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Double hétérozygotisme SC avec ostéonécrose. Cas clinique.

 

 

Observation

 

Une femme, âgée de 31 ans, est hospitalisée à l’hôpital de Ouagadougou (Burkina-Faso) pour des douleurs bilatérales de hanche avec boiterie.

Cette jeune femme, issue d’une famille de huit enfants, a présenté depuis l’âge de 12 ans des douleurs ostéo-articulaires, survenant par crises, de début brutal, d’emblée intenses, durant 4 à 5 jours, siégeant au niveau des grosses articulations (genoux, coudes, poignets). Ces crises douloureuses s’accompagnaient de fièvre et de subictère conjonctival. Elles débutaient le plus souvent la nuit et étaient plus fréquentes en saison fraîche. Le traitement a toujours été symptomatique (antalgiques).

C’est au cours de sa première grossesse, à l’âge de 20 ans, qu’un test d’Emmel positif a fait porter le diagnostic de crise drépanocytaire. La grossesse aurait été bien supportée. Elle a accouché d’un enfant de 2 200 g, décédé de la rougeole à l’âge de 7 mois. Il n’y a pas eu de bilan chez le nourrisson.

C’est quelques mois après l’accouchement que sont apparues des douleurs de hanche bilatérales, plus marquées à droite, entraînant actuellement une boiterie.

A l’examen, l’état général est médiocre (poids : 51 kg pour taille : 1 m 72). L’aspect général est celui d’une femme longiligne, présentant des membres grêles et une saillie du massif frontal. L’examen de l’appareil locomoteur met en évidence en station debout une inclinaison latérale gauche avec un appui limité à droite à la pointe du pied. Il existe une boiterie à droite à la marche. Le membre inférieur droit est raccourci de 2 cm (mensuration comparée avec le membre supérieur gauche). Il n’y a pas de déformation osseuse ou articulaire. La mobilisation des hanches montre une diminution nette des mouvements de flexion-extension et d’abduction-adduction à droite (flexion à 45°, adduction à 30°) Il n'y a pas de retentissement axial.

On palpe une splénomégalie stade 1 de l’OMS. Il n’y a pas d’hépatomégalie, ni d’adénopathie.. La TA est à 120/60 mmHg. Le reste de l’examen est normal (en particulier cardio-vasculaire, pleuro-pulmonaire et neurologique).

 

Examens paracliniques :

VSH : 120 mm à la première heure, CRP à 50 mg/l.

NFS : globules rouges : 3 210 000/mm3, taux d’Hb : 8,5 g/dl, VGM : 70 µ3; globules blancs :

10 000/mm3 dont polynucléaires neutrophiles : 63%, éosinophiles : 3%, lymphocytes : 30%.

Electrophorèse de l’hémoglobine : HbS : 47%, HbC : 48%, HbF : 3%, HbA2 : 2%.

Radiographie du bassin : nécrose cotyloïdienne bilatérale

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels sont les syndromes drépanocytaires  que vous connaissez?

Quelles sont les complications évolutives à craindre ?

Quelles sont les mesures prophylactiques des syndromes drépanocytaires ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’une ostéonécrose des deux têtes fémorales prédominante à droite, secondaire aux crises vaso-occlusives, chez une jeune femme présentant un double hétérozygotisme SC. Cette femme est issue d’une famille de huit enfants et l’enquête familiale va montrer que le père est AS et la mère AC.  Parmi les 7 frères et sœurs, il y a 2 SC, 3 AC, 1 AS, 1 AA. Seuls les 3 enfants SC, dont la malade, ont présenté des manifestations ostéo-articulaires.

Le double hétérozygotisme SC réalise, avec la drépanocytose SS et la b-thalasso-drépanocytose, les syndromes drépanocytaires. Les caractères biologiques des syndromes drépanocytaires sont résumés dans le tableau ci-dessous

 

 

 

Normale

SS

SC

Sb°THal

Sb+ Thal

Hb (g/dL)

12-16

7-9

10-12

7-9

9-12

Electrophorèse de l’Hb

 

 

 

 

 

 

A

 

97-98

 

0

 

0

 

0

 

1-25

 

S

 

0

 

60-95

 

45- 50

 

60-80

 

55-90

 

C

 

-

 

-

 

45-50

 

-

 

-

 

F

 

< 2

 

2-20

 

< 5

 

5-15

 

5-15

 

A2

2-3

2-3

1-2

4-6

4-6

 

Les syndromes drépanocytaires constituent un véritable problème de santé publique en Afrique noire. Le taux de prévalence du trait drépanocytaire dans la population générale est de 10% au Sénégal, de 30 à 40% en République Démocratique du Congo . Au Sénégal, la drépanocytose SS représente plus de 95% des cas, le double hétérozygotisme SC 3,6%, la Sb-Thal moins de 1%.

Le double hétérozygotisme SC est l’hémoglobinose la plus répandue après la drépanocytose SS. Elle se caractérise par la présence de deux hémoglobinoses S et C sous leur forme hétérozygote. L’hémoglobinose SC est surtout répandue dans la race noire de l’Afrique de l’ouest. Les bases physiopathologiques du double hétérozygotisme SC sont les mêmes que celles de la drépanocytose SS : c’est la falciformation des hématies qui est à l’origine des manifestations cliniques. La présence de l’HbC favorise la falciformation chez les doubles hétérozygotes SC.

