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Syndrome néphrotique révélateur d’une syphilis secondaire : cas clinique.

 

Observation

 

Un homme de 39 ans, caucasien, militaire, est hospitalisé à l’Hôpital Laveran à Marseille, pour une poussée ascitique. Il a fait de nombreux séjours outre-mer et est revenu du Tchad il y a 2 mois.

L’histoire de la maladie remonte à quinze jours, marquée par une altération de l’état général, une augmentation de volume de l’abdomen et des œdèmes des membres inférieurs.

A l’entrée, le poids est de 87 kg (poids antérieur 74 kg), la température à 37°2C, la tension artérielle à 140/80 mmHg, la diurèse à 500 ml d’urines foncées, la recherche d’une protéinurie à la bandelette réactive est positive.

Il existe des œdèmes des membres inférieurs, blancs, mous, prenant le godet, un œdème du visage, une ascite avec une hépatomégalie, indolore, à bord inférieur mousse, à surface régulière, sans splénomégalie, et un épanchement pleural droit.

On note la présence au niveau de la face antérieure du thorax et de l’abdomen d’un exanthème érythémato-squameux roséoliforme. Au niveau du scrotum et de la verge, il existe des lésions papulo-érythémateuses de coloration rose-brun, infiltrées à la palpation. On trouve des polyadénopathies mobiles, spinales, bilatérales

L’examen de la cavité buccale montre la présence de deux plaques muqueuses planes au niveau du pilier antérieur de l’amygdale gauche et de l’amygdale linguale droite et une plaque muqueuse infiltrée, ulcérée et saignante au niveau du pilier postérieur de l’amygdale gauche.

La consommation avouée de boissons alcooliques, ancienne et régulière, est équivalente à 100 g d’alcool pur par jour. Il n’y a pas de notion d’une ulcération génitale récente.

 

Examens paracliniques :

 

VSH : 85 mm à la première heure.

NFS : globules blancs : 12 500/mm3.

Créatininémie : 89µmol/l.

Protéinurie : 9,2 g/l (soit 4,6g par 24 h) à caractère non sélectif, sans hématurie, ni leucocyturie,

Biologie hépatique : ASAT : 18 UI/l, ALAT : 24 UI/l ; gGT : 371 UI/l ; phosphatases alcalines : 358 UI/l.

Protidémie totale : 49 g/l, albumine : 12 g/l, a1 globulines : 2 g/l, a2 globulines : 11 g/l, b globulines 9, 3 g/l, g globulines : 14,5 g/l.

Cholestérol total : 9,04 mmol/l, triglycérides : 1, 44 mmol/l.

Ionogramme sanguin normal. Natriurèse : 2 mmol/l, kaliurèse : 96 mmol/l.

Calcémie : 2,13 mmol/l.

Ponction d’ascite : liquide trouble opalescent, contenait 6 g/l de protides totaux, 1,91 mmol/l de triglycérides, 0,42 mmol/l de cholestérol total et 0,46 mmol/l de phospholipides, 168 leucocytes/mm3 à majorité de lymphocytes. Le liquide de ponction pleural est identique. Ces liquides sont aseptiques à l’examen direct et aux cultures.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quels examens complémentaires sont indispensables pour affirmer le diagnostic ?

Quels sont les critères diagnostiques de l’atteinte rénale au cours de cette maladie?

Quelle est la pathogénie de ces différentes atteintes ?

Quel est le traitement ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’un syndrome néphrotique (protéinurie > 3,5 g/24 h, hypoprotidémie < 60 g/l, hypoalbuminémie < 30 g/l). Ce syndrome néphrotique est pur (ni hématurie, ni hypertension artérielle, ni insuffisance rénale). S’y associent des signes cutanéo-muqueux et une hépatomégalie avec cholestase anictérique.

