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  Monsieur QUERE Christophe né le 14/10/1967, hospitalisé dans le service du 19/02/2005 au 21/02/2005

 

Hyperthermie maligne d’effort mortelle en milieu tropical

Cas clinique

B-A Gaüzère. Texte rédigé le 25 mars 2005

 

Observation

Monsieur QU…gendarme âgé de 38 ans est en poste à l’Ile d’Europa (canal du Mozambique) depuis quelques jours. Au décours d’un jogging de 1 km au petit matin, il présente un malaise avec perte de connaissance et hyperthermie à 40°C. Un médecin militaire arrivé sur les lieux plusieurs heures plus tard note une hypertonie, une hyperthermie et des convulsions, avec un score de Glasgow égal à 9. Le patient est intubé sur place, ventilé, réhydraté et transféré en service de Réanimation à Saint-Denis de la Réunion le 19/02/2005, soit une quinzaine d’heures après l’accident.

Dans les antécédents, on note une surcharge pondérale, une possible exogénose, une hypercholestérolémie traité par atorvastatine, et de légères anomalies biologiques de la fonction hépatique plusieurs mois auparavant : augmentation des gamma GT.

 

A l’entrée dans le service : l’examen clinique note : un score de Glasgow égal à 3 sous sédation et ventilation artificielle, un collapsus (PA 64 / 44; pouls 90 /min), une température à 36,5° C, une cyanose importantes des deux pieds et un faciès vultueux.

Bilan paraclinique :

Ionogramme sanguin : Na 135 mmol/l, K 4,1 mmo/l, Cl 110 mmol/l, RA 32 mmol/l, protidémie 49 g/l, glycémie 5,6 mmol/l, Ca 1,85 mmol/l, phosphorémie 1,46 mmol/l, créatininémie 154 µmol/l, urée 7,5 mmol/l, clairance de la créatinine 70 ml/mn pour un poids de 90 kg

NFS : GB 5,890, Hb 14,1 g/dl, Plaquettes 18000, CRP : 3 mg/l

Gazométrie artérielle : pH 7, 28 ; pCO2 34 mm Hg ; pO2 70 mm Hg ; C02 total 17 mmol/l ; BE -10 mmol/l ; SaO2 90 % sous  100 % FIO²

ASAT 519 UI/l, ALAT 257 UI/l, PAL 62 UI/l, gamma GT 237 UI/l, bilirubine totale 34, conjuguée16, amylase 188 UI/l, lipase 58 UI/l , acide urique 749

Bilan de coagulation : TP : 18 %, TCA : 61, facteur V : 11 %, fibrinogène 0,6

Troponine Ic 4,9, CK 1338, MB 73, myoglobine 1775

Sérologies : Ag HBs négative, Ac antiBs > 1000, Ac HBC négatifs (IgM et IgG), HCV négatif, CMV (IgG 138.9, IgM négatif) : HTLV et HIV négatives.

Radiographie pulmonaire : intubation sélective avec opacité totale du champs pulmonaire gauche.

ECG : Rythme sinusal et régulier

Echographie abdominale, échocardiographie et TDM cérébrale: normales

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels traitements allez-vous prescrire ?

Quelle évolution est attendue ?

 

Discussion

Il s’agit d’une hyperthermie maligne d’effort avec retard de prise en charge compte tenu de l’éloignement géographique.

L’hyperthermie maligne d’effort résulte d’un accroissement de la température corporelle centrale (fièvre > 41°C), associé à une altération de la conscience. Elle résulte du dépassement des mécanismes de thermorégulation assurant l’homéothermie.. C’est une agression cellulaire suite à une élévation extrême et prolongée de la température centrale, avec pour conséquences des atteintes multiviscèrales, susceptibles d’engager le pronostic vital. C'est la forme la plus grave de stress thermique avec une mortalité d'environ 10 à 20 %. Egalement appelée coup de chaleur d’exercice, elle survient chez les sujets jeunes, avec une prédominance masculine, le plus souvent chez un sujet sain, sans antécédents pathologiques. C’est une pathologie bien connue en milieu militaire (marche de commando) mais aussi dans les milieux sportifs (lors des marathons). Les facteurs prédisposants sont multiples :

- conditions climatiques : température ambiante d'environ 32°C, hygrométrie moyenne de 63 %. Il n’existe pas de prédisposition raciale, mais les hommes sont les plus exposés.