La croissance et le développement staturo-pondéral des patients SC sont comparables à ceux de la population générale. Les déformations osseuses sont peu fréquentes, les crises drépanocytaires sont de survenue tardive (âge moyen du dépistage : 8 ans). Par contre, les infections sont aussi fréquentes que chez les drépanocytaires SS, en particulier dans l’enfance.

Parmi les manifestations ostéo-articulaires, l’ostéonécrose se voit chez l’adolescent et l’adulte jeune. Elle atteint essentiellement la tête fémorale, plus rarement humérale ou tibiale. Uni ou bilatérale, elle entraîne une impotence fonctionnelle douloureuse. Les signes radiologiques sont retardés. Sa fréquence est élevée dans l’hémoglobinose C, ce qui peut s’expliquer par la longévité accrue des malades SC.

D’autres complications s’observent chez les patients SC :

- aiguës : crises vaso-occlusives, infections, anémies souvent déclenchées par un accès palustre, accidents vasculaires cérébraux, syndromes thoraciques aigus, priapisme ;

- chroniques : lithiase vésiculaire pigmentaire souvent asymptomatique, rétinite proliférative longtemps asymptomatique, ulcères de jambe récidivants.

La grossesse chez les femmes SC est à risque, car elle peut être émaillée de complications infectieuses (pulmonaires, urinaires) et thromboemboliques, (infarctus pulmonaires).

Le traitement  du double hétérozygotisme SC est identique à celui de la drépanocytose homozygote SS. Le traitement des crises vaso-occlusives fait appel à l’hyperhydratation, aux antalgiques (paracétamol, AINS, dérivés morphiniques), à l’oxygénothérapie, à l’hydroxyurée; les complications infectieuses à l’antibiothérapie ; les anémies aiguës aux transfusions (taux d’Hb < 5 à 6 g/dl) ; les accidents vaso-occlusifs graves (accidents vasculaires cérébraux, syndromes thoraciques aigus, priapisme) nécessitent la mise en route d’un programme transfusionnel (transfusions, échanges transfusionnels).

L’ostéonécrose, vue en général à un stade évolué, nécessite une prothèse de hanche. En pratique, le traitement  se limite, en Afrique, à une kinésithérapie de décharge, au moins pendant  l’hospitalisation.

Les mesures prophylactiques au cours des syndromes drépanocytaitres repose sur la prévention des crises vaso-occlusives et des complications. Cette prévention doit être appliquée dès l’enfance. Or, le diagnostic des syndromes drépanocytaires est toujours tardif en Afrique (3 ans en moyenne chez les SS, 8 ans chez les SC). Il n’y a pas de programme de dépistage néo-natal systématique.

 

La prévention comporte « idéalement » :

- les vaccinations : PEV + hépatite B, Haemophilus influenzae, bacille typhique ,pneumocoque,

- une antibioprophylaxie par la pénicilline orale chez les enfants < 5 ans (pneumocoque)

- une chimioprophylaxie antipalustre (enfants < 5ans, femmes enceintes),

- un déparasitage systématique des parasitoses intestinales,

- une supplémentation en acide folique et en fer.

Quant à l’emploi à l’hydroxyurée, qui favorise la synthèse de l’Hb F, il se heurte aux conséquences à long terme de l’utilisation «à vie» d’une drogue cytotoxique.

La prévention des infections virales post-transfusionnelles repose sur l’utilisation rationnelle de la transfusion et surtout sur un dépistage systématique chez les donneurs de sang de l’infection à VIH et des hépatites B et C.

L’amélioration du pronostic des syndromes drépanocytaires nécessite une information et une sensibilisation de la population, le mise en place d’un programme de dépistage (test d’Emmel, isoélectrofocalisation de l’hémoglobine en gel d'agarose ou électrophorèse sur acétate de cellulose)), la création de centres de prise en charge des patients drépanocytaires.

Cette observation montre les difficultés réelles de la prise en charge des syndromes drépanocytaires en Afrique, dues en particulier au retard au diagnostic. Chez cette malade, les problèmes orthopédiques et ophtalmologiques, les grossesses représentent les risques actuels ou à venir.

 

 

Références

 

Aubry P., Giraud J., Colle M., Massacrier A., Doiteau B.R. Etude comparée de la drépanocytose homozygote SS et du double hétérozygotisme SC chez l’adulte africain : à propos de 34 observations. Médecine et Armées, 1973, 1, 37-44.

 

Aubry P., Touze J.E. Double hétérozygotisme SC avec ostéonécrose. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., 1990, pp. 184-185.

 

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Une crise douloureuse et fébrile. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile, Editions Varia, 2001, pp. 248-251.

 

Godeau B. Prise en charge des syndromes drépanocytaires majeurs . Le point de vue de l’interniste. Bull. Soc. Path. Exot., 2001, 94, 90-91.

 

Diagne I., Diagne-Gueye N.D.R., Signate-Sy H. et coll. Prise en charge de la drépanocytose chez ’enfant. Expérience de la cohorte de l’hôpital des enfants Albert Royer à Dakar. Med. Trop., 2003 , 63, 513-520.

 

 

Iconographie

 

Radiographie du bassin : nécrose cotyloÏdienne bilatérale

 

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Ostéonécrose bilatérale des têtes fémorales