Kyste hydatique du pancréas : cas clinique.
Observation
Un homme, âgé de 23 ans, mauritanien de
race noire, originaire de Rosso, employé dans une entreprise textile de Dakar,
est admis à l’Hôpital Principal de Dakar, pour un syndrome douloureux abdominal.
Il accuse des douleurs abdominales péri-ombilicales, plus marquées depuis une
quinzaine de jours, à type de pesanteur, sans relation avec l’alimentation et
accompagnées de nausées, de vomissements alimentaires et de constipation.
Dans les antécédences, on note deux
traumatismes de l’abdomen, le premier il y a 10 ans lors d’un match de
football, le second, plus violent, il y a 5 ans, lors d’un accident de la
route.
A l’examen, l’état général est bon (poids : 72 kg
pour taille : 1 m 76). L’abdomen est souple, douloureux à la palpation de
la région épigastrique. Il n’y a pas de masse palpable. Il n’y a pas
d’hépatomégalie, ni de splénomégalie. La température est à 36,8°C. Il n’a pas
d’ictère.
Examens paracliniques :
VSH : 19 mm à la première heure,
NFS : globules rouges : 4 790 000/mm3, taux
d’Hb : 14,2 g/dl ; globules blancs : 6 700/mm3, polynucléaires
neutrophiles : 63%, éosinophiles : 6% (402/mm3) ;
plaquettes : 370 000/mm3,
Radiographie de l’abdomen sans préparation : normale,
Radiographie thoracique : ITN
Echographie abdominale : formation liquidienne de 8
cm de diamètre, entourée d’une paroi propre de 4 mm, située en avant du rein
droit, refoulant en arrière la vésicule biliaire, la voie biliaire principale
apparaît dilatée (cholédoque mesuré à 1 cm ½ de diamètre).
Endoscopie digestive haute : normale,
Bilan biologique : amylasémie : 2 660 UI/l,
glycémie : 4,2 mmol/l, calcémie : 2,52 mmol/l, phosphatases
alcalines : 68 UI/l, ALAT : 32 UI/l, ASAT : 38 UI/l, gamma
GT : 32 UI/l.
C’est cet homme jeune, aux antécédents traumatiques déjà
anciens, un kyste traumatique du pancréas est évoqué et le malade confié
rapidement au chirurgien. L’intervention chirurgicale met en évidence une
tuméfaction de la tête du pancréas refoulant en avant le 2ème
duodénum. La vésicule biliaire est dilatée, non tendue. Une ponction
sous-mésocolique au point déclive ramène 140 ml d’une liquide eau de roche dont
l’examen au laboratoire permet le diagnostic.
Quel est votre diagnostic ?
Quels sont les examens complémentaires utiles au diagnostic ?
Quelles sont les principales caractéristiques de cette
maladie ?
Quels traitements prescrivez-vous ?
Quelle est la prévention de cette maladie ?
Discussion
Le laboratoire confirme immédiatement la présence de
scolex dans le liquide eau de roche prélevée. Il s’agit donc d’une cestodose
localisée au niveau du pancréas. La zone opératoire est exclue du reste de
l’abdomen par des champs imbibés de solution parasiticide (sérum salé
hypertonique). La recherche d’autres localisations abdominales est négative.
L’examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire montre la présence de
scolex contenant des crochets. Après inclusion, on retrouve une membrane
cuticulaire striée, anhiste, une membrane proligère, des vésicules et des
scolex invaginés. Ces structures confirment qu’il s’agit bien d’une cestodose
larvaire : il s’agit d’un kyste hydatique du pancréas dû à Echinococcus granulosus.
Une tomodensitomètre n’a pu être pratiquée. Elle n’est pas
indispensable, l’échographie étant fiable chez ce sujet maigre.
Le diagnostic sérologique doit être demandé en
préopératoire. Il faut coupler deux techniques :
- une technique quantitative, hémagglutination indirecte,
immunofluorescence indirecte ou mieux ELISA qui montrent des IgG spécifiques,
- une technique qualitative : immunoélectrophorèse,
électrosynérèse avec un arc 5 spécifique.
Le tænia échinocoque adulte parasite l’intestin du chien,
hôte définitif (HD). Des hôtes intermédiaires (HI), en particulier le mouton,
se contaminent en broutant les pâturages infestés par les déjections du chien.
