Hyperthermie
maligne d’effort mortelle en milieu tropical
Cas clinique
B-A Gaüzère.
Texte rédigé le 25 mars 2005
Observation
Monsieur QU…gendarme âgé de 38 ans est en poste à l’Ile d’Europa (canal du Mozambique) depuis
quelques jours. Au décours d’un jogging de 1 km au petit matin, il présente un
malaise avec perte de connaissance et hyperthermie à 40°C. Un médecin militaire
arrivé sur les lieux plusieurs heures plus tard note une hypertonie, une
hyperthermie et des convulsions, avec un score de Glasgow égal à 9. Le patient
est intubé sur place, ventilé, réhydraté et transféré en service de Réanimation
à Saint-Denis de la Réunion le 19/02/2005, soit une quinzaine d’heures après
l’accident.
Dans les antécédents, on note une surcharge pondérale, une
possible exogénose, une hypercholestérolémie traité par atorvastatine, et de
légères anomalies biologiques de la fonction hépatique plusieurs mois
auparavant : augmentation des gamma GT.
A l’entrée
dans le service : l’examen clinique note : un score de Glasgow égal à
3 sous sédation et ventilation artificielle, un collapsus (PA 64 / 44; pouls 90
/min), une température à 36,5° C, une cyanose importantes des deux pieds et un
faciès vultueux.
Bilan
paraclinique :
Ionogramme sanguin : Na 135 mmol/l, K 4,1 mmo/l, Cl 110
mmol/l, RA 32 mmol/l, protidémie 49 g/l, glycémie 5,6 mmol/l, Ca 1,85 mmol/l,
phosphorémie 1,46 mmol/l, créatininémie 154 µmol/l, urée 7,5 mmol/l, clairance
de la créatinine 70 ml/mn pour un poids de 90 kg
NFS : GB 5,890, Hb 14,1 g/dl, Plaquettes 18000, CRP : 3 mg/l
Gazométrie artérielle : pH 7, 28 ; pCO2 34 mm Hg ; pO2 70 mm
Hg ; C02 total 17 mmol/l ; BE -10 mmol/l ; SaO2 90 % sous 100 % FIO²
ASAT 519 UI/l, ALAT 257 UI/l, PAL 62 UI/l, gamma GT 237
UI/l, bilirubine totale 34, conjuguée16, amylase 188 UI/l, lipase 58
UI/l , acide urique 749
Bilan de coagulation : TP : 18 %, TCA : 61,
facteur V : 11 %, fibrinogène 0,6
Troponine Ic 4,9, CK 1338, MB 73, myoglobine 1775
Sérologies : Ag HBs négative, Ac antiBs >
1000, Ac HBC négatifs (IgM et IgG), HCV négatif, CMV (IgG 138.9, IgM
négatif) : HTLV et HIV négatives.
Radiographie pulmonaire : intubation sélective avec
opacité totale du champs pulmonaire gauche.
ECG : Rythme sinusal et régulier
Echographie abdominale, échocardiographie et TDM cérébrale:
normales
Quel
est votre diagnostic ?
Quels
traitements allez-vous prescrire ?
Quelle
évolution est attendue ?
Discussion
Il s’agit d’une hyperthermie maligne d’effort avec
retard de prise en charge compte tenu de l’éloignement géographique.
L’hyperthermie maligne d’effort
résulte d’un accroissement de la température corporelle centrale (fièvre >
41°C), associé à une altération de la conscience. Elle résulte du dépassement des mécanismes de
thermorégulation assurant l’homéothermie.. C’est une agression cellulaire
suite à une élévation extrême et prolongée de la température centrale, avec
pour conséquences des atteintes multiviscèrales, susceptibles d’engager le
pronostic vital. C'est la forme la plus grave de stress thermique avec une
mortalité d'environ 10 à 20 %. Egalement appelée coup de chaleur d’exercice,
elle survient chez les
sujets jeunes, avec une prédominance masculine, le plus souvent chez un sujet
sain, sans antécédents pathologiques. C’est une pathologie bien connue en
milieu militaire (marche de commando) mais aussi dans les milieux sportifs
(lors des marathons). Les facteurs prédisposants sont multiples :
- conditions climatiques : température ambiante d'environ
32°C, hygrométrie moyenne de 63 %. Il n’existe pas de prédisposition raciale,
mais les hommes sont les plus exposés.
