Observation
Un homme de 23 ans, de retour en
France, son pays d’origine, après 10 mois passés à Bangui (RCA), d’où il est
revenu il y a 2 mois, consulte pour des douleurs épigastriques irradiant à
l’hypocondre droit ayant débuté il y a un mois environ, accompagnées de nausées
et d’une diarrhée faite de 3 à 4 selles par jour, pâteuses, jaunâtres, ne
contenant ni glaires, ni sang.
L’examen clinique est sans anomalie. Le
poids est à 72 kg pour une taille de 1m78.
Examens paracliniques :
NFS : taux d’Hb : 16,7 g/dl,
globules blancs : 8 900/mm3, polynucléaires neutrophiles : 50%,
éosinophiles : 6% (534/mm3).
Examen parasitologie des selles (3
examens successifs) : absence de parasites
Echographie abdominale : normale
(foie, voies biliaires, pancréas, reins, rate)
Endoscopie digestive haute :
normale (œsophage, estomac, duodénum)
Endoscopie digestive basse à 60 cm de
la marge anale : normale (rectum, sigmoïde, colon gauche). Biopsies de
muqueuse rectale (BMR): absence de parasites.
Sérologie VIH : négative.
La malade est mis sous trimébutine
(DEBRIDATâ) 3 comprimés
par jour et dosmectite (SMECTAâ) 3 sachets par jour. Il consulte 3 semaines plus tard. La
symptomatologie est inchangée. Le poids est à 71kg 600.
L’échographie abdominale de contrôle
est normale.
L’endoscopie digestive haute montre une
duodénite catarrhale. Une aspiration duodénale pour recherche de parasites et
des biopsies duodénales pour étude à la loupe binoculaire et examen
anatomopathologique mettent en évidence
des parasites intestinaux.
Quel est votre diagnostic ?
Quels sont les principales
caractéristiques du parasite mis en évidence ?
Quels sont les principaux protozoaires
que vous connaissez ?
Quel est le traitement de la parasitose
en cause ?
Quelle en est la prévention ?
Discussion
Devant un syndrome douloureux abdominal
et une diarrhée fécale apparues au retour d’un séjour en Afrique noire, le
diagnostic de parasitose intestinale est le plus probable. Cependant l’examen
parasitologique des selles est normal à 3 reprises, les endoscopies digestives
sont normales ainsi que les BMR, l’éosinophilie sanguine à 534/mm3 est peu
significative.
Le diagnostic sera apporté par l’examen du liquide duodénal et des
biopsies duodénales.
Quelles sont les parasitoses mises en
évidence à l’aspiration et sur les biopsies duodénales ? On
retiendra :
- l’anguillulose : elle est cause
d’une duodénite purpurique ou aphtoïde à l’endoscopie avec la découverte
d’adultes, d’œufs et de larves de Srongyloïdes
stercoralis dans la muqueuse à la biopsie duodénale ; elle entraîne,
sauf en cas d’anguillulose maligne, une hyperéosinophilie sanguine,
- l’ankylostomose : elle peut être
cause d’une duodénite inflammatoire, purpurique et l’endoscopie peut montrer exceptionnellement
des vers adultes fichés dans la muqueuse. Il y a une anémie microcytaire,
hypochrome, hyposidérémique et une
hyperéosinophilie sanguine,
- la cryptosporidiose : le diagnostic peut être fait par la
découverte de sporozoïtes fixés au niveau de la bordure en brosse des
entérocytes et sur la biopsie duodénale colorée à l’HES ou au Giemsa,
- l’isosporose à Isospora belli avec présence de sporozoïtes intracellulaires
très difficiles à diagnostiquer sur une biopsie. La rentabilité de l’examen parasitologique
des selles est plus importante.
- la microsporidiose avec la présence d’amas de spores d’Enterocytozoom bieneusei mises en
évidence dans les cellules intestinales après coloration de Giemsa.
Ces 3 dernières protozooses sont
observées le plus souvent chez des sujets immunodéprimés, en particulier au
cours de l’infection à VIH/SIDA.
Le diagnostic est ici celui d’une
giardiase, protozoose intestinale, due à Giardia
intestinalis, protozoaire flagellé, dont les symptômes, lorsqu’ils
s’expriment, sont essentiellement digestifs : diarrhée pâteuse, syndrome
douloureux épigastrique ou de l’hypocondre droit, troubles dyspeptiques à type
d’inappétence, de nausées, de ballonnements, parfois syndrome de malabsorption intestinale.
Giardia intestinalis vit dans le
duodénum Les trophozoîtes mis en évidence dans le liquide duodénal ou les
biopsies duodénales ont de face une forme de cerf-volant avec un noyau bilobé
et sur le profil la forme d’une cuillère. Les flagelles locomoteurs sont
facilement mis en évidence par leur grande mobilité.
