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  Fièvre jaune

Fièvre jaune chez une sénégalaise : cas clinique

 

Observation

 

Une femme, âgée de 36 ans, habitant dans un village à l’intérieur du Sénégal, prés de Kaolak, à 165 km de la capitale, Dakar, est adressée à l’Hôpital Principal de Dakar pour un ictère fébrile.

Le début de la maladie remonte à une semaine, marqué par une atteinte de l’état général faite d’une grande asthénie, de céphalées, de myalgies, d'une fièvre à 39°C, de nausées et de vomissements non sanglants. L’évolution a été rapidement défavorable avec apparition d’un ictère franc 4 jours après le début de la maladie.

Dans les antécédents, on note un goitre, non exploré et non traité, connu depuis 7 ans, sans modification apparente du volume. Cette femme est mariée, mère de 3 enfants, le dernier accouchement a eu lieu il y a 3 mois. Elle ne connaît pas son statut vaccinal.

A l’entrée, la patiente est adynamique, mais reste consciente. La température est à 38,8°C. On note un ictère intense des téguments et des muqueuses. Il n'y a pas d’hépato-splénomégalie, pas de circulation collatérale. La flèche hépatique est à 7 cm. Les urines sont rares et foncées. La diurèse sera mesurée à 300 ml/24 heures. Il n’y a pas de signe clinique objectif d’hémorragies. Il n’y a pas de syndrome méningé.

 

Examens paracliniques :

VSH à 80 mm à la première heure,

NFS : globules rouges : 3 950 000, taux d’Hb : 12,7 g/dl, hématocrite : 38,5%, VGM : 83 µ3 ; globules blancs : 7 100/mm3, polynucléaires neutrophiles : 57%, lymphocytes : 42%, monocytes : 2% ; plaquettes : 180 000/mm3,

Recherche d’hématozoaires (frottis sanguin, goutte épaisse) : négative

Créatinémie : 180 µmol/l, glycémie : 4,4 mmol/L, bilirubinémie : 546 µmol/l dont 412 µmol/l de bilirubine conjuguée, ASAT : 3 010 UI/l, ALAT : 1 970 UI/l, Phosphatases alcalines : 613 UI/l, gamma GT : 75 UI/l.

Taux de prothrombine : 10%, TCK : témoin 25 sec., malade 70 sec.

Ionogramme sanguin : Na 135 mEq/l, K : 3,6 mEq/l, Cl : 92 mEq/l.

Protidémie : 72 g/l, albumine : 36 g/l, a1 globulines : 1,8 g/l,  a 2 globulines : 2,7 g/l, b globulines : 5,2 g/l, g globulines : 26,3 g/l.

Urines : protéinurie : 0, 90 g/l, glycosurie : néant.

Echographie abdominale : normale

Tété thorax : ITN

Electrocardiogramme : tracé normal.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quelles sont les examens complémentaires qui doivent compléter le bilan ?

Quel est le traitement de cette maladie ?

Quelle est la prévention ?

 

Discussion

 

On est en présence d’un ictère fébrile avec insuffisance hépatocellulaire (TP, TCK) et atteinte rénale : il s’agit d’une hépatonéphrite.

Une hémolyse aiguë, faisant suspecter un accès palustre, est éliminée d’emblée.

Une hépatonéphrite toxique est éliminée par l’interrogatoire.

Une angiocholite aiguë avec la triade classique de Charcot associant douleurs, fièvre, ictère est éliminée par l’échographie abdominale : ni lithiase vésiculaire, ni dilatation de la voie biliaire principale.

Une hépatite bactérienne est évoquée : pneumococcémie, fièvre récurrente, surtout  leptospirose grave : la maladie de Weil associe Ictère, fièvre, insuffisance rénale. Cependant, il manque au tableau clinique le syndrome méningé et la cytolyse hépatique est trop élevée. Le diagnostic sérologique de la leptospirose demandé (ELISA, test de microagglutination) reviendra négatif.

Une fièvre virale hémorragique, en particulier une Fièvre de Lassa ou une  Fièvre à virus Crimée-Congo, est évoquée, mais il n’y a pas d’hémorragies, au moins extériorisées..

Lle diagnostic d’une infection à virus hépatopropes A, B ou C est discuté. Il est demandé une sérologie des hépatites qui montrera des anticorps anti-VHA de type IgG, des anticorps anti-HBs de type IgG et l’absence d’anticorps anti-VHC, donc absence d’hépatite virale évolutive.