- antécédents cardiovasculaires : HTA, insuffisance coronarienne, diabète, obésité, alcoolisme, maladies entraînant des modifications de la sudation (mucoviscidose, ichthyose), maladies affectant le métabolisme lipidique, déficits héréditaires en enzymes musculaires , maladies neurologiques ou psychiatriques, affections chroniques ou infection intercurrente, telle qu'une diarrhée, peuvent prédisposer à un coup de chaleur. Prises médicamenteuses (antidépresseurs tricycliques, neuroleptiques, anticholinergiques, antiparkinsoniens, IMAO, Cocaïne, amphétamines, réglisse, laxatifs osmotiques, diurétiques).

 

La thermorégulation corporelle est régulée par une zone de l’hypothalamus antérieur et des récepteurs thermosensitifs. L’homéothermie est maintenue constante pour des ambiances thermiques de 15 à 55°C, par les mécanismes de thermorégulation équilibrant la thermogenèse et la thermolyse. Les thermorécepteurs sont distribués sur tout le corps, aux niveaux cutané, muqueux, musculaire, central et hypothalamique. L'hypothalamus fonctionne comme un thermostat en intégrant l'ensemble des données thermiques provenant de la peau et des organes profonds et en affichant une valeur de référence, seuil préétabli pour l'espèce. Si la température centrale dépasse ce seuil, l'hypothalamus induit des réactions biologiques vasodilatatrices.

 

L'hyperthermie ne peut survenir que lorsque les systèmes de thermorégulation sont défaillants, s'il existe :

- un défaut de thermolyse (degré hygrométrique élevé perturbant l’évaporation sudorale, absence de ventilation, port de vêtements imperméables à la sudation)

- une majoration de la thermogenèse endogène (effort musculaire intense, excès alimentaires en protéines, en lipides, excès d’absorption d’alcool) ou exogène (exposition solaire, chaleur radiante…)

- une anomalie du thermostat (maladies, âges extrêmes, adaptation insuffisante ou trop récente à un climat donné).

Parfois, on retrouve comme seuls facteurs : le surmenage, le manque de sommeil, les modifications des habitudes alimentaires, le manque d'acclimatation, des conditions socio-économiques défavorables.

 

Le début souvent brutal est parfois précédé de prodromes : crampes, anomalies du comportement (irritabilité, état ébrieux), nausées, céphalées. Ces symptômes sont des signes d'alarme, nécessitent l'arrêt de toute activité sportive et de débuter un traitement curatif. La période d'état se traduit par une atteinte pluriviscérale : neurologique (coma, convulsions, syndrome méningé), cardiovasculaire (collapsus ou un état de choc avec oedème pulmonaire cardiogénique par défaillance myocardique ou lésionnel secondaire à une inhalation, hémorragies intra-alvéolaires), rénale (urines rares, foncées, rougeâtres "huile de vidange", insuffisance rénale, initialement fonctionnelle puis organique imposant une épuration extra-rénale), hépatique (nécrose des hépatocytes, ictère), cutanéo-muqueuse (téguments brûlants, arrêt de la sudation, aspect congestif de la face, cyanose, sécheresse des muqueuses, langue sèche, rôtie et craquelée), un syndrome hémorragique à des degrés divers (troubles de la coagulation, simple purpura pétéchial , hématomes extensifs, hémorragies diffuses aux points de ponction veineuse, hémorragies extériorisées : hématémèse, hémoptysie, hématurie), un déséquilibre hydroélectrolytique (hématocrite > 50%, protidémie > 80 g/L, kaliémie normale puis augmentée secondairement à l'insuffisance rénale, à la rhabdomyolyse et à l'acidose métabolique), hypocalcémie et hypophosphorémie, accumulation des lactates avec acidose métabolique, des stigmates de rhabdomyolyse (élévation des CPK, de la myoglobinémie et de la myoglobinurie).