Les lésions cutanéo-muqueuses évoquent une syphilis secondaire, en phase de dissémination septicémique de Treponema pallidum, qui apparaît environ 6 semaines après le chancre d’inoculation, soit à peu prés 2 mois après le contage. L’éruption cutanée décrite est faite d’une part d’une roséole au niveau du thorax et de l’abdomen, d’autre part de syphilides au niveau du scrotum et du fourreau de la verge.

La certitude du diagnostic de syphilis est apportée par le grattage à la curette de l’ulcération du pilier postérieur de l’amygdale gauche qui ramène une sérosité fourmillant de tréponèmes à l’examen direct  et par la sérologie tréponémique fortement positive : VDRL à 1/768, TPHA à 1/5120, FTA à 1/3200.

Devant ce syndrome néphrotique chez un adulte, une ponction biopsie rénale (PBR) est pratiquée. Elle montre des lésions diffuses et caractéristiques : présence sur le versant externe de la basale d’un matériel fibrinoïde granuleux qui se révèle être en immunofluorescence des dépôts membraneux constitués par de l’IgG, du C3 et du C1q. On observe également des dépôts artériolaires de C3 et quelques dépôts extra-membranaires d' IgM. Il s’agit donc d’une glomérulite extra-membraneuse au stade 1.

Le diagnostic est un syndrome néphrotique pur par glomérulonéphrite extra-membraneuse «révélant» une syphilis secondaire.

Une sérologie VIH est impérative, les IST, et en particulier la syphilis, étant des co-facteurs de l’infection à VIH/SIDA.

L’évolution sous traitement symptomatique (restriction hydrique, repos et régime pauvre en sel) sera favorable, authentifiée par la dispariton de la protéinurie. Un traitement spécifique par benzathine-pénicilline  (EXTENCILLINEâ) à la dose de 2 400 000 unités en IM, injection répétée à une semaine d’intervalle, a permis la guérison clinique de la syphilis.

Les critères diagnostiques de la néphropathie de la syphilis acquise sont bien définis :

- notion d’une infection syphilitique récente,

- coexistence d’une syphilis récente primaire ou secondaire, d’une protéinurie ou d’un syndrome néphrotique,

- sérologie syphilitique fortement positive,

- rémission spontanée ou guérison rapide après traitement de la syphilis et absence d’autre cause de néphropathie.

Tous ces critères sont réunis dans le cas présenté.

A l’atteinte cutanée et rénale est associée une attente hépatique clinique et biologique à type de cholestase anictérique. L’hépatopathie est contemporaine de la glomérulopathie ou isolée au cours de la syphilis secondaire. Les anomalies cliniques et biologiques évoluent favorablement en un maximum d’un mois. L’histopathologie, lorsqu’elle est faite, montre une discrète inflammation péri-portale à type de granulomatose.

La pathogénie des atteintes cutanée, rénale et hépatique, observées dans la syphilis secondaire, est liée aux immuns complexes circulants. Les études en immunofluorescence et en microscopie électronique effectuées sur les coupes histopathologiques de la PBR montrent que la glomérulite extra-membraneuse est due à des dépôts d’immuns complexes le long des parois des capillaires glomérulaires. Ces immuns complexes sont constitués d’anticorps anti-tréponémiques.

 

 

Références 

 

Gras C., Normand P., Aubry P. Quel est votre diagnostic ? Concours Médical, 1987,109,1753-1757.

 

Janier M, Caumes E. Syphilis. Encycl. Méd. Chir., Maladies infectieuses, 8-039-A-10, 2003, 17 p.

 

Iconographies 

 

Lésions papulo-érythémateuses du scrotum et du fourreau de la verge,

 

PBR : - néphropathie extra-membraneuse stade 1 (imprégnation argentique)

- immun sérum anticomplémentaire (immunofluorescence)

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 16/04/2004.

 

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Lésions papulo-érythémateuses : scrotum, fourreau de
la verge Néphropathie extra-membraneuse stade 1
(imprégnation argentique)
Immun
sérum anticomplémentaire (immunofluorescence)