Leishmaniose cutanée
au retour de Guyane : cas clinique.
Observation
Un homme de 30 ans, célibataire,
militaire, consulte à son retour de Guyane Française pour une ulcération
surinfectée du coude gauche.
Il a fait un séjour de 2 mois en Guyane
en septembre octobre d’où il est revenu depuis un mois.
L’histoire de la maladie apprend
l’apparition d’une papule inflammatoire 30 jours après une marche prolongée et
un bivouac en forêt.
A l’examen, on observe une lésion
ulcéreuse à fond bourgeonnant, recouverte d’un enduit séro-purulent. La bordure
de cette ulcération forme un bourrelet infiltré surélevé par rapport à
l’ulcération. On note à la face interne du bras gauche quatre nodules
dermohypodermiques fermes, douloureux à la palpation, érythémateux, inflammatoires,
disséminés entre le coude et l’aisselle gauche. La malade est par ailleurs en
bon état général et le reste de l’examen est normal.
Quel est votre diagnostic ?
Quels sont les examens complémentaires
indispensables pour confirmer le diagnostic ?
Quel traitement allez-vous
proposer ?
Discussion
Le diagnostic est clinique. Le contexte
épidémiologique (séjour en Guyane, marche en forêt, période de haut risque de
transmission où les phlébotomes quittent la canopée pour descendre au ras du
sol et piquer les rongeurs terrestres, réservoir de virus habituel, et
accidentellement l’homme) et l’aspect clinique (forme humide) font évoquer
le diagnostic de leishmaniose sud-américaine à forme ulcéreuse.
Le diagnostic clinique est confirmé
par :
- le prélèvement par raclage, après un
nettoyage au sérum physiologique du fond de l’ulcération, le frottis et la
coloration au May Grunwald Giemsa mettant en évidence de nombreux corps
leishmaniens intracytoplasmiques,
- l’examen anatomo-pathologique d’une
biopsie cutanée à cheval sur le bourrelet périphérique mettant en évidence un
infiltrat inflammatoire du derme superficiel et moyen comportant des plages de
lymphocytes, plasmocytes, histiocytes, des follicules de cellules épithéliales
et de cellules géantes au sein desquelles sont retrouvés de rares leishmanies.
L’examen anatomopathologique d’un
prélèvement biopsique retrouve les mêmes lésions au niveau des nodules du bras
gauche et confirme ainsi la dissémination lymphatique de la leishmaniose.
Le caractère inflammatoire et
douloureux de cette lymphangite permet d’affirmer l’existence d’une lymphangite
d’étiologie mixte, parasitaire et infectieuse. En effet, la lymphangite
leishmanienne est en règle non inflammatoire.
Les leishmanioses sont des zoonoses
dues à un protozoaire flagellé transmises par la piqûre s’un insecte : le
phlébotome. Les différentes espèces de leishmanies à localisation tégumentaire
se répartissent dans l’Ancien et le Nouveau Monde avec une expression clinique
variable. Le diagnostic de leishmaniose cutanée repose sur la mise en évidence
des parasites par raclage en bordure de la lésion et examen direct du frottis
après coloration au MGG, sur la biopsie cutanée avec examen
anatomo-pathologique et mise en culture sur milieu NNN ou sérum de veau fœtal +
RPMI, sur la PCR pour identification de la leishmanie en cause.
Parasites
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Espèces
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Formes
cliniques
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L. braziliensis
|
L. braziliensis
L. guyanensis
L. panamensis
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Espundia
Pian bois
LC
localisée, parfois muqueuse
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L. mexicana
|
L. mexicana
L. pifanoi
L.
amazonensis
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Ulcère des
Chicleros
LC diffuse
LC diffuse
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L. peruviana
|
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Uta
|
L.
guyanensis
est la plus fréquente en Guyane Française.
Le traitement de la leishmaniose
cutanée fait appel :
- aux dérivés pentavalents de
l’antimoine dont la teneur en antimoine est différente : antimoniate de
N-méthyl glucantime ou GLUCANTIMEâ : 85 mg/ml, stibiogluconate de sodium ou PENTOSTAMâ : 100
mg/ml.
- aux sels de pentamidine : isethionate
de pentamidine PENTACARINATâ
Le protocole en Guyane Française repose
sur le traitement par PENTACARINATâ IM : 4mg/kg de pentamidine-base (soit environ 7 mg/kg)
à J1 et à J3. Une évaluation est faite à 6 semaines : si échec
(aggravation, multiplicité des lésions, signes de dissémination intradermique
et/ou lymphangitique, lésion unique mais avec persistance des leishmanies au
frottis) : 2ème cure de PENTACARINATâ aux mêmes
doses. Si échec après 2 cures, GLUCANTIMEâ IM à la dose de 20 mg Sbv/kg/20 jours.
Les effets toxiques des sels de
pentamidine sont dépendants des doses accumulées ; attente rénale,
hépatique, pancréatique (diabète induit) ou hématologique. Les effets
secondaires des dérivés pentavalents d'antimoine sont des accidents de stibio-intolérance
de type anaphylactique et de stibio-intoxication par surcharge en fin de cure.
Une surveillance hebdomadaire est donc
nécessaire : prise de la TA, ECG, NFS, glycémie, créatininémie, ASAT,
ALAT, amylasémie, lipasémie.
Dans le cas présenté, vu les signes
actuels de dissémination lymphangitique et le risque ultérieur d’atteinte muqueuse, le malade a été traité
par 2 cures de PENTACARINATâ et mis sous
antibiotiques : FUCIDINE 1,5 g/j pendant 10 jours. L’évolution a été
favorable.
La prophylaxie consiste à éviter toute
exposition en période de risque, juillet à octobre étant la période de haut
risque de transmission en Guyane française.
Références
Aubry P., Touze J.E. Leishmaniose
cutanée. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit, mars 1990, pp.
39-41.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Une
ulcération torpide. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format
utile. Editions varia, mars 2001, pp. 64-66.
Lightburn E., Morand J.J., Meynard J.B. et coll. Thérapeutique
des leishmanioses tégumentaires du Nouveau Monde. Expérience à propos de 320
cas traités par isethionate de pentamidine à fortes doses. Med. Trop.,
2003, 63, 35-44.
Iconographes
Photographie du bras du malade :
large ulcération de la face interne du coude gauche, présence de deux nodules
inflammatoires au niveau du bras gauche.
Frottis de l’ulcération axillaire
gauche mettant en évidence de nombreux corps leishmaniens (Giemsax400) ;
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé
le 19/01/2004.