Le diagnostic différentiel élimine le coup de chaleur classique en dehors de tout effort, lors des vagues de chaleur estivales: nourrissons, vieillards, maladies psychiatriques, l’insolation secondaire à l'action directe du rayonnement solaire sur le système nerveux central

 

Le traitement curatif a pour but de faire baisser le plus tôt possible la température centrale. Les moyens utilisés sont la réfrigération et la réhydratation. En pré-hospitalier : déshabiller, installer à l'ombre, asperger d'eau, envelopper de linges humides et bien ventiler, frictionner les extrémités pour entraîner une vasodilatation cutanée, glaçons sur le cou, les creux axillaires, l'abdomen et les régions inguinales. Eviter les antipyrétiques, dérivés de l'acide salicylé et du paracétamol (aggravation des risques hémorragiques et de l'insuffisance hépatique). Oxygénation systématique, par sonde nasale ou sonde trachéale si la situation impose une intubation, pose d'une à deux voies veineuses périphériques de bon calibre (cathéter de 16 G) pour un remplissage vasculaire efficace par Ringer Lactate ou sérum salé à 0,9%, colloïdes en cas de collapsus prolongé (minimum 1 litre pendant la 1ère heure. Les troubles neurologiques imposent la position latérale de sécurité, liberté des voies aériennes, voire intubation et ventilation contrôlée, traitement anti-convulsivant.

En milieu de réanimation : monitorage, pose de voie veineuse centrale prudente en raison des troubles de coagulation, pour remplissage vasculaire, sonde thermique pour enregistrement en continu de la température centrale (sonde rectale, œsophagienne ou vésicale), sonde nasogastrique pour prévenir l'inhalation mais également afin de débuter un refroidissement par lavage gastrique, oxygénothérapie par sonde nasale en l’absence de ventilation mécanique.

Techniques de réfrigération : lavages gastriques à l’eau froide (15 à 20 °C), Body-Cooling-Unit : méthode de référence (Arabie Saoudite), nécessite un personnel en nombre et formé, consiste à vaporiser sous pression, sur l'ensemble du corps, de l'eau refroidie à 15°C, finement atomisée, et à créer un courant d'air chaud à 45-48°C, à la vitesse de 30 m/min. La déperdition calorique par cette technique est de 200 Kcal/ 5 min. La baisse de la température à moins de 38 °C est toujours obtenue en moins de 5 heures. Tunnel réfrigérant : le patient est placé sous un tunnel réalisé par un drap humide, placé sur des arceaux. L'air est propulsé à l'aide d'un ventilateur placé aux pieds du patient.

Les bains à l'eau glacée, ou même l'application de glace, sont des méthodes actuellement rejetées car elles entraînent une vasoconstriction cutanée qui entrave la dissipation thermique, et elles sont moins efficaces que l'application d'un courant d'air associé à l'aspersion d'eau.

 

Evolution

Le traitement initial a associé la ventilation mécanique en position proclive à 20 °, avec FIO2 de 100 %, et PEP de 5 cm d’eau en attendant la ré-expansion pulmonaire, une neurosédation et un traitement anti-comitial de principe, une antibiothérapie, en raison d’une suspicion d’une pneumopathie d’inhalation, des drogues vasoactives (noradrénaline afin d’obtenir une PAM > 80 mm Hg) des transfusion multiples de concentrés plaquettaires, PFC et fibrinogène, un remplissage vasculaire abondant et alcalinisation

L’évolution s’est faite vers l’aggravation, lors de l’utilisation des amines pressives, de l’ischémie des deux pieds présente dès l’admission. Persistance d’une insuffisance hépato cellulaire avec cytolyse : ASAT 3640 ; ALAT 2810 ; bilirubine 127/102 ; phosphatases alcalines : 96 ; gamma GT 151 ; amonniémie 97 ; TP 12 % ; TCA 55/32.Des hémorragie diffuses aux points de ponctions (notamment au niveau fémoral), dans la sphère ORL et pulmonaire sont apparues et ont persisté malgré les perfusions de fibrinogène, plasma frais congelé et concentrés plaquettaires. Au plan neurologique : myosis non serré, absence de convulsions, persistance du coma après arrêt de la sédation. Décision de rapprochement d’un centre de transplantation hépatique. Le décès est survenu pendant le transport aérien vers la métropole.

Nécrose débutante à l'admission Nécrose après 24 heures d'évolution
Tunnel réfrigérant: glace pilée, arceau et drap Tunnel réfrigérant