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Leptospirose grave : cas clinique.

 

Observation

 

Un homme de 53 ans, réunionnais, habitant dans les Hauts de Sainte Rose, jardinier, vivant seul, sans antécédent notable, hormis un éthylisme modéré, est découvert inanimé à son domicile, alors qu’il avait été aperçu en bonne santé apparente 48 heures auparavant. Son hospitalisation est demandée en urgence au CHD de Saint-Denis.

A l’entrée, il présente une polypnée à 40/mn. une fièvre à 39,8°C, un pouls à 115/mn, une TA à 90/60 mmHg, une hypoxémie (Saturation oxymétrique de pouls : 85%). On note des troubles de la conscience à type de coma vigile (score de Glasgow = 10), entrecoupés de phases d’agitation motrice, associés à des myoclonies diffuses. Il existe un ictère conjonctival. Pendant l’examen, le malade émet un mélaena.

L’examen neurologique montre une rigidité plastique de type extrapyramidal des quatre membres. Les réflexes ostéo-tendineux sont vifs. Il existe un réflexe cutané plantaire en extension, bilatéral. Il n’y a pas de déficit moteur évident. L’examen des paires crâniennes est normal. Il n’y a pas de raideur de la nuque. On ne trouve ni adénopathie, ni hépatosplénomégalie. Le toucher rectal est sans anomalie, hormis la souillure du doigtier par du sang rouge. Le statut vaccinal n’a pu être précisé.

 

Examens paracliniques :

C-réactive protein : 158 mg/L.

NFS : taux d’hémoglobine : 9,4 g/dl ; globules blancs : 17 300/mm3, dont 86% de polynucléaires neutrophiles ; plaquettes : 50 000/mm3.

Créatininémie : 325 µmol/l.

Bilirubinémie totale : 171 µmol/l, conjuguée : 141 µmol/l.

ASAT : 70 UI/L, ALAT 80 UI/l.

Taux de prothrombine : 80%.

Examen des urines : protéinurie 0,30 g/l

Radiographie thoracique : opacités diffuses

Electrocardiogramme : tracé dans les limites de la normale.

Fond d’œil ODG : normaux.

Scanner cérébral : normal.

Ponction lombaire : LCR clair, proteinorachie : 0,80 g/l, glycorachie :3,2 mmol/l, chlorurachie : 122 mmol/l ; cytologie : 31 éléments blancs/mm3 (lymphocytes) ; absence de germes à l’examen direct.

 

Quel est votre diagnostic ?

Comment affirmez-vous ce diagnostic ?

Quel traitement proposez-vous ?

Quelle est la prévention de cette maladie ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’un coma fébrile de survenue brutale avec atteintes pulmonaire (faisant craindre une évolution vers un Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu [SDRA]), hépatique, rénale, neuroméningée et un syndrome hémorragique (melæna) avec thrombopénie faisant évoquer, en zone d’endémie, une leptospirose grave. Sont éliminés par le scanner un processus expansif cérébral (scanner), par l’examen du LCR une méningite purulente en particulier à pneumocoques et par le frottis sanguin, un paludisme.

Les examens complémentaires qu’il faut demander pour affirmer le diagnostic  sont :

- la recherche de leptospires dans le sang et le LCR  dès les premiers jours de la maladie (puis dans les urines à partir du 15ème jour) par l’examen direct au microscope à fond noir ou à contraste de phase et par les cultures sur milieux spéciaux (milieu Twen-albumine ou milieu EMJH [Ellinghausen, Mc Cullough, Johnson et Harris]). Les cultures sont longues à pousser et le délai d’observation est de 2 mois.

- les examens sérologiques : mise en évidence des anticorps sériques à partir du 8ème jour :

- macroagglutination sur lame avec l’antigène thermo-résistant TR ou, mieux, technique ELISA avec l’antigène L. biflexa sérovar patoc et mise en évidence d’IgM,

- confirmation par le test de microagglutination (MAT), ancienne réaction d’agglutination-lyse de Martin et Pettit, utilisant la gamme des antigènes, titre seuil 1/100.

Le Dipstick test est un test rapide de diagnostic sur bandelette. La fixation sur la bandelette d’un antigène de L. biflexa permet de capter les IgM qui sont ensuite mises en évidence par un réactif coloré.