-
antécédents cardiovasculaires
: HTA, insuffisance coronarienne, diabète, obésité, alcoolisme, maladies
entraînant des modifications de la sudation (mucoviscidose, ichthyose),
maladies affectant le métabolisme lipidique, déficits héréditaires en enzymes
musculaires , maladies neurologiques ou psychiatriques, affections chroniques
ou infection intercurrente, telle qu'une diarrhée, peuvent prédisposer à un
coup de chaleur. Prises médicamenteuses (antidépresseurs tricycliques,
neuroleptiques, anticholinergiques, antiparkinsoniens, IMAO, Cocaïne,
amphétamines, réglisse, laxatifs osmotiques, diurétiques).
La thermorégulation corporelle est régulée par une zone
de l’hypothalamus antérieur et des récepteurs thermosensitifs. L’homéothermie
est maintenue constante pour des ambiances thermiques de 15 à 55°C, par les
mécanismes de thermorégulation équilibrant la thermogenèse et la thermolyse. Les thermorécepteurs sont distribués
sur tout le corps, aux niveaux cutané, muqueux, musculaire, central et
hypothalamique. L'hypothalamus fonctionne comme un thermostat en intégrant
l'ensemble des données thermiques provenant de la peau et des organes profonds
et en affichant une valeur de référence, seuil préétabli pour l'espèce. Si la
température centrale dépasse ce seuil, l'hypothalamus induit des réactions
biologiques vasodilatatrices.
L'hyperthermie ne peut survenir
que lorsque les systèmes de thermorégulation sont défaillants, s'il existe :
-
un défaut de thermolyse (degré hygrométrique élevé perturbant l’évaporation
sudorale, absence de ventilation, port de vêtements imperméables à la sudation)
- une majoration de la thermogenèse endogène (effort musculaire
intense, excès alimentaires en protéines, en lipides, excès d’absorption
d’alcool) ou exogène (exposition solaire, chaleur radiante…)
- une anomalie du thermostat (maladies, âges extrêmes, adaptation
insuffisante ou trop récente à un climat donné).
Parfois, on retrouve comme seuls
facteurs : le
surmenage, le manque de sommeil, les modifications des habitudes alimentaires,
le manque d'acclimatation, des conditions socio-économiques défavorables.
Le début souvent brutal est
parfois précédé de prodromes : crampes, anomalies du comportement
(irritabilité, état ébrieux), nausées, céphalées. Ces symptômes sont des signes
d'alarme, nécessitent l'arrêt de toute activité sportive et de débuter un
traitement curatif. La période
d'état se traduit par une atteinte pluriviscérale : neurologique (coma,
convulsions, syndrome méningé), cardiovasculaire (collapsus ou un état de choc avec
oedème pulmonaire cardiogénique par défaillance myocardique ou lésionnel
secondaire à une inhalation, hémorragies intra-alvéolaires), rénale (urines rares, foncées, rougeâtres
"huile de vidange", insuffisance rénale, initialement fonctionnelle
puis organique imposant une épuration extra-rénale), hépatique
(nécrose des
hépatocytes, ictère), cutanéo-muqueuse (téguments brûlants, arrêt de la sudation, aspect
congestif de la face, cyanose, sécheresse des muqueuses, langue sèche, rôtie et
craquelée), un syndrome hémorragique à des degrés divers (troubles de la coagulation, simple
purpura pétéchial , hématomes extensifs, hémorragies diffuses aux points de
ponction veineuse, hémorragies extériorisées : hématémèse, hémoptysie,
hématurie), un déséquilibre hydroélectrolytique (hématocrite > 50%, protidémie >
80 g/L, kaliémie normale puis augmentée secondairement à l'insuffisance rénale,
à la rhabdomyolyse et à l'acidose métabolique), hypocalcémie et
hypophosphorémie, accumulation des lactates avec acidose métabolique, des stigmates
de rhabdomyolyse (élévation
des CPK, de la myoglobinémie et de la myoglobinurie).
