamasina pour une fièvre à 39,5°C évoluant depuis 5 jours, des
céphalées, des douleurs lombaires et des brûlures mictionnelles. Il est porteur
d’un éléphantiasis des membres supérieur et inférieur gauches, ainsi que des
organes génitaux externes. Il présente depuis plusieurs mois une chylurie
intermittente.
A l’examen clinique, la température est
à 39,6°C, le pouls à 116/mm, la TA à 130/70 mmHg. L’auscultation cardiaque et
pulmonaire sont normales, l’abdomen souple, indolore,
le foie et la rate non palpés. Les fosses lombaires sont douloureuses à la
palpation. Le scrotum est épaissi et les testicules sont palpés à travers une
lame d’hydrocèle. Le toucher rectal montre une prostate de volume sensiblement
normal, homogène.
Le bras et la jambe gauches sont
hypertrophiés et le siége d’une pachydermie. La peau est sèche, ichtyosique,
hyperpigmentée. Lorsqu’on la pince, on perçoit une hypertrophie scléro-fibreuse
du derme et de l’hypoderme. On note quelques excoriations sur cette peau
épaissie. La pression digitale ne donne pas de signe du godet et est indolore.
Le patient indique que cet état s’est
constitué progressivement à la suite d’épisodes lymphangitiques aigus. Il n’est pas noté d’adénopathies
inguinales ou axillaires, ni de varices veineuses ou lymphatiques.
Examens paraclinques :
VSH : 72 mm à la première heure
NFS : taux d’Hb : 14,9
g/dl ; globules blancs : 14 000/mm3, polynucléaires
neutrophiles : 90%, éosinophiles 3% (420/mm3);
plaquettes : 450 000/mm3.
Créatininémie : 12 mg/l ;
glycémie : 0,85 g/l ; protides totaux : 60 g/l, albumine :
27,3 g/l, a1
globulines : 3,1 g/l, a2-globulines :
7,6 g/l, b-globulines :
7,8 g/l, g-globulines :
14,1 g/l. Le tracé electrophorétique est normal.
Lipides totaux : 6 g/l,
cholestérol total : 2,4 g/l, triglycérides : 1,60 g/l.
Examen des urines : protéinurie
des 24 heures : 1, 2g, lipurie : 4,7 g (chylomicrons).
ECBU :
nombreuses hématies, leucocytes en nappes (polynucléaires et lymphocytes),
absence de cristaux, de cylindres et de parasites. Compte de germes > 10 4/ml. Compte d’Addis : 80 000 leucocytes/mn,
150 000 hématies/mn. Uroculture :
stérile.
Hémocultures : isolement dans 3
hémocultures d’un Staphylococcus aureus méticilline
sensible.
Radiographie thoracique : ITN.
Abdomen sans préparation ; absence
de calcification abdominale.
Echographie abdominale :refoulement vésical.
Echographie testiculaire :
hydrocèle bilatéral.
Quels sont les diagnostics
portés ?
Quel est le point de départ probable de
la septicémie à staphylocoques ?
Quels sont les examens complémentaires
utiles au diagnostic de la maladie causale ?
Quels sont les traitements que vous
allez prescrire ?
Quelles sont les préventions des 2
affections?
Discussion
Il s’agit d’une septicémie à Staphylocosccus aureus chez un malade présentant une
filariose lymphatique chronique : éléphantiasis des membres et du scrotum,
hydrocèle bilatéral, chylurie, manifestations tardives dues au blocage
lymphatique par les macrofilairres (FA).
La filariose lymphatique à W. bancrofti est répandue à travers le
monde : Afrique, Amérique, Caraïbes, Asie, Océan indien (Madagascar,
Comores), Iles du Pacifique (W. bancrofti variété pacifica). En Asie, la filaire en
cause est Brugia malayi. Vavatenina,
sitée sur la côte est de Madagascar, est dans la zone
d’endémie de la filariose lymphatique à Wuchereria bancrofti (prévalence estimée à 28%).
Les vecteurs de la filariose
lymphatique sont à la fois les Culex (en particulier Culex quinquefasciatus), les Anophèles,
les Aedes et les Mansonia.