La sérologie permet le diagnostic de leptospirose évolutive par une ascension du taux des anticorps à 2 prélèvements successifs effectués à 10-15 jours d’intervalle. Cependant, la technique ELISA et le Dipstick-test donnent 45% de faux négatifs lors de la leptospirose à L. grippotyphosa (rare en zones tropicales, fréquente en France métropolitaine).

La PCR se positive dès les premiers signes cliniques et se négative vers le 10ème jour (sang, urines, LCR, LBA)

Dans le cas présenté, le diagnostic a été apporté par la sérologie : il s’agissait d’une leptospirose à  Leptospira canicola avec MAT à 1/3200 au premier prélèvement, 1/12 800 au 15ème jour.

La leptospirose est une anthropozoonose due à des spirochétes du genre Leptospira comprenant deux espèces : L. biflexa saprophyte et L. interrogans pathogéne qui regroupe 23 sérogroupes et 230 sérovars. L. interrogans, pathogène pour l’homme, survit dans les eaux chaudes, l’homme se contamine en milieu hydrique souillé par les urines des animaux infestés (le réservoir de virus est constitué par les rongeurs), à la faveur d’une excoriation cutanée, plus souvent que par voie muqueuse.

L’expression clinique de la leptospirose est très polymorphe, du syndrome grippal à l’atteinte multiviscérale grave, mettant en jeu, comme dans l’observation présentée, le pronostic vital.

L’incidence de la leptospirose est élevée dans les départements et territoires français de l’Océan indo-pacifique : La Réunion, Mayotte, Polynésie et surtout Nouvelle-Calédonie où l’incidence est de 90/100 000.

Le traitement est étiologique et symptomatique :

- étiologique : antibiothérapie par pénicilline G 6 000 000 d’unités par jour, ampicilline : 6 g/j ou amoxicilline 3g/j ou cyclines 2g/j chez l’adulte. L’antibiothérapie doit être précoce, avant le 4ème jour.

- symptomatique : traitement de réanimation variant selon les possibilités locales. En pratique ;

- l’insuffisance rénale aiguë est traitée par furosémide et/ou épuration extra-rénale (hémodialyse conventionnelle, hémodiafiltration en milieu de réanimation)

- le syndrome hémorragique par des transfusions (plasma frais congelé, concentrés globulaires, transfusions de plaquettes)

- la défaillance ventilatoire par la ventilation mécanique,

- l’atteinte circulatoire par le remplissage vasculaire, les amines vasopressines et le recours précoce à l’épuration extrarénale.

La surveillance est clinique (température, conscience, diurèse, TA, rythme respiratoire) et paraclinique : bilan rénal, plaquettes, coagulation, téléthorax, ECG.

Il faut se méfier d’une réaction de Jarish-Herxheimer sous traitement antibiotique.

Chez ce malade, sous traitement étiologique et symptomatique, la fièvre a disparu au 10ème jour, les fonctions pulmonaire, hépatique et rénale se sont normalisées, l’hémorragie s’est tarie, la conscience est réapparue. Le LCR s’est normalisé au 15ème jour. Il a persisté une atteinte motrice des 4 membres, avec hypotonie et amyotrophie, une incontinence sphinctérienne et un syndrome akinétique, tableau inchangé au 3ème mois d’évolution.

 

La prévention est essentiellement individuelle :

- interdiction de baignades dans les collections d’eau mal connues,

- utilisation de vêtements spéciaux pour les professionnels à risque (ports de bottes, de gants).

La lutte contre le réservoir de virus, en particulier les muridés sauvages, est quasi-impossible.

ll existe un vaccin, le SPIROLEPTâ, vaccin inactivé actif seulement contre L. ictérohémorrhagiae.

Le développement des sports et des loisirs en eau douce tropîcale fait que la leptospirose devrait être de plus en plus fréquente chez les touristes sportifs au retour d’un séjour sous les tropiques.

 

Références

Aubry P. Touze J.E. Leptospirose. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., 1990, pp.129-130.

Duval G., Michault A., Baranton G et coll. Etude séroépidémiologique de la leptospirose à La Réunion. REH, 1992, 11, 47-48.

 

Iconographie

Radiographie pulmonaire du patient

Ictère franc

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 29/06/2004.

 

Collections: B-A Gaüzère. Réunion 2004 et I.M.T.S.S.A

Radiographie pulmonaire de face : syndrome de détresse respiratoire aiguë Ictère
Leptospirose: leptospires à la coloration de Fontana-Tribondeau