Le diagnostic d’une fièvre jaune est, en définitive, le plus probable. Il doit être systématiquement évoqué devant tout ictère fébrile en zone d’endémie amarile, d’autant que le patient n’a pas été vacciné depuis plus de 10 ans. Le diagnostic de certitude est apporté par la mise en évidence des anticorps anti-YF de type IgM.

Le Sénégal est un pays de la zone d’endémicité amarile qui intéresse l’Afrique et l’Amérique tropicales entre le 15° de latitude nord et le 15° degré de latitude sud + Trinidad.

La fièvre jaune est une arbovirose transmise par un moustique du genre Aèdes. Elle se maintient dans ses foyers naturels permanents  (couple Aèdes, moustique vecteur, et singe, hôte primaire du virus).

Le diagnostic est clinique : c’est une hépatonéphrite aiguë hémorragique, mais il existe de nombreuses formes atypiques et frustres. C’est donc le diagnostic biologique qui apporte la certitude : basé sur la mise en évidence des anticorps sériques (anti-YF IgM) et l’isolement du virus (sang, LCR).

Dans le cas présenté, le bilan doit être complété par des hémocultures et des sérologies (leptospirose ; hépatites virales A, B, C ;  fièvre jaune). Une ponction lombaire n’est pas indiquée, en l’absence de syndrome méningé.

Le traitement est symptomatique : isolement, nursing, réanimation médicale. La patiente est décédée 48 heures après l’entrée dans un tableau de coma hépatique avec hémorragies extériorisées sous forme d’un vomito negro. Une ponction biopsie du foie faite post mortem a montré les aspects histopathologiques classiques de la fièvre jaune : dissociation trabéculaire, stéatose hépatique, nécrose des hépatocytes avec corps de Councilman.

La prévention repose sur la vaccination, arme absolue, par le vaccin 17 D ou 17 DD atténué, une seule injection assurant une protection pendant 10 ans. Elle est obligatoire pour tout voyageur se rendant en zone d’endémie. Toute contre-indication médicale à la vaccination entraîne une contre-indication au voyage. La lutte anti-vectorielle est toujours associée.

La fièvre jaune est une maladie qui sévit sur le mode endémo-épidémique, parfois épidémique, en Afrique et en Amérique du sud. En 2004, 235 cas suspects de fièvre jaune dont 65 décès (28%) ont été déclarés à l’OMS. En Amérique du sud, 5 pays (Bolivie, Brésil, Colombie, Pérou, Venezuela) ont déclaré 111 cas avec 52 décès (47%). En Afrique, 8 pays (Côte d’Ivoire, Burkina-Faso, Guinée, Cameroun, Libéria, Sénégal, Mali, Ghana) ont déclaré 124 cas avec 13 décès (11%). Ces 8 pays ont introduit la vaccination antiamarile dans le cadre du PEV, mais les taux de couverture vaccinale restent inférieurs à 50% dans ces pays. La situation en Afrique de l’Ouest est très préoccupante. L’augmentation de la circulation du virus amarile au sein des populations insuffisamment immunisées, conjuguée à l’urbanisation galopante de la région (39% de la population subsaharienne vit dans les villes en 2005, 63%  prévu en 2020) prédispose à l’explosion d’épidémies urbaines dévastatrices.

Le cas présenté est apparemment isolé. Une enquête épidémiologique faite dans la région d’où venait la malade n’a pas montré de maladie aiguë, mais une circulation du virus amaril a été notée (sérologie positive chez des sujets non vaccinés, ayant fait une forme inapparente de la maladie).

 

Références

 

Aubry P., Touze J.E. Fièvre jaune. Cas clinique en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp. 155-156.

Rodhain F. Fièvre jaune, dengue et autres arboviroses. Encycl. Méd. Chir., Maladies infectieuses,

8-062-A-10, 2001, 10 p.

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Des décès inexpliqués. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile. Editions Varia. 2001, pp. 243-247.

Richecoeur M., Klotz F., Nicaud E. Ictères et maladies infectieuses. Encycl. Méd. Chir., Maladies infectieuses, 8-003-A-80, 2001, 9 p.

OMS. Situation de la fièvre jaune en 2004, Afrique et Amérique du sud. REH, 2005, 80, 250-256.

 

Iconographie

 

Ponction biopsie du foie post-mortem : dégénérescence acidophile réalisant les corps de Councilman, stéatose microvacuolaire, nécrose hépatocytaire.

 

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Ponction biopsie du foie

Professeur Pierre Aubry. Texte revu le 02/08/2005.