C’est une protozoose cosmopolite due au
péril fécal, fréquente dans les PED, mais aussi dans les pays développés, en
particulier dans les collectivités (crèches). Elle est souvent bien tolérée,
voir asymptomatique. Les conditions qui font que la giardiase puisse s'exprimer
cliniquement dépendent à la fois de l'importance de la charge parasitaire et de
l'hôte. On insiste sur la gravité de la giardiase en cas de déficit congénital
en immunoglobulines et en cas de malnutrition proteino-énergétique. C’est dans
ces cas que l’on observe une malabsorption intestinale pouvant réaliser un
syndrome cœliaque tant chez l’enfant que chez l’adulte.
Dans le cas présenté, la
symptomatologie était «bénigne». Les biopsies duodénales ont montré une
muqueuse sans atrophie villositaire avec présence de nombreuses formes
végétatives de Giardia à la surface de l’épithélium isolées ou en amas au fond
des cryptes. Le chorion conjonctif était le siège d’un œdème modéré et d’un
infiltrat inflammatoire fait de cellules mononuclées réalisant une duodénite
subaiguë. Le bilan biologique d’une malabsorption intestinale a été négatif (stéatorrhée, test au D-xylose,
dosages sériques de l’acide folique et de la vitamine B12).
Le diagnostic et le traitement des principales
protozooses intestinales sont résumées dans le tableau ci-dessous :
Parasites
|
Localisation
|
Coprologie
parasitaire
|
Formes
parasitaires
|
Biopsie
|
Traitement
|
Entamoeba histolytica
|
Colon
|
Etat
frais
MIF-Cc
|
Trophozoïtes
Kystes
|
rectale
C :HES
Hématoxyline
ferrique
|
Imidazolés
|
Giardia intestinalis
|
Duodénum
|
Etat
frais
MIF-C,
MIF-Cc
|
Trophozoïdes
Kystes
|
duodénale
C : HES,
Giemsa
|
Imidazolés
|
Cryptosporidum
parvum
|
Intestin
grêle
|
C : Ziehl-Neelsen
modifié
IF
par AcM
|
Oocystes
|
C : HES, Giemsa
|
Paramomycine
Azithromycine
|
Cyclospora cayetanensis
|
Intestin
grêle
|
Etat
frais
C :Ziehl-Neelsen
modifié
|
Oocystes
|
|
Cotrimoxazole
|
Isospora belli
|
duodéno-jéjunum
|
Etat
frais
MIF-Cc,
MIF-C
|
Oocystes
|
Micro E :
trophozoïtes
|
Cotrimoxazole
Pyriméthamine
|
Enterocytozoom
bieneusi
|
Intestin grêle
|
Weber
Uvitex
2B
|
Spores
ovoïdes
|
C : Giemsa
|
Albendazole
|
Balantidium coli
|
Colon
|
Etat
frais
|
Trophozoïtes
Kystes
|
|
Tétracyclines
Métronidazole
Paramomycine
|
MIF :
Merthiolate Iode Formol
Cc :
concentrartion
C :
coloration
HES :
Hématine Eosine Safran
IF :
immunofluorescence. AcM : anticorps monoclonaux
Micro
E : Microscopie électronique
Le traitement de la giardiase fait
appel aux 5-nitroimidazolés dont le chef de file est le métronidazole. En
pratique, le tinidazole (FASIGYNE 500â) est prescrit à la dose de 4 comprises à 500 mg en une
prise chez l’adulte (traitement minute). Une 2 éme dose est prescrite 10 jours
plus tard. C’est ce qui a été fait chez ce malade. Le contrôle post-thérapeutique
après un délai de 4 semaines était normal : disparition des douleurs
abdominales et de la diarrhée, examen parasitologique des selles : absence
de trophozoîtes et de kystes.
Cette observation montre l’intérêt de
l’aspiration du liquide duodénal et des biopsies duodénales au cours d’une
endoscopie digestive haute, d’autant que les examens parasitologiques des
selles et l’endoscopie sont normaux et
que le sujet vit ou a séjourné en zone tropicale à hygiène précaire.
Les examens parasitologiques de selles
négatifs s’expliquent par la variabilité en quantité et l’intermittence de
l’élimination des œufs, des larves et des kystes qui font que les examens
parasitologiques des selles sont une méthode diagnostique parfois prise en
défaut. Trois examens de selles doivent toujours être demandés à 2 à 3
jours d’intervalle : un examen direct d’une dilution fécale et 2
techniques de concentration.
Maladie du péril fécal, la prévention
de la giardiase repose sur la prophylaxie des infections à transmission
féco-orale.
Références
Aubry P., Chapoy P., Gras C. Syndrome
de malabsorption intestinale et giardiase. Med. Afr. Noire, 1986, 33,
95-100.
Aubry P., Touze J.E. Giardiase. Cas cliniques en Médecine
Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp 12-13.
Klotz F., Martet G., Debonne J.M., Guisset M. Apport de
l’endoscopie au diagnostic des parasitoses digestives. Gastroenterol. Clin.
Biol., 1994, 18, T 13-T 17.
Iconographies
Biopsie duodénale : présence de
nombreux trophozoïtes de Giardia
intestinalis (HES x 1000)
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé
le 06/05/2004.
|
|
|
Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)