Ils développent des kystes viscéraux, en particulier du foie. Le cycle est
fermé lorsque le chien ingère les viscères du mouton. D’autres HI peuvent
prendre la place du mouton : bovins, ovins, camelins. L’homme est un hôte
accidentel : l’hydatidose humaine est une impasse parasitaire. L’homme se
contamine au contact direct avec un chien ou par ingestion de crudités
souillées par les déjections d’un chien infecté (œufs).
Dans l’estomac, l’œuf se transforme en une larve qui gagne
le système porte et se localise au foie, au poumon ou au niveau d’autres
organes. Le parasite se transforme en un kyste rempli de liquide clair, eau de
roche, Il est limité par une paroi d’origine parasitaire composée de 2
membranes. Le plus interne nommée membrane proligère présente de nombreux
bourgeons contenant des scolex ou têtes de tænia. En cas de rupture du kyste,
les scolex peuvent essaimer dans l’organisme et être responsables de
localisations secondaires de la maladie.
L’hydatidose est fréquente en pays d’élevage :
Amérique latine (Uruguay, Argentine, Brésil, Chili), Asie (Chine), pourtour
méditerranéen (Afrique du nord, Libye), Afrique de l’est (Kenya, Ethiopie),
Australie. Elle est rare en Afrique de l’ouest, rapportée au Niger, au Mali, en
Mauritanie.
Le kyste hydatique est localisé le plus souvent au foie
(75%), au poumon (15%), à la rate (2%), aux reins (2%). Des localisations sont
rares : os, cœur, cerveau, plèvre, péritoine. Certaines sont méconnues ou
exceptionnelles : thyroïde, parotides, muscles, pancréas…
La localisation pancréatique est en effet exceptionnelle
(0,2%). Le siége est le plus souvent céphalique ( 57%). Le kyste hydatique du
pancréas se révèle par des douleurs abdominales non spécifiques, parfois par
une masse épigastrique ou un ictère rétentionnel.
Notre observation prouve que le kyste hydatique peut se
localiser n’importe où dans l’organisme, y compris dans les pays où il est
classiquement rare. L’échographie pouvait faire évoquer le diagnostic (type 1
de Gharbi). Une sérologie aurait du être demandée avant l’acte chirurgical. Le
liquide eau de roche a attiré l’attention du chirurgien qui a pris les
précautions d’usage pour éviter une dissémination péritonéale.
Le traitement du kyste hydatique est essentiellement chirurgical.
Il doit permettre l’ablation du kyste (périkystectomie). En cas de
contre-indication à la chirurgie, deux alternatives sont possibles :
- la technique PAIR : ponction, aspiration, injection
d’un produit scolicide, réaspiration. Son but est d’inactiver le parasite, de
détruire la membrane proligère, d’évacuer le contenu du kyste et d’obtenir
l’oblitération de la cavité résiduelle.
- l’albendazole (ZENTELâ), qui est un scolicide, prescrit chez les patients
inopérables ou en association avec la technique PAIR ou en complément de la
chirurgie. L’albendazole est prescrit à la dose de 10 à 12 mg/kg/j pendant 30
jours par cures espacées de 15 jours.
La prévention repose sur l’éducation sanitaire, l’abattage
des chiens errants, le recensement et le traitement par vermifuges des chiens
domestiques, le contrôle de l’abattage du bétail. Un vaccin destiné aux animaux
domestiques est en cours d’évaluation.
Dans le cas présenté, un traitement par albendazole a été
prescrit à distance de l’acte chirurgical pendant un mois. Le malade a été
ensuite perdu de vue. La sérologie faite en post-opératoire n’a pu être
contrôlée.
Références
Aubry P., Touze J.E. Kyste hydatique du pancréas. Cas
cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp. 85-86.
Klotz F., Nicolas X., Debonne J.M., Garcia J.F., Andreu
J.M. Kystes hydatiques du foie. Encycl. Méd. Chir., Hépatologie,
7-023-A-10, 2000, 16 p.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Un hypocondre droit
douloureux. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile.
Editions Varia, 2001, pp. 138-140
Iconographies
Echographie abdominale : image liquidienne arrondie
de 8 cm de diamètre
Kyste hydatique : crochets en forme de poignard.
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 15/05/2004.
|
Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)