Infection à méningocoque chez un nourrisson de six
mois : cas clinique.
Observation
Un
nourrisson de 6 mois, de race noire, de sexe masculin, est amené par sa mère au
Centre de Santé de Kabezi, village au bord du lac Tanganyika, à 25 km de
Bujumbura, capitale du Burundi. Cet enfant présente depuis environ 16 heures
une fièvre de début brutal, associée à
des modifications de son comportement habituel (apathie, anorexie). Des
vomissements et une diarrhée fécale sont apparus. Il est devenu somnolent, ce qui
motive la consultation.
L’interrogatoire
de la mère apprend que l’enfant est né à terme à la maternité de Kabezi. C’est
son premier enfant. Elle le nourrit au sein. Elle le présente régulièrement à
la PMI et l’enfant est vacciné selon le calendrier du PEV. Le test d’Emmel de
l’enfant est négatif et la mère était VIH négatif à l’accouchement, le test
ayant été fait dans le cadre de la prévention de la transmission mère-enfant.
A
l’examen, il s’agit d’un nourrisson en bon état général apparent : il
pèse 7,200 kg pour 69 cm. Le périmètre brachial est à 130 mm. La nuque est
molle, tombant en arrière dès qu’on assoit l’enfant. La fontanelle est bombée.
Un examen attentif montre quelques éléments purpuriques de 2 mm de diamètre sur
les membres inférieurs et l’abdomen. Au cours de l’examen, l’enfant présente
une crise convulsive alors que la température est notée à 40,2°C.
Après
un traitement pré-hospitalier, l’enfant est évacué, avec sa mère, sur le CHU de
Bujumbura où il est admis en urgence. Le médecin traitant signale, dans sa
fiche d’évacuation, qu’il n’y a pas d’épidémie dans son secteur.
A
l’entrée, l’examen clinique confirme les données de l’examen initial et
retrouve quelques pétéchies. La température est à 39,2°C, la TA à 70/40 mmHg, le pouls à 130/mm, le rythme
respiratoire à 50/mm. Il n’y a pas de signe évident de choc. Une ponction
lombaire est pratiquée aux urgences : le LCR est trouble, il y a 1200
éléments/mm3 dont 89% de polynucléaires neutrophiles. Il n’y pas de germe à
l’examen direct. La protéinorachie est à 1,10 g/L, la glycorachie à 0,17
g/L
Quel
est le traitement pré-hospitalier à faire avant l’évacuation vers
l’hôpital ?
Quel
est votre diagnostic ?
Quels
sont les examens complémentaires indispensables ou utiles au diagnostic ?
Quelles
sont les infections mettant en jeu le
pronostic vital chez l’enfant en zone tropicale ?
Quels
traitements allez-vous prescrire à l’hôpital ?
Quelles
sont les complications immédiates et à distance et les séquelles à
redouter ?
Quelle
prophylaxie allez-vous conseiller dans l’entourage ?
Discussion
Le
tableau clinique est évocateur d’une méningite du nourrisson (la raideur de la nuque manque le plus
souvent). Le risque imprévisible d’évolution fulminante toujours craint en
présence d’un purpura, signe de haute gravité, nécessite une antibiothérapie
par voie systémique avant même la réalisation de la PL. Les antibiotiques
recommandés sont la benzylpénicilline, les céphalosporines de troisième
génération (ceftriaxone, céfotaxime) ou les aminosides (ampicilline,
amoxicilline). Pour des raisons d’approvisionnement, c’est la pénicilline G qui
a été ici prescrite à la dose de 75 000 UI/kg par voie IV après mise en place
d’une perfusion de sérum glucosé à 10% par voie épicrânienne. Une injection de
phénobarbital 10 mg/kg a été faite par voie IV dans le tuyau de perfusion.
Il
s ‘agit d’une méningite purulente. Les trois germes le plus souvent en
cause dans les méningites purulentes de l’enfant de un mois à six ans
sont le pneumocoque, le méningocoque et
Haemophilus influenzae Le
méningocoque est ici en cause chez ce nourrisson présentant un purpura.
