.
 

Lèpre tuberculoïde :  cas clinique.

 

Observation

 

Un homme de 45 ans, Gabonais, menuisier, est admis au Centre Hospitalier de Libreville pour une paralysie faciale gauche d’apparition récente. Il n’a pas d’antécédent particulier.

A l’examen, on est en présence d’un homme à l’état général conservé. Les conjonctives sont bien colorées. On note d’emblée que la face est asymétrique, l’hémiface gauche apparaît figée, les rides du front sont effacées, l’occlusion de l’œil gauche est impossible. Il n’existe pas de clignotement à la menace et le réflexe cornéen est aboli. Il n’y a pas d’ulcération cornéenne. Le pli nasogénien est effacé et la commissure labiale est tombante. Il existe une hypoesthésie de la peau dans la région sus-orbitaire. Il n’existe pas d’hypoacousie.

La palpation du cou retrouve deux cordons durs en chapelet au niveau du plexus cervical superficiel gauche. Les nerfs cubitaux dans les gouttières tricipîtales sont durs, douloureux et hypertrophies. La motricité des membres est normale. La sensibilité thermoanalgésique est émoussée au niveau des doigts. Les réflexes ostéo-tendineux sont normaux et symétriques.

L’examen des téguments montre deux taches hypochromiques circinées, péristernales et une tache en haut du dos. Ces lésions sont planes en leur centre. Leur périphérie est faite de micropapules. Il existe une hypoesthésie de ces taches par rapport à la peau adjacente.

Le reste de l’examen est sans anomalie

 

Examens paracliniques :

VSU : 65 mm à la première heure

N FS : globules rouges : 4 500 000/mm3, taux d’Hb : 13,8 g/dl, Ht : 45%, VGM : 93µ3, globules blancs : 6 800/mm3, polynucléaires neutrophiles : 65%, lymphocytes :29%.

Mucus nasal : absence de bacille de Hansen.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens complémentaires sont utiles pour confirmer ce diagnostic ?

Quelle est la classification actuelle de cette maladie ?

Quel est le traitement médical de cette affection ?

Quelle en est la prévention ?

 

Discussion

 

On est donc en présence d’un adulte présentant une paralysie faciale gauche, associée à une atteinte partielle sensitive du trijumeau. L’examen met en évidence :

- une hypertrophie des nerfs périphériques : plexus cervical superficiel, cubitaux,

- des taches achromiques à bordure surélevée (micropapules), hypoesthésiques.

L’association de signes cutanés et neurologiques doit toujours faire évoquer le diagnostic de lèpre (ou maladie de Hansen) en zone d’endémie. La diagnostic dermatologique différentiel ne se pose qu’en présence de lésions cutanées isolées.

La recherche de bacilles de Hansen dans le mucus nasal est négative dans la lèpre tuberculoïde, lèpre paucibacillaire.

Deux examens complémentaires sont utiles au diagnostic :

- une réaction de Mitsuda à la lépromine, positive dans la lèpre tuberculoïde, lèpre allergique, mais non réalisable actuellement faute de lépromine,

- une biopsie cutanée d’une tache hypoesthésique qui montre un granulome inflammatoire tuberculoïde fait d’une nappe de cellules épithéliales, avec quelques cellules géantes dans le derme superficiel. Il n’y a pas de bacille de Hansen. Cet examen histopathologique n’est pas spécifique de la lèpre tuberculoïde, mais conforte le diagnostic.

La classification de Ridley et Jopling a distingué en 1966 cinq formes de lèpre : tuberculoïde (TT), borderline tuberculoïde (BT), borderline (BB), borderline lépromateuse (BL) et lépromateuse (LL).

Cette classification des formes de lèpre a été révisée par l’OMS en 1988, classification basée sur la bactériologie qui a crée deux groupes : le groupe paucibacillaire (PB) et le groupe multibacillaire (MB) :

- groupe PB : patients à charge bacillaire ou index bactériologique (IB) négatif,

- groupe MB : patients à IB positif quelle que soit sa valeur.

Cette classification a été de nouveau modifiée en 1995 (et révisée en 1998) par l’OMS:

- groupe PB : patients ayant de une à 5 lésions cutanées, lui-même subdivisé en

         -  patients ayant une lésion unique (single lésion) unique,

         -  patients ayant de 2 à 5 lésions,

- groupe MB : patients ayant plus de 5 lésions.

La classification de la lèpre, d’abord clinique, bactériologique et histologique, puis bactériologique, est donc actuellement limitée à la seule clinique. Ceci a pour but un diagnostic précoce pour une polychimiothérapie (PCT) précoce et la prévention des lésions neurologiques. Cependant, les premiers signes dermatologiques de la lèpre (lèpre indéterminée) sont discrets et peu caractéristiques, d’où la nécessité d’une formation minimale en dermatologie des personnels de santé.

 

Le tableau 1 résume les différentes formes de lèpre, selon Ridley et Jopling.

