Goutte
tophacée chez un Africain : cas clinique
Observation :
Un Burundais de 42 ans consulte au CHU de Kamenge à
Bujumbura pour des douleurs articulaires prédominant au niveau des pieds, des
chevilles, des genoux, des mains et des coudes. Il s’agit de douleurs
anciennes (datant d’environ 10 ans),
récidivantes, souvent déclenchées par des excès alcooliques (bière de bananes).
La prise de colchicine, en cas de crise aiguë, est très efficace. Il n’y a pas
eu de traitement au long cours.
L’ examen met en évidence une raideur articulaire et un
gonflement articulaire. Il y a des tuméfactions sous-cutanées visibles et
palpables, de taille variable, de consistance dure, correspondant à des tophus
, siégeant au niveau des pieds (gros orteil, dos du pied), des mains (dos de la
main, articulations des doigts), des coudes (région olécranienne) et des
genoux. On palpe des tophus au niveau du pavillon des oreilles. Le diagnostic
de goutte chronique est évident.
Les radiographies des pieds, des mains, des coudes, des genoux confirment
l’arthropathie goutteuse : pincement articulaire et images géodiques des
os.
Le malade n’a jamais présente de crise de colique
néphrétique.
La tension artérielle est à 150/ 90 mm/Hg. Le poids est de
59 kgs pour une taille d’1m 67.
1.
Le
diagnostic étant évident, quels examens biologiques sont utiles ?
2.
Quel
traitement allez-vous prescrire ?
3.
La
goutte est-elle une maladie préoccupante en Afrique et si oui,
pourquoi ?
Discussion :
Les examens biologiques à demander sont les dosages sanguins
de l’uricémie et de la créatinine et le
dosage de la proteinurie des 24 h. L’uricémie est à 535 µmol/l (normal :
235 à 385 µmol/l) , la créatinémie à 122 µmol /l, la proteinurie à
600 mg/24h. Une néphropathie tubulo-interstitielle est donc probable,
compte-tenu d’une hyperuricémie prolongée. Elle contre-indique l’usage des
uricosuriques.
Il est prescrit dans l’immédiat de la colchicine (comprimés
à 1 mg) : 3 mg à J1, 2mg à J2 et J3, puis 1 mg par jour. Le traitement
hypo-uricémiant est obligatoire dans les gouttes tophacées, associé pendant les
trois premiers mois à la colchicine. Il
doit être pris toute la vie. Il n’a jamais été prescrit chez ce malade. Deux
problèmes se posent : l’observance du traitement et la survenue possible
de crises de goutte au début du traitement. Après avoir expliqué au malade la
nécessité d’un traitement hypo-uricémiant à vie, il lui est prescrit un
inhibiteur de synthèse de l’acide urique : l’allopurinol (ZYLORIC) 1 comprimé à 200 mg par jour.
Quant aux mesures hygiéno-diététiques, elles sont limitées à l’abstention de
boissons alcooliques.
L’Afrique noire n’est pas épargnée par la goutte qui occupe
le premier rang des arthropathies inflammatoires observées en milieu
hospitalier. Le diagnostic de goutte
repose en Afrique, comme ailleurs, sur la clinique, l’hyperuricémie et
l’efficacité de la colchicine.
La goutte de l’Africain présente les mêmes conditions de
survenue que celle observée en Occident :
- prédominance masculine nette (80%),
- âge du diagnostic : entre 30 et 50 ans,
- maladies associées : hypertension artérielle,
alcoolisme, obésité.
Les formes évoluées, réalisant une goutte polyarticulaire
avec tophus et arthropathies, sont nettement plus fréquentes qu’en
Occident. La colique néphrétique est rare.
La néphropathie goutteuse est mal documentée.
Parmi les affections qui peuvent favoriser la survenue de la
goutte en Afrique, on retiendra la drépanocytose homozygote. La goutte a un
début précoce chez le drépanocytaire homozygote (moyenne d’âge : 32 ans),
Elle peut poser des problèmes de diagnostic avec une crise vaso-occlusive, mais
les signes inflammatoires locaux sont plus marqués et la colchicine est
efficace.
Au cours de la drépanocytose, l’hyperuricémie résulte de
divers mécanismes : hyperhémolyse, augmentation de la synthèse des acides nucléiques
liés à l’érythropoïèse, et surtout diminution de l’excrétion urinaire de
l’acide urique. Ce dernier mécanisme, qui résulte probablement d’une altération
de la fonction rénale induite par la drépanocytose, joue un rôle important..
On peut penser qu’une meilleure prise en charge des
drépanocytaires hogomozygotes en Afrique entraînera une augmentation de la
prévalence de la goutte chez les jeunes adultes drépanocytaires.
Chez notre malade, le test d’Emmel était négatif.
Référence :
Mijiyawa M . La goutte en Afrique Noire. Rev. Med. Interne, 1994, 15, 797-799.
Iconographies
Photographies des pieds, des mains et des
coudes : présence de tophus goutteux
Radiographies des pieds et des
mains : pincement des interlignes,
géodes au niveau des os.