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  INTRODUCTION

Pied diabétique chez un Camerounais : cas clinique

 

Observation

 

Un homme, camerounais, d’ethnie Bamiléké, retraité, âge de 56 ans, habitant à Yaoundé, consulte au Centre National du Diabète et de l’Hypertension pour une lésion ulcérée du pied gauche. Il est traite depuis 5 ans pour un diabète sucré par un sulfamide hypoglycémiant (GLUCIDORAL®). Il n’a pas consulté depuis plus de 6 mois. Il avoue ne pas avoir une bonne observance thérapeutique, liée à des problèmes financiers.

L’examen clinique montre une ulcération superficielle du 2ème orteil du pied gauche, non douloureuse, et une hyperkératose de la plante du pied. L’examen du revêtement cutané du pied droit montre une hyperkératose de la plante.

Le poids est à 74,4 kg pour une taille de 1 m 71. La TA est à 133/81 mm Hg.

Les deux pieds sont chauds. Il n’y a pas d’écoulement au niveau de l’ulcération. Il n’y a pas de puce-chique. Tous les pouls périphériques sont bien perçus, y compris les pouls pédieux et tibiaux postérieurs. Il n’y a pas de souffle vasculaire. Le réflexe achilléen est aboli à gauche.

L’examen des chaussures montre qu’il s’agit de chaussures mal adaptées, trop serrées.

Le malade ne fume pas et ne boit pas d’alcool

 

Examens paracliniques :

Glycémie capillaire à la bandelette autoréactive à jeun : 2,28 g/l

Hémoglobine glyquée : 8,5% :

Urée : 0,37 g/l, créatininémie : 13 mg/l

Cholestérol total : 1,82 g/l, HDL cholestérol : 0,40 g/l, triglycérides : 1,12 g/l

NFS : Hématies : 4 360 000/ mm3, hémoglobine : 13,5 g/dl, globules bancs à  9 100/ mm3, polynucléaires neutrophiles : 45%, éosinophiles : 5%, basophiles : 2%, lymphocytes : 40%, monocytes : 8%,

VSH : 18 mm à la première heure:

Test au monofilament 10-g sur huit sites: non perception du monofilament au niveau du pied gauche

Test au diapason gradué sur 3 sites : perception des vibrations inférieure à 4

 

Quel est votre diagnostic ?

Quel est le grade de gravité de la lésion décrite ?

Quelle est la physiopathologie de cette lésion chez ce malade ?

Quel en est le traitement ?

Quelle en est la prévention ?

Quelle est la conséquence de cette lésion ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’un pied diabétique chez un malade présentant un diabète de type 2 connu depuis 5 ans actuellement décompensé.

Le pied diabétique regroupe l’ensemble des pathologies lésionnelles aiguës et plus encore chroniques touchant au départ le territoire topographique des pieds. Il s’agit d’ulcérations et/ou de destructions des tissus profonds associant à des degrés divers selon les patients des anomalies neurologiques et vasculaires du membre inférieur ainsi qu’une composante infectieuse. Le pied diabétique est une complication fréquente et grave avec un risque élevé d’amputation et de mortalité après amputation.

La fréquence du pied diabétique atteint 15% et plus dans les études récentes limitées au pied diabétique menées en milieu hospitalier en Afrique subsaharienne.

Une description précise des lésions des pieds diabétiques a permis de les classer, selon  Wagner, en six grades de gravité croissante (tableau I).

 

Il s’agit dans l’observation présentée d’un pied diabétique de grade 1, caractérisé par une ulcération superficielle sans pénétration des tissus profonds, avec hyperkératose. Ces lésions du pied surviennent sur un pied neuropathique (réflexe achilléen aboli, non perception du filament 10-g, perception du diapason inférieure à 4, pouls pédieux et tibiaux postérieurs perçus).

 

Tableau I. Grades de gravité des lésions du pied diabétique 

 

Grade

Description

0

Pas de lésion ouverte, mais présence d’une déformation osseuse ou d’une hyperkératose

1

Ulcère superficiel sans pénétration des tissus profonds

2

Extension profonde vers les tendons, l’os ou les articulations

3

Tendinite, ostéomyélite, abcès ou cellulite profonde

4

Gangrène d’un orteil ou de l’avant-pied, le plus souvent associé à une infection plantaire

5

Gangrène massive du pied associée à des lésions nécrotiques et à une infection des tissus mous

 

Une classification du risque de lésion du pied diabétique a été adoptée en 2002  par le groupe international sur le pied diabétique.

 

Tableau II- Classification du risque de lésion du pied diabétique

 

 

Grade

              

Définition

 

Risque

de lésion

              

 Prise en charge

 

Grade 0

 

Ni neuropathie, ni artérite, possibilités de déformations du pied indépendantes du diabète

 

 

 

Examen annuel des pieds

 

Grade 1

 

Neuropathie sensitive isolée, définie par la perte de sensation du monofilament 10-g en l’un des 6 sites explorés, à au moins 2 applications sur 3.

 

 

x 5 à 10

 

- Examen des pieds et des chaussures à chaque consultation par le médecin traitant

- Education du patient

 

Grade 2

 

Neuropathie + déformations du pied  et (ou) artérite définie par l’absence de palpation de 2 pouls à un pied ou par un antécédent de chirurgie vasculaire d’un membre inférieur ou par l’existence d’une claudication intermittente.

 

x 10

 

Mesures pour le grade 1 avec en plus :

-bilan par un podologue puis soins de podologie tous les 2 mois

 -si nécessaire prescription de semelles orthopédiques (orthèses) réalisées sur mesure par un podologue  pour réduire la pression au niveau des callosités,

-si nécessaire, prescription de chaