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Kwashiorkor chez un enfant de 20 mois : cas clinique.

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 11/06/2003

 

Observation

 

Un enfant de sexe masculin, âgé de 20 mois est amené par sa mère au CHU de Bujumbura (Burundi)  pour une atteinte de l’état général (apathie, anorexie), des lésions cutanées apparues il y a trois semaines  et une diarrhée faites de 3 à 4 selles liquides par jour depuis 3 jours.

Dans ses antécédents, on note plusieurs épisodes diarrhéiques et rhinopharyngés sans gravité. L’enfant a été nourri exclusivement au lait maternel jusqu’à 12 mois. Il a été sevré à 18 mois.

L’enfant est somnolent, refusant toute boisson ou nourriture. Il pèse 10,8 kg pour 80 cm. Le périmètre brachial est à 120 mm. La température est à 37,7°C.

La peau a un aspect « en mosaïque », associant des plaques d’hyperpigmentation et de dépigmentation. Par endroits, la peau est desquame mettant à nu le derme (fesses, région périnéale). S’associent à ces lésions cutanées, des lésions des muqueuses et des phanères (chéilite angulaire, cheveux roux et défrisés).

L’examen met en évidence des œdèmes prédominants au dos des pieds, aux chevilles, aux mains, au visage. Les conjonctives sont pales. L’abdomen est ballonné. Il y a une hépatomégalie à bord inférieur mousse.

 

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens para-cliniques sont indispensables pour le confirmer ?
Quels traitements doivent être mis en œuvre ?

 

Discussion :

 

L’apparition dans les suites du sevrage d’une atteinte de l’état général (apathie, anorexie), de signes cutanéo-phanériens et d’œdèmes permettent de porter le diagnostic de malnutrition protéino-calorique. L’âge (>12 mois), les atteintes cutanéo-phanériennes, les œdèmes font partie du tableau clinique du kwashiorkor. Le kwashiorkor atteint les enfants de 1 à 5 ans, il est du à une carence en protéines et à un déficit en protéines  animales. De nombreux facteurs sont à l’origine du kwashiorkor :

- facteurs maternels : multiparité, gémellité qui précipitent le sevrage,

- facteurs culturels : introduction tardive des protéines animales,

- facteurs infectieux : diarrhées aiguës, parasitoses intestinales, rougeole.

On note que le périmètre brachial est ici à 120 mm : il s’agit donc d’une malnutrition modérée, classiquement sans risque de mortalité en lien avec l’état nutritionnel. En effet, un haut risque de décès est identifié par un périmètre brachial < 110 mm ou  par un seuil de l’indice poids-taille inférieur à –3 ET (écart type, Z-score) d’une population de référence. En pratique, il faut considérer que les enfants malnutris avec œdèmes sont atteints de malnutrition grave.

Aucun examen complémentaire n’est utile pour confirmer le  diagnostic de kwashiorkor : le diagnostic est clinique. Cependant, dans le cas présenté, compte tenu des signes cliniques, il faut demander une NFS (anémie clinique), un frottis sanguin (fièvre à 37,7°C), et systématiquement  une analyse parasitologique des selles. Le taux d’hémoglobine est ici à 8 g/dL, le frottis sanguin négatif, l’examen des selles positif pour des œufs d’ascaris.

 

Le traitement du kwashiorkor se déroule en 2 phases :

-  une phase initiale de rééquilibration,

-  une phase secondaire de réhabilitation nutritionnelle.

1. La phase initiale de rééquilibration dure tant qu’il y a une anorexie et/ou des œdèmes.

Elle comporte la correction de la déshydratation et la réalimentation.

1.1 Il faut rechercher une déshydratation en règle associée à la malnutrition, mais toujours difficile à évaluer chez un enfant œdémateux.

La correction de la déshydratation nécessite une solution de réadaptation adaptée, type RéSoMal® (Rehydratation Solution for Malnutrition), vu le risque de défaillance cardiaque. La solution OMS est mal adaptée chez l’enfant malnutri. Le ReSoMal® est prescrit à la dose de 10 ml/kg/h  les 2 premières heures, puis de 5 ml/kg/h  pour un total de 70 mL en 12 heures. La réhydratation nécessite une surveillance clinique attentive vu le risque de défaillance cardiaque (augmentation du rythme respiratoire, turgescence des jugulaires). L’anémie favorise la défaillance cardiaque.

1.2. La réalimentation : les apports énergétiques ne doivent pas être trop élevés en situation d’œdèmes, vu le risque de défaillance cardiaque. Les apports nécessaires  sont de 80 à 100 Kcal/kg/j. Ils sont apportés par une préparation lactée dite F75 qui apporte 75 Kcal/100 ml. Il faut prescrire 110 à 135 ml/kg ce qui apporte 80 à 100 Kcal/kg/j et 1 à 1,2 g de protéines /kg/j. La réalimentation peut nécessiter la mise en place d’une sonde gastrique. Elle est réalisée par prises fractionnées : 12 le premier jour, 8 les jours suivants. Il faut ajouter des vitamines (acide folique : 5mg ; vitamine A : 200 000 UI à J1 et J2). Il ne faut pas à ce stade prescrire de fer, les réserves en fer étant élevées.

:2. La phase secondaire de réhabilitation nutritionnelle  permet d’acquérir un gain pondéral maximum.  Elle est initiée dès la reprise de l’appétit et la fonte des œdèmes. La croissance pondérale est alors accélérée pouvant atteindre des rythmes élevés de 10 à 15 g/kg/j, soit prés de 10 fois supérieur à celui d’un enfant bien nourri du même âge. La préparation  lactée F100 qui apporte 100 Kcal/100 ml et 2,6 g/l de protéines (10 à 12% de la ration énergétique). Elle permet d’augmenter progressivement les apports énergétiques jusqu’à  200 Kcal/ j. Il y a à ce stade du traitement un risque de déficit en fer. Il faut alors ajouter du fer à la dose de 2 mg/j de fer élément.

Le traitement de l’ascaridiose fait appel au VERMOX® ou au FLUVERMAL®.

L’évolution du kwashiorkor est sévère. Dans l’immédiat, l’enfant risque de mourir de déshydratation et/ou d’infections : diarrhées, pneumopathies, septicémies à bacilles Gram négatif. La mortalité est de10 à 20%. D’où la nécessité d’une éducation de la mère à qui il faut donner des notions d’équilibre nutritionnel.

 

Références

 

Aubry P., Touze J.E. Kwashiorkor. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit, mars 1990, pp. 210-211.

Touze J.E. Peyron F., Malvy D. Un enfant adynamique. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile. Varia édit., mars 2001, pp.274-278.

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Kwashoiorkor : lésions cutanées