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Cas clinique: Neurobilharzioses invasives chez deux frères Réunionnais contaminés à Madagascar

Cas clinique: Neurobilharzioses invasives chez deux frères Réunionnais contaminés à Madagascar.

 

Observation

Deux frères, l'un âge de 10 ans (enfant n°1), l'autre de 15 ans (enfant n°2),:originaires de La Réunion où ils demeurent avec leurs parents,  consultent au Centre Hospitalier Sud Réunion de Saint-Pierre pour une atteinte de l'état général, de la fièvre et une diarrhée glairo-sanglante.

L'interrogatoire apprend qu'au cours de vacances à Madagascar, ils ont pris un bain dans un étang. Le bain a été interrompu, après environ une heure, par un prurit intense, généralisé, survenant au même moment chez les deux frères. Vingt-trois jours après le bain, ils ont présenté tous les deux de la fièvre, des céphalées, de la toux, des douleurs abdominales Ils n'avaient pas pris de chimioprophylaxie antipalustre, ni pendant le séjour à Madagascar, ni au retour, mais la recherche d'hématozoaires a été négative.

Une diarrhée glairo-sanglante est apparue 44 jours après le bain et a été le motif de la consultation.

 

A l'examen les deux enfants présentent une somnolence avec un ralentissement psycho-moteur net, ce qui avait conduit à leur alitement à domicile. On note un amaigrissement (perte de poids chiffrée à 2 kg), et une fièvre (respectivement à 38°7C et 38°2C). L'examen somatique de l'enfant n°1 révèle une hépatomégalie et un déficit du membre inférieur gauche, prédominant au niveau des releveurs du pied, avec un signe de Babinski unilatéral. L'examen de l'enfant n°2 est sensiblement normal, alors qu'il se plaint de difficultés à la réalisation de gestes fins des 2 mains et d'une certaine raideur du membre supérieur gauche. Il n'y a pas d'hépatomégalie.

 

Examens paracliniques

 

Enfant n°1:

NFS : taux d'hémoglobine : 13,1 g/dl, globules blancs : 11 000/mm3 dont 17% d'éosinophiles (1 900/mm3), plaquettes : 176 000/mm3

CRP :  89 mg/l

Transaminases : ASAT à 64 UI/l, ALAT à 61 UI/L.

Recherche d'hématozoaires négative

Examen parasitologique de selles : oeufs de Schistosoma mansoni. Coproculture négative

Examen du LCR : normal

Echographie abdominale: hépatomégalie homogène, modérée, isolée

IRM cérébrale : multiples foyers d'hypersignal T2, avec hypersignal intense en diffusion

 

Enfant n°2:

NFS : éosinophiles à 2 100/mm3, plaquettes à 62 000/mm3

CRP :71mg/l

Transaminases normales

Recherche d'hématozoaires : négative

Examen parasitologique des selles: oeufs de Schistosoma mansoni. Coproculteur négative

Examen du LCR : normal

Echographie abdominale : normale

IRM cérébrale : mise en évidence de multiples petits foyers d'hypersignal T2 de la substance blanche des deux centres ovales, dont la plupart sont rehaussés par le gadolinium, présentant un hypersignal modéré en diffusion (figure 1).

 

Questions

 

1- Quel est votre diagnostic? Sur quel examen repose ce diagnostic?

2- A quelle phase de la maladie le diagnostic est-il porté?

3- Les signes cliniques et para-cliniques décrits auraient-ils permis un diagnostic plus précoce?

4- Quel examen para-clinique aurait pu permettre de confirmer le diagnostic à un stade plus précoce?

5- Quel est le traitement de la maladie causale?

6- Quelle est la prévention individuelle de cette maladie?

 

Discussion

 

1- Il s'agit d'une bilharziose à Schistosoma mansoni contractée lors du bain à Madagascar. Le diagnostic est affirmé par la mise en évidence des oeufs de S. mansoni  dans les selles.

2- Le diagnostic est porté en phase d'état, à la 7ème semaine du bain contaminant. Les enfants ont présenté les 3 phases cliniques des bilharzioses correspondant aux différents stades évolutifs des parasites (cercaires, schistosomules, adultes et oeufs) :

- la phase de contamination à J 0 contemporaine du bain infectant entraînant un prurit intense,

- la phase d'invasion à J 23 après le bain contaminant avec fièvre, céphalées, toux, douleurs abdominales, troubles neurologiques,

- la phase d'état à J 44 après la bain contaminant avec diarrhée gairo-sanglante et présence d’œufs de S. mansoni dans les selles.

