Ostéopériostite
pianique chez un gabonais : cas clinique.
Observation
Un homme, âge de 35 ans, Gabonais, se présente à la
consultation de Médecine au CHU de Libreville pour des douleurs invalidantes
localisées aux deux jambes apparues depuis 18 mois. Ces douleurs sont maximum
la nuit.
L’examen clinique montre une
déformation des deux jambes et un épaississement des tibias réalisant un aspect
« en lame de sabre ». Les os sont sensibles à la pression. Il existe
des lésions cutanées achromiques cicatricielles des membres inférieurs. Il n’y
a pas d’adénopathies inguinales. Les pouls des membres inférieurs sont bien
perçus. L’examen des articulations est normal.
A l’interrogatoire, le malade dit que
ces déformations sont apparues depuis plusieurs années, sans plus de précision,
et qu’elles n’étaient pas douloureuses au départ. Il n’y pas d’antécédent de
chancre.
Examens paracliniques :
VSH : 32 mm à la 1ère
heure,
Radiographies des os des jambes droite
et gauche : épaississement circonférentiel des os ; entre la réaction
périostée et la corticale, on note des zones claires linéaires disposées selon
le grand axe de la diaphyse donnant à l’ensemble un aspect hétérogène ; la
cavité médullaire est également hétérogène, plus dense en regard des lésions
périostées ; cet aspect est celui d’une ostéopériostite hypertrophique
multifocale.
Test d’Emmel : négatif.
Quel est votre diagnostic ?
Quel examen complémentaire est indispensable pour
confirmer ce diagnostic ?
Quel est le traitement de cette
maladie ?
Quelle en est la prophylaxie ?
Discussion
Les lésions radiologiques présentées par ce malade font
discuter des foyers d’ostéomyélite chronique. Ceux-ci peuvent être de nature
infectieuse bactérienne, en particulier chez les drépanocytaires, ou en rapport
avec une mycobactériose (tuberculose) ou une mycose profonde.
En pratique, de telles lésions chez un africain adulte
font évoquer une tréponématose. L’importance de la périostite, l’épaississement
de la corticale, le caractère multifocal, le siége tibial bilatéral sont
caractéristiques tant des tréponématoses non vénériennes, pian et béjel, que de
la syphilis (syphilis tertiaire bénigne).
Le tibia est «l’os chéri» des tréponématoses.
Le contexte épidémiologique et clinique fait retenir le
diagnostic de pian tardif. Les lésions cicatricielles achromiques des membres
inférieurs témoignent de lésions pianiques dans l’enfance.
Il existe au cours
du pian des lésions osseuses précoces particulièrement sous forme d’ostéite des
phalanges proximales des doigts (polydactylie ou spina ventosa pianique),
d’atteinte du massif centrofacial avec une hypertrophie réalisant le goundou ou
«gros nez» et tardivement (pian tardif) , outre l’ostéopériostite (aspect
en «lame de sabre» des tibias), de gangosa, qui est une rhinopharyngite mutilante
et ulcéreuse aboutissant à une destruction du massif centrofacial, ne
respectant que la langue.
La répartition des
tréponématoses non vénériennes varie essentiellement avec la géographie :
le pian ou framboesia est une maladie des zones forestières, le bejel ou
syphilis endémique est une maladie de la zone sahélienne.
Le sérodiagnostic des tréponématoses comprend un test non
tréponémique le VDRL qui se positive tardivement (4 à 5 semaines après la
contamination) et est quantitatif et des tests tréponémiques qualitatifs,
précoces, sensibles et spécifiques : TPHA et FTA-ABS. Les tests sont
interprétés en fonction de l’âge et de l’origine rurale ou urbaine du malade.
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Age
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> 5 ans
|
> 20 ans
|
> 40 ans
|
Taux sérologiques
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VDRL
TPHA
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Elevé
+
|
Elevé
+
|
Négatif
+
|
Interprétation selon
l’origine
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Urbaine
---------------
Rurale
|
Syphilis
congénitale tardive
---------------------------
Pian ou Béjel
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Syphilis vénérienne
- syphilis récente
- syphilis latente
|
Séquelles
sérologiques
de pian ou de béjel
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Chez notre malade, le VDRL était à 1/128ème, le
TPHA positif.
Le traitement médical du pian est la
Benzathine-Pénicilline ou EXTENCILLINEâ, forme retard. Le malade a reçu 2 injections de 2 400
000 U. d’EXTENCILLINEâ
en 2 injections à 15 jours d’intervalle. A un stade tarif, le traitement
médical n’a pas d’effet sur les déformations ou les mutilations, mais agit sur
les douleurs et rend la maladie moins invalidante..
La prévention consiste à traiter par l’EXTENCILLINEâ les
membres de la famille et les contacts. Si la prévalence est > 10%, il
faut traiter la totalité du réservoir, donc en pratique toute la population.
Les doses sont de 600 000 unités chez l’enfant avant 10 ans, 1 200 000 U après
10 ans et 2 400 000 U chez l’adulte. Cette stratégie avait entraîné la
quasi-disparition des tréponématoses non vénériennes en Afrique subsaharienne
en 1960.
Références
Aubry P., Touze J.E. Pian. Cas cliniques en Médecine
Tropicale. La Duraulié édit. , mars 1990, pp. 174-175.
Dexemple P. Une ostéopériostite africaine. Med. Trop.,
1996, 56, 326.
Mafart B. Le goundou. Méd. Trop., 2000, 60, 322.
Morlan B., Zagnoli A., Klotz F. Pian, Bejel. Encycl.
Med. Chir., Maladies infectieuses, 8-039-D-10n 2001, 9 p.
Iconographies
Tibias en lame de sabre
Radiographie des os des jambes
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Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)
Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 22/01/2004.