Parmi
les examens complémentaires indispensables au diagnostic, on demande la culture
du LCR, les hémocultures et, vu le contexte géographique, la recherche d’hématozoaires.
Compte tenu du traitement antibiotique avant la PL, il y a peu de chance que la
culture soit positive. Par contre, la recherche d’antigènes solubles dans le
LCR (agglutination des particules de latex) peut permettre de mettre en
évidence le germe en cause (il s’agit ici d’un méningocoque du sérogroupe
A), mais on ne pourra pas réaliser un antibiogramme.
Parmi
les examens utiles, mais non indispensables, le diagnostic de méningite
cérébro-spinale à méningocoques (MCSm) de sérogroupe A étant pose, on citera la
NFS, la CRP, la recherche de méningocoques dans d’autres sites, en particulier
dans la gorge, qui ne contribue pas au diagnostic, mais permet, si elle est
positive, un antibiogramme. Un bilan de la coagulation est utile :
numération des plaquettes, TP, TCA, temps de thrombine, fibrinémie, TS.
Les
infections graves mettant en jeu le pronostic vital chez le nourrisson en zone
tropicale sont : le paludisme grave à Plasmodium
falciparum, les méningites et les méningo-encéphalites, les septicémies,
les infections urinaires et le sepsis urinaire, les infections respiratoires aiguës
(épiglottite, laryngo-trachéite, surtout pneumonie et broncho-pneumonie), la
rougeole, les diarrhées infectieuses. Ces infections sont d’autant plus graves
que l’enfant présente une prédisposition aux infections (drépanocytose,
infection à VIH, malnutrition protéino-énergétique).
L’antibiothérapie
constitue l’essentiel du traitement des MCSm non compliquées. Le choix
est entre les aminosides (ampicilline, amoxicilline) et les C3G (céfotaxime,
ceftriaxone). La ceftriaxone (ROCEPHINE®) a été prescrite ici à la dose de 50
mg/kg/j et poursuivie pendant 10 jours après l’apyrexie, la guérison clinique,
biologique et bactériologique ayant été obtenue au 8ème jour
(contrôle du LCR).
Les
complications immédiates à redouter chez le nourrisson sont la déshydratation,
le choc, les crises convulsives, les hémorragies par CIVD. Les complications à
distance sont essentiellement les complications neurologiques, fréquentes chez
le nourrisson : épanchements sous duraux,
hypotension intracrânienne,
paralysies oculomotrices (VI et VIII). Les séquelles sont la surdité et
la comitialité à redouter s’il existe une atteinte neurologique.
Il
survient de surveiller très attentivement l’enfant afin de traiter
immédiatement les complications : remplissage vasculaire (substances
colloïdes), inotropes, ventilation mécanique, dialyse, traitements nécessitant
un transfert en Unité de Soins Intensifs.
La
déclaration aux autorités de santé publique est obligatoire. La prophylaxie par
antibiotiques des sujets contacts se fait par la rifampicine à le dose de 5
mg/kg 2 fois par jour chez le nourrisson de moins de un mois, de 10 mg/kg 2
fois par jour de 1 mois à 12 ans et de 600 mg 2 fois par jour chez l’adulte pendant 2 jours.
Il
s’agit ici d’un cas sporadique, qui nécessite une surveillance épidémiologique
dans la province de Bujumbura, d’autant que l’on assiste depuis 1991 à des
flambées épidémiques périodiques de MCSm au Burundi.
Références
Aubry
P. Touze J.E. Méningite cérébrospinale à méningocoques. Cas cliniques en
Médecine Tropicale. La Duraulié édit. , mars 1990, pp. 135-137.
Nicolas
F. Debonne J.M. Infections à méningocoques. Encycl. Med. Chir., Maladies
infectieuses, 8-013-A-10, 2002, 23 p.
Professeur
Pierre Aubry. Texte rédigé le 09/06/2003.