 

Tableau 1 - Différentes formes de lèpre

 

 

Forme de lèpre

 

 

TT

 

BT

 

BB

 

BL

 

LL

 

Clinique

- signes généraux

- signes cutanés

 

- signes muqueux

- signes nerveux

- signes viscéraux

 

 

 

           -

      léprides

    

           -

         +++

           -

 

 

 

            -

léprides+lésions satellites

            -

          ++

            -

 

 

        -

lésions annulaires

        +

        +

        +

 

   

         ±

   lépromes

     

        ++

          +

        ++

 

     

         +

    lépromes

      

        +++

          +

         ++

 

Bacille de Hansen

- présence

- en globi

 

 

   

         -

         -

 

  

            ±

            -

 

    

        +

         -

 

     

        ++

          -

 

  

         ++

         ++

 

Immunologie

- IDR à la lépromine

 

 

     

        +

 

   

           ±

 

    

        -

 

       

          -

 

         

          -

 

Biopsie cutanée

- histopathologie

 

- bacille de Hansen

    - présence

    - en globi

 

 

 

Infiltrat tuberculoïde

 

        -

        -

 

 

Infiltrat tuberculoïde

 

  

           ±  

           -

 

 

Infiltrat mixte

 

 

        +

         -

 

 

Infiltrat lépromateux

 

        ++

          -

 

 

Infiltrat lépromateux

 

        +++

        +++

 

De ces différentes classifications découlent des PCT antibacillaires différentes :

- les modalités de la PCT recommandée par l’OMS en 1998 sont basées sur la classification clinique,

- les modalités de la PCT quotidienne sont basées sur la classification de Ridley et Jopling.

 

Tableau 2 – Modalités de la PCT recommandée par l’OMS en 1998 (doses adulte)

 

 

Groupes

 

Polychimiothérapie

 

 

Lèpre PB à lésion unique 

 

Rifampicine (RMP) [RIFADINEâ] : 600 mg

+ Ofloxacine (OFLO) [OFLOCETâ] : 400 mg

+ Mynocycline (MINO) [MYNOCINE] : 100 mg

Traitement minute par ROM

 

 

Lèpre PB (de 2 à 5 lésions)

 

RMP : 600mg 1 fois par mois, supervisée

+ Dapsone (DDS) [DISULONEâ] : 100 mg

ou clofazimine (CL0) [LAMPRENEâ] : 300 mg, 1 fois par mois

   supervisé et 50 mg par jour

Durée : 12 à 24 mois

 

 

Lèpre MB (plus de 5 lésions)

 

RMP : 600 mg, 1 fois par mois supervisée

+ DDS : 100 mg/jour

+ CLO : 300 mg, 1 fois par mois supervisé et 50 mg/jour

Durée : 12 à 24 mois

 

 Tableau 3 - Modalités de la PCT quotidienne

 

 

Formes de lèpre

 

 

Polychimiothérapie

 

Formes TT et BT

 

 

RMP : 600 mg/jour

+DDS : 100 mg/jour ou CLO : 100 mg/jour

Durée : jusqu’à guérison clinique (6-12 mois)

 

 

Formes BB, BL et LL

 

 

RMP : 600 mg/jour

+ DDS : 100 mg/jour

+ CLO : 100 mg/jour

Durée : jusqu’à négativation de l’IB (24 mois-4ans)

 

 

La modalité du traitement, dans le cas présenté, a été la PCT quotidienne, associant RMP + DDS.

La guérison a été obtenue au bout de 6 mois de traitement, jugée sur la clinique (lésions cutanées, atteinte des nerfs périphériques). La paralysie faciale est demeurée inchangée. Une kinésithérapie a été entreprise sans attendre la guérison de la maladie de  Hansen pour protéger et entretenir l’effecteur musculaire. Les interventions de décompression dans le canal de Fallope sont inutiles, car c’est avant tout le trajet sous-cutané du nerf facial qui est en cause dans la paralysie faciale lépreuse. De plus, les lésions de fibrose du tissu musculaire sous-cutané dans la région zygomatique, la dégénérescence des axones, la perte de myéline et l’atrophie des muscles faciaux contre-indiquent toute chirurgie réparatrice. Ultérieurement, une chirurgie plastique, toujours, difficile pourra être envisagée.

 

 

Références

 

Aubry P., Touze J.E. Lèpre tuberculoïde. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Durauliè édit., 1990, pp.107-109.

 

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Un placard érythémateux de la cuisse.  Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile. Editions Varia, 2001, pp. 177-179.

 

Flageul B. Prise en charge médicale actuelle de la maladie de Hansen. Bull. Soc. Pathol. Exot., 2003, 96, 357-360.

 

 

Iconographies

 

Photographie du malade : paralysie faciale périphérique gauche

 

Lépride avec lésions micropapuleuses en périphérie

 

Biopsie cutanée : présence d’un granulome inflammatoire épithélioïde avec nombreuses cellules géantes (HES x 250).

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 15/04/2004.

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Paralysie faciale périphérique gauche Léprides avec lésions micropapuleuses circinées
Biopsie cutanée (H.E.S. X 250) : présence d'un granulome inflammatoireépithélioïde avec nombreuses cellules géantes