Le
diagnostic différentiel élimine le coup de chaleur classique en dehors de tout effort, lors des
vagues de chaleur estivales: nourrissons, vieillards, maladies psychiatriques, l’insolation
secondaire à l'action
directe du rayonnement solaire sur le système nerveux central
Le traitement curatif a pour but de faire baisser le plus
tôt possible la température centrale. Les moyens utilisés sont la réfrigération
et la réhydratation. En pré-hospitalier : déshabiller, installer à l'ombre, asperger d'eau,
envelopper de linges humides et bien ventiler, frictionner les extrémités pour
entraîner une vasodilatation cutanée, glaçons sur le cou, les creux axillaires,
l'abdomen et les régions inguinales. Eviter les antipyrétiques, dérivés de
l'acide salicylé et du paracétamol (aggravation des risques hémorragiques et de
l'insuffisance hépatique). Oxygénation systématique, par sonde nasale ou sonde
trachéale si la situation impose une intubation, pose d'une à deux voies
veineuses périphériques de bon calibre (cathéter de 16 G) pour un remplissage
vasculaire efficace par Ringer Lactate ou sérum salé à 0,9%, colloïdes en cas
de collapsus prolongé (minimum 1 litre pendant la 1ère heure. Les
troubles neurologiques imposent la position latérale de sécurité, liberté des
voies aériennes, voire intubation et ventilation contrôlée, traitement
anti-convulsivant.
En milieu de réanimation : monitorage,
pose de voie veineuse centrale prudente en raison des troubles de coagulation,
pour remplissage vasculaire, sonde thermique pour enregistrement en continu de
la température centrale (sonde rectale, œsophagienne ou vésicale), sonde
nasogastrique pour prévenir l'inhalation mais également afin de débuter un
refroidissement par lavage gastrique, oxygénothérapie par sonde nasale en
l’absence de ventilation mécanique.
Techniques de réfrigération : lavages gastriques à l’eau froide
(15 à 20 °C), Body-Cooling-Unit : méthode de référence (Arabie Saoudite),
nécessite un personnel en nombre et formé, consiste à vaporiser sous pression,
sur l'ensemble du corps, de l'eau refroidie à 15°C, finement atomisée, et à
créer un courant d'air chaud à 45-48°C, à la vitesse de 30 m/min. La
déperdition calorique par cette technique est de 200 Kcal/ 5 min. La baisse de
la température à moins de 38 °C est toujours obtenue en moins de 5 heures.
Tunnel réfrigérant : le patient est placé sous un tunnel réalisé par un
drap humide, placé sur des arceaux. L'air est propulsé à l'aide d'un ventilateur
placé aux pieds du patient.
Les bains à l'eau glacée, ou même l'application de glace,
sont des méthodes actuellement rejetées car elles entraînent une
vasoconstriction cutanée qui entrave la dissipation thermique, et elles sont
moins efficaces que l'application d'un courant d'air associé à l'aspersion
d'eau.
Evolution
Le traitement initial a associé la ventilation mécanique
en position proclive à 20 °, avec FIO2 de 100 %, et PEP de 5 cm d’eau en
attendant la ré-expansion pulmonaire, une neurosédation et un traitement
anti-comitial de principe, une antibiothérapie, en raison d’une suspicion d’une
pneumopathie d’inhalation, des drogues vasoactives (noradrénaline afin
d’obtenir une PAM > 80 mm Hg) des transfusion multiples de concentrés
plaquettaires, PFC et fibrinogène, un remplissage vasculaire abondant et
alcalinisation
L’évolution s’est
faite vers l’aggravation, lors de l’utilisation des amines pressives, de
l’ischémie des deux pieds présente dès l’admission. Persistance d’une
insuffisance hépato cellulaire avec cytolyse : ASAT 3640 ; ALAT
2810 ; bilirubine 127/102 ; phosphatases alcalines : 96 ;
gamma GT 151 ; amonniémie 97 ; TP 12 % ; TCA 55/32.Des
hémorragie diffuses aux points de ponctions (notamment au niveau fémoral), dans
la sphère ORL et pulmonaire sont apparues et ont persisté malgré les perfusions
de fibrinogène, plasma frais congelé et concentrés plaquettaires. Au plan
neurologique : myosis non serré, absence de convulsions, persistance du
coma après arrêt de la sédation. Décision de rapprochement d’un centre de
transplantation hépatique. Le décès est survenu pendant le transport aérien
vers la métropole.