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Peste bubonique : cas clinique.

 

Observation

 

Un garçon de 9 ans est amené par son père à 05 heures du matin au service porte de l’hôpital de Fianarantsoa (Madagascar). Il est malade depuis la veille vers 16 heures. Il a présenté un syndrome fébrile brutal avec frissons, vertiges, nausées, vomissements et s’est plaint de douleurs axillaires droites.

A l’entrée, l’enfant est stuporeux, mais conscient. La température est à 40°C, le pouls à 120/mn. La langue est sèche, rôtie. L’examen met en évidence une adénopathie inflammatoire, très douloureuse spontanément et à la palpation au niveau de l’aisselle droite. Il n’y a pas d’autre adénopathie palpable. Les bruits du cœur sont normaux. L’auscultation pulmonaire révèle quelques râles de bronchite. L’examen neurologique est normal.

L’interrogatoire du père apprend qu’une des sœurs du malade, âgée de 11 ans, a présenté la même symptomatologie, sous forme d’une adénopathie inguinale gauche, 4 jours auparavant et qu’elle est décédée brutalement dans la journée.

 

Examens paracliniques :

 

VSH : 45 mm à la première heure

NFS : globules blancs : 19 200/mm3, polynucléaires neutrophiles : 75%

Protéinurie : 0,70 g/l, urée sanguine : 0,80 g/l.

Radiographie pulmonaire au lit du malade : légère accentuation de la trame sur les 2 champs pulmonaires

ECG : tachycardie sinusale, discret aplatissement des ondes T dans les dérivations précordiales.

Une ponction ganglionnaire au niveau de l’aisselle droite ramène un liquide séro-hématique. L’examen direct du liquide avec coloration de Gram apporte le diagnostic.

 

Quel est votre diagnostic ?

Quel est le résultat attendu de l’examen direct de la ponction ganglionnaire ?

Quel examen paraclinique est actuellement indispensable au diagnostic ?

Quel traitement allez-vous prescrire ?

Quelles mesures allez-vous prendre sur le plan individuel et collectif ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’une peste bubonique. Le diagnostic est évident basé sur des arguments géographiques : région des hauts plateaux malgaches, des arguments anamnestiques : sœur décédée 4 jours auparavant dans un même tableau clinique ; des arguments  cliniques : bubon axillaire, même si la localisation attendue est inguinale (comme chez la sœur).

L’examen direct du liquide de ponction ganglionnaire après coloration de G

ram montre de nombreux coccobacilles gram négatif bipolaires, présentant les caractères morphologiques de Yersina pestis.

L’examen complémentaire indispensable au diagnostic est actuellement le test rapide de détection de la protéine F1 spécifique de Yersina pestis  mis au point par l’Institut Pasteur de Madagascar. Ce test utilise des anticorps monoclonaux dirigés contre l’antigène F1 (AgF1). Ce test se présente sous la forme de bandelettes immunochromatiques. Il permet de déceler la peste au chevet des malades en moins de 15 mn.. Sa sensibilité et sa spécificité sont de 100%.

La confirmation bactériologique (culture et inoculation à la souris) n’est réalisée qu’au laboratoire de référence  (Institut Pasteur de Madagascar) et nécessite un délai minimum d’une semaine

La peste est une maladie des rongeurs due à Yersina  pestis (bacille de Yersin), transmise à l’homme par les puces des rats. On observe généralement une mortalité des rats précédant d’une dizaine de jours les premiers cas humains. Madagascar est un des foyers les plus actifs de peste dans le monde. La peste sévit sur les Hautes Terres du centre et du nord de l’île, classiquement au-dessus de 800 m d’altitude d’octobre à mars (saison chaude et humide) et à Mahajunga, au bord de la mer, de juillet à novembre (période fraîche et sèche).

La peste se présente sous trois formes cliniques : la peste bubonique ou peste fermée, secondaire à la piqûre de la puce réalisant une adénopathie inguinale ou axillaire douloureuse (le bubon pesteux), la peste pulmonaire ou peste ouverte interhumaine, très contagieuse, réalisant une broncho-pneumonie aiguë et la peste septicémique qui serait, pour nombre d’auteurs, que l’expression d’une peste bubonique à bubon caché. L’incubation est brève inférieure à 6 jours. La mortalité est encore élevée de l'ordre de 5%. La réduction de la mortalité passe par un diagnostic rapide permis par le test de détection de l’Ag F1, disponible dans les centres de soins des Hauts Plateaux malgaches et par un traitement immédiat.

Le diagnostic bactériologique repose sur l’examen du pus du bubon, les hémocultures, l’expectoration (peste pulmonaire) La culture sur milieu CIN pousse en une semaine. Les délais sont donc longs (acheminement des prélèvements, délai des cultures, envoi des résultats), d’où l’intérêt actuel du test rapide.

Le traitement de la peste repose sur la streptomycine : 50 mg/kg/j en 2 injections I.M. ou en perfusion IV pendant les 3 premiers jours, puis 20 mg/kg/j les 7 jours suivants. Une peste bubonique traitée dans un délai de 72 heures guérit dans 100% des cas. Cependant, une souche présentant un plasmide de multirésistance a été isolée, rappelant la nécessité d’évaluer de nouveaux protocoles thérapeutiques.

La peste est une maladie ré-émergente. C’est une maladie évoquée dans le domaine du bio-terrorisme. Tout cas de peste doit immédiatement faire donner l’alerte, faire engager les mesures de lutte et de prévention : antibiothérapie pour le patient, mesures de prévention pour l’entourage  et désinsectisation de l’environnement. La désinsectisation immédiate et ciblée des maisons à risque, la lutte antiréservoir (rats) et antivecteur (puces) doit être toujours combinée. La peste est une maladie à déclaration obligatoire n° 9.

Dans le cas présenté, le malade a été isolé, la chambre désinfectée au DDT à 10%. Son état a nécessité pendant 48 heures une réhydratation par voie IV. Il a reçu 1,50 g/j de streptomycine. L'apyrexie a été obtenue au 5ème jour. Les contacts ont été soumis à une chimioprophylaxie par cyclines. La maison a été désinfectée au DDT.

 

 

Références

 

Aubry P., Touze J.E. Peste bubonique. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit.,  mars 1990, 123-124.

 

Ratsitorahina M., Chanteau S., Rosso M.L. et coll. Actualités épidémiologiques de la peste à Madagascar. Arch. Inst. Pasteur de Madagascar, 2002, 68, 51-54.

 

Chanteau S., Nato F., Migliani R. Intérêt des tests rapides par immunochromatographie pour la surveillance des maladies à caractère épidémique dans les pays en développement : l’exemple de la peste à Madagascar. Med. Trop., 2003, 63, 574-576.

 

 

Iconographie

 

Bubon axillaire droit

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 19/05/2004.

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Bubon axillaire