Le ver adulte (FA) vit dans las vaisseaux lymphatiques de
l’homme qu’il obstrue, les embryons ou microfilaires (mf) dans la lymphe et le
sang.
La circulation sanguine des mf
se fait selon un rythme circadien préférentiellement nocturne. La latence
clinique de la filariose lymphatique est étonnante et le malade consulte
souvent en zone d’endémie à un stade avancé : éléphantiasis, chylurie
témoignant de fistules lympho-urinaires, comme dans l’observation rapportée.
C’est souvent à l’occasion de complications infectieuses que le malade consulte :
il s’agit ici d’une septicémie à staphylocoques dont la porte d’entrée est
probablement cutanée. Au niveau de l’éléphantiasis, la peau épaisse se couvre
de bourrelets séparés par des sillons au fond desquels une macération favorise
les surinfections bactériennes et mycosiques.
Le bilan n’a pas été poursuivi :
il aurait pu être complété par une urographie intraveineuse, en raison de la
dysurie, et, en l’absence de scanner, par une lymphographie qui aurait montré
l’étendue des varices lymphatiques.
Le diagnostic est, au stade de
filariose chronique, clinique. Le diagnostic de certitude est rarement apporté
au stade chronique par la mise en évidence des mf
dans le sang et dans les urines, même en répétant les examens. La recherche de mf était ici négative (sang, urines). La sérologie
filarienne (IFI, ELISA) est peu contributive (nombreuses
réactions croisées). Elle est positive dans le cas présenté à 1/640ème
en IFI (seuil de positivité : 1/80ème). La recherche par ELISA
de l’antigène OG4C3 est spécifique de W. bancrofti, mais nécessite un laboratoire spécialisé.
Le traitement de la septicémie à
staphylocoque comprend obligatoirement en une bithérapie par oxacilline
(BRISTOPENâ) 100 mg/kg/j)
et aminoside (gentamicine [GENTALLINEâ) 3mg/kg/j les 5 premiers jours, le staphylocoque étant méti-S. Il a été associé un traitement local par un
antiseptique (permangante de potassium). L’évolution
a été favorable, le traitement par oxacilline a été poursuivi 15 jours. Il n’y
avait pas de localisation métastatique septique évidente.
Compte tenu de l’ancienneté de la
maladie et de l’absence de mf, aucun traitement filaricide n’est à priori utile. Il a été prescrit de l’albendazole
(ZENTELâ) à la dose de
400 mg , 2 fois par jour, pendant 21 jours. L’albendazole est, en effet, avec l’ivermectine
(MECTIZANâ) et la diérthylcarbamazine [DEC] (NOTEZINEâ),
actuellement abandonnée à titre curatif, un microfilaricide.
En pratique, le traitement de la filariose chronique est chirurgical. Il
comporte la réduction des tissus éléphantiasiques, un recouvrement par greffes dermo-épidermiques et la ligature des fistules
lymphatiques. Aucun traitement chirurgical n’a été fait ici.
La prévention, dans les pays où il n’y
a ni onchocercose, ni loase, comme Madagascar, est
basée sur la prise unique et annuelle pendant 4 à 6 ans de :
- albendazole 400 mg + DEC 6 mg/kg,
- (ou) albendazole
400 mg + ivermectine 200 µg/kg ,
- (ou) substitution de sel de cuisine
par du sel riche en DEC (0,2-0,4 %) pendant une durée minimale de 12 mois. C’est
cette prévention qui a été choisie à Madagascar.
Références
Aubry P, Touze J.E. Filariose
lymphatique. Cas cliniques en Médecine Tropicale. Les Duraulié édit., 1990, pp.
6&-63.
Karam M, Ottesen E. La lutte contre les filarioses lymphatiques. Med. Trop., 2000, 60, 291-296.
Touze J.E., Peyron
F., Malvy D. Une grosse bourse. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas
cliniques. Format Utile. Editions Varia. 2001, pp. 130-133.
OMS. Filariose lymphatique. REH,
2003, 78, 171-179.
Iconographies
Oedème lymphatique avec pachydermie des
membre supérieur et inférieur gauches.
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé
la 23/04/2004.
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Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)