3- Le diagnostic aurait pu être évoqué en phase d'invasion qui apparaît 2 à 6 semaines après la pénétration des cercaires.

La phase d'invasion des bilharzioses peut s'accompagner, outre des signes cliniques classiques (fièvre, céphalées, toux, douleurs) de signes neurologiques. Les signes présentés par les deux enfants illustrent bien les formes neurologiques décrites dans la littérature qui associent à des degrés divers :

- des signes d'encéphalite avec céphalées, somnolence, confusion, ralentissement psychomoteur, crises convulsives, troubles de conscience pouvant mener au coma,

- des signes locaux cérébraux ou médullaires avec hémianopsie latérale homonyme, dysarthrie, ataxie, incontinence urinaire ou fécale, déficits moteurs.

Les deux enfants ont présenté une neurobilharziose invasive caractérisée par une somnolence, un ralentissement psychomoteur et des déficits moteurs. Ils ont “bénéficié” à La Réunion de l'apport de l'imagerie médicale qui a permis de mettre en évidence des images compatibles avec une vascularite du système nerveux central.

4- En phase d'invasion, le diagnostic repose sur la notion de bain en eau douce en zone d'endémie bilharzienne avec un prurit pendant le bain et/ou une éruption cutanée à la sortie du bain, sur la clinique et sur l'hyperéosinophilie sanguine constante, mais retardée, apparaissant après la fièvre. Il peut s'y associer une élévation modérée des transaminases (enfant n°1), une thrombopénie (enfant n°2).

La sérologie bilharzienne, examen qui peut confirmer le diagnostic en phase d'invasion, se positive cependant tardivement, en moyenne 45 jours après la bain contaminant. Les tests disponibles dans le commerce reposent sur la détection d'anticorps de type IgM ou IgG (technique ELISA, immunofluorescence, hémagglutination) dirigés contre des antigènes de vers adultes ou d’œufs. Reposant sur la détection des formes adultes de schistosomes ou d’œufs, ces tests peuvent donc être mis en défaut pour le diagnostic précoce lorsque seules les schistosomules représentent les antigènes viraux. De plus, des réactions croisées existent entre les différents schistosomoses, la cysticercose, les larva migrans viscérales et les filarioses. La sérologie est donc de peu d'aide en cas de précocité des symptômes.

Dans nos observations, la sérologie bilharzienne a été faite tardivement en phase d'état et était positive en hémagglutination et en immunofluorescence. La sérologie de la cysticercose et de la toxocarose étaient négatives.

5- Le traitement des bilharzioses repose sur le praziquantel (Biltricide®) à la dose de 40 mg/kg en dose et prise uniques. Il n'est actif que dans les formes adultes ou dans les formes larvaires les plus âgées. Une réaction allergique, de l'ordre de 40% des cas, secondaire à la prise de praziquantel en cas de bilharziose invasive, justifie l'intérêt des corticoïdes en association avec le praziquantel.

6-  La prévention individuelle des bilharzioses consiste à éviter tout contact avec les eaux douces en zone d'endémie. Madagascar est une zone d'endémie à S. mansoni (côte Est et hauts plateaux) et à S. haematobium (côte Ouest).

Le nombre croissant de cas de bilharzioses invasives rapportées chez les touristes au retour de zones d'endémie, la sévérité de cette maladie et le risques de séquelles neurologiques doivent faire interdire toute baignade en eaux douces.

 

 

Bibliographie

Granier U., Potard M., Diraison P., Nicolas X., Laborde J.P., Talarmin F. Encéphalite aiguë contemporaine d'une primo-invasion à Schistosoma mansoni. Med. Trop., 2003, 63, 60-63.

Jaureguiberry S., Perez L., Paris L., Bricaire F., Danis M., Caumes E. Bilharzioses invasives. La Presse Médicale, 2005, 34, 1641-1645.

 

Iconographie

IRM Cérébrale  de l'enfant n°2

 

Figure 1. IRM cérébrale (enfant n°2) : multiples petits foyers d'hypersignal T2

 

Docteur Manuel Rocaboy, Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 31/12/2007.