Mycétome fungique (eumycétome) du genou : cas clinique
Observation
Un homme de 25 ans, agriculteur de la
vallée du fleuve Sénégal, est adressé en consultation à l’Hôpital de Nouakchott
pour une volumineuse tuméfaction sous-cutanée polyfistulisée de la face
antérieure du genou gauche.
Cette tuméfaction, indolore, évolue
depuis 4 ans. Son volume a progressivement augmenté, sans rémission, ni
flambée. Elle entraîne actuellement une limitation fonctionnelle du membre
inférieur gauche. Le patient rattache le début de la maladie à une blessure par
des épines d’acacias.
L’examen met en évidence une tumeur de
18 cm de diamètre, indolore, sans caractère inflammatoire. Elle est ferme,
bosselée, pleine, mobile par rapport aux plans profonds. Elle est
polyfistulisée en plusieurs cratères qui déversent en surface du pus avec
petits grains noirs de petite taille (1 mm de diamètre) mais nettement
identifiables. L’examen du membre inférieur gauche révèle une limitation
fonctionnelle du genou et une importante amyotrophie quadricipitale. Les aires
ganglionnaires inguino-crurales sont libres. Il n’y a pas d’autre localisation
tumorale.
Examens paracliniques :
Radiographies du genou gauche :
absence de calcification au niveau des parties molles augmentées de volume,
absence de lésion ostéoarticulaire
VS : 12 mm à la première heure
NFS : taux d’Hb : 13,2 g%,
GB : 8 800 el/mm3 dont PN : 62%, PE : 3%.
Quel est votre diagnostic ?
Quelles sont les principales
caractéristiques de cette affection ?
Quels examens complémentaires sont
utiles pour «étayer» le diagnostic ?
Quels traitements
prescrivez-vous ?
Discussion
Devant cette tuméfaction, avec présence
de grains visibles à l’œil nu, chez un agriculteur, en zone sahélienne, au
stade de fistulisation, un diagnostic s’impose : il s’agit d’un mycétome
du genou. Le seul diagnostic différentiel est entre un mycétome fungique
(eumycétome) et un actinomycétome. Les grains, par leur aspect pathognomonique,
permettent dés l’inspection de porter le diagnostic de mycétome fungique. En
effet, la caractéristique essentielle des mycétomes est de donner naissance à
des grains noirs pour les mycétomes fungiques, rouges pour les actinomycétomes,
blancs pour les deux, source alors de confusion. Il s’agit ici de grains noirs
et le diagnostic est confirmé par l ‘examen microscopique direct d’un
grain entre lame et lamelle montrant un aspect filamenteux avec filaments épais
de 2 à 6 µm de diamètre, en réseau ramifié, avec présence de spores, évocateurs
de Madurella mycetomatis
Les mycétomes fungiques sont
secondaires à la pénétration du revêtement cutané par un objet piquant souillé
par un champignon microscopique saprophyte du sol et des végétaux épineux. Ils
sévissent sur le mode endémique en Afrique intertropicale, à Madagascar, en
Asie, en Amérique (Mexique) de part et d’autre du 15éme parallèle nord en
rapport avec la climatologie (pluviomètre annuelle de 50 à 800 mm, longue
saison sèche).
Le mode d’infection (piqûres),
l’habitude de marcher pieds nus expliquent la localisation préférentielle au
niveau des pieds (Pied de Madura), l’atteinte des genoux, des fesses, du
scrotum, des mains du cuir chevelu étant plus rares. Les mycétomes s’observent
chez les ruraux, cultivateurs et éleveurs, en règle de sexe masculin, âgés de 20 à 40 ans.
L‘évolution est toujours lente,
caractérisée par l’extension en profondeur, aboutissant à un envahissement des
fascias, des muscles, des os, et en surface avec l’extériorisation de grains.
Une surinfection est toujours associée.
L’observation rapportée est celle d’un
mycétome fungique, sans atteinte osseuse (radiologie), de localisation rare au
niveau du genou. Le diagnostic est néanmoins facile à évoquer : piqûre
initiale par épineux, extériorisation de grains noirs et durs.
Les examens complémentaires à demander
sont :
- une échographie qui montre des cavités uniques ou multiples à
parois épaisses sans renforcement acoustique, images spécifiques, examen de
grand intérêt dans les centres ne disposant pas de moyens pour faire le diagnostic
biologique,
- ou mieux, si possible, un scanner qui
permet de détecter les lésions osseuses débutantes,
- une biopsie de la lésion pour
examen microscopique direct des grains (réalisé dans notre observation sur le
pus prélevé), examen anatomo-pathologique et cultures sur milieu de Sabouraud,
longues à obtenir.
Le
traitement associe un traitement antifongique par kétoconazole (Nizoralâ) ou
itraconazole (Sporanoxâ) à une
chirurgie conservatrice. Un traitement antibiotique est institué pour traiter
la surinfection (cotrimoxazole).
Dans le cas présenté, le protocole a
comporté un traitement préopératoire par Nizoralâ, 400 mg par jour pendant un mois, puis
une intervention chirurgicale conservatrice. La cicatrisation a été obtenue en
21 jours.
Le traitement antifongique devrait
normalement être poursuivi pendant un an, mais son coût le rend inaccessible
aux populations locales pendant un long délai.
Il n’y a pas été observé de récidive à
12 mois. La surveillance clinique doit être de 3 ans, avec contrôles
échographiques.
Références
Andreu J.M. Intérêt du kétoconazole
dans son association au traitement chirurgical des mycétomes fungiques. Chirurgie,
1986, 112, 163-169.
Aubry P., Touze J.E. Mycétome. Cas
cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., 1990, pp. 103-105.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Un gros
pied. Médecine tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format utile. Varia
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Develoux M., Dieng M.T., Ndiaye B.
Mycétomes. Encycl. Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-606-A-10, 2002,
11 p.
Levadoux M., Fabre A., Nuzacci F.,
Rigal S. Image de mycétome de la main. Med. Trop., 2003, 63, 111-112.
Develoux M., Dieng M.T., Kane A.,
Ndiaye B. Prise en charge des mycétomes en Afrique de l’Ouest. Bull. Soc.
Path. Exot., 2003, 96, 376-382.
Iconographies
Tuméfaction polyfistulisée de la face
antérieure du genou gauche
Grain de Madurella mycetomatis (HES X 320)
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé
le 06/04/2004.
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Collections : Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A Le Pharo (Marseille)