Ictère par hépatite à virus E chez un adolescent Burundais :
cas clinique.
Observation
Un garçon de 13 ans, de nationalité
burundaise, est hospitalisé au Centre National Hospitalier de Kamenge à
Bujumbura pour un ictère cutanéo-muqueux, précédé une semaine plus tôt par une
asthénie et des arthralgies. Il est fébrile depuis 72 heures.
A l’examen, la température est à 38°C,
l’ictère est franc, les urines foncées. On note une hépatomégalie (flèche
hépatique à 12 cm) sensible . Il n’y a ni splénomégalie, ni adénopathies.
On n’est pas en période épidémique
d’hépatite virale et le garçon n’a pas été en contact avec un malade ictérique.
Il n’a pas été transfusé, il n’a pas reçu d’injections IM ou IV depuis sa
petite enfance, n’a pas eu de soins dentaires, ni d’acte chirurgical, il ne
prend pas de médicaments ou de drogues..
Examens paracliniques :
ASAT : 1500 UI, ALAT 1120 UI
GammaGT : 215 UI/l
Phosphatases alcalines : 92 UI/l
Bilirubunémie totale : 132 µmol/l,
bilirubinémie conjuguée : 115 µmol/l
Taux de prothrombine : 40%
Frottis sanguin et GE : absence
d’hématozoaires
Test d’Emmel : négatif
Echographie du foie et des voies
biliaires : foie d’échostructure normale, voies biliaires libres.
Sérologie des hépatites : IgG
antiVHA positifs, IgM antiVHA
négatifs ; AgHBs négatif, IgM antiHBc négatifs ; anticorps anti-VHC
négatifs.
Discussion
Cet adolescent présente une hépatite
aiguë cytolytique et cholestatique.
On élimine systématiquement un accès
hémolytique aigu : il n’ y a pas d’hématozoaires et le test d’Emmel est négatif. On élimine une
cholestase extrahépatique : l’échographie du foie et des voies biliaires
ne montre pas de dilatation des voies biliaires intra et extrahépatiques.
Le malade ne prend pas de
médicament et ne se drogue pas :
il ne s’agit pas d’une hépatite médicamenteuse ou toxique. La symptomatologie
clinique n’est pas en faveur d’une hépatite bactérienne (fièvre typhoïde,
septicémie à pneumocoques, réalisant la maladie aux yeux d’or, ou à BGN,
leptospiroses, …).
Il s’agit d’un ictère par hépatite chez
un sujet jeune, précédé d’une période pré-ictérique, avec un ictère franc, des
transaminases supérieures à 50 fois la normale. On recherche une hépatite à
virus A, B ou C. On met en évidence des anticorps anti-VHA IgG, et les IgM
anti-VHA, les IgM anti-HBc et les anticorps anti-VHC sont négatifs. Le malade a
les marqueurs d’une infection ancienne et guérie par le VHA, il n’a pas de
marqueurs ni d’une infection par le VHB, ni d’une infection par le VHC.
Devant l’absence d’une cause habituelle
d’hépatite aiguë, le sérum du malade
est envoyé dans un laboratoire de biologie d’un pays du nord qui met en
évidence des anticorps IgM anti-VHE et des anticorps anti-VHE totaux (Abbott Diagnostic). Il s’agit donc d’une
hépatite à virus E aiguë.
Le virus de l’hépatite E (VHE) a été
découvert par clonage en 1990. Depuis, quelques enquêtes de prévalence ont été
réalisées en Afrique subsaharienne. Des études menées au Burundi et en
République Centrafricaine ont montré un taux de prévalence variant entre 14 et
24%. Le taux de prévalence est donc très différent pour le VHA et le VHE en
Afrique, alors que l’eau joue un rôle majeur de dissémination aussi bien du VHA
que du VHE. VHA et VHE correspondent à 2 modèles épidémiologiques différents.
Le VHA est éliminé en grande quantité dans les selles des sujets infectés et
est résistant dans le milieu extérieur. Sa transmission est féco-orale à la
fois indirecte (eau, aliments) et directe de personne à personne, ce qui
représente une modalité majeure de transmission chez l’enfant et explique une
prévalence proche de 100% dès l’enfance. Le VHE est éliminé en très faible
quantité dans les selles et est très fragile. La transmission féco-orale est
indirecte par ingestion d’eau contaminée. L’HVE est donc une maladie des pays
où l’hygiène de l’eau est précaire, avec des épidémies d’une grande ampleur
(Delhi, 1955). Mais, elle sévit aussi sur un mode endémique et est actuellement
la première cause d’hépatite aiguë sporadique dans les PED. Dans les pays
industrialisés, elle est observée surtout chez des voyageurs en provenance de
pays d’endémie.
L’HVE a une expression clinique proche
de l’HVA. L’incubation est de 30 jours en moyenne, toujours inférieure à 3
mois.
Le grand risque est l’évolution vers l’hépatite fulminante (1 à 2% des cas), surtout chez le femme enceinte au cours du
3éme trimestre de la grossesse (20% des cas). La co-infection VHA + VHE est
aussi un risque élevé d’hépatite fulminante (40% des cas).
Il n’y a pas de risque d’évolution vers
la chronicité.
Le diagnostic repose sur les tests
sérologiques : anticorps IgM et IgG anti-VHE par méthode ELISA. Il n’y a
pas de traitement étiologique. Dans le cas présenté, l’évolution a été
favorable au repos : guérison en 6 semaines, jugée sur la clinique et la
biologie (transaminases, TP).
La lutte contre l’HVE passe par le
traitement des eaux usées et par la distribution d’eau potable.
Il n’y a pas de vaccin actuellement
disponible.
Références
Aubry P., Niel L., Niyongabo Th., Kerguelen S., Larouze B. Seroprevalence
of hepatitis E virus in an adult urban population from Burundi. Am. J. Trop. Med.. Hyg., 1997, 57, 272-273.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D.
A ,B, C, D…Médecine Tropicale au quotidien, 100 cas cliniques. Format
Utile. Editions Varia, mars 2001, pp.233-236.
Richecoeur M., Klotz F., Nicaud E.
Ictères et maladies infectieuses. Encycl. Med. Chir., Maladies
infectieuses, 8-003-A-80, 2001, 9p.
Professeur Pierre Aubry. Texte revu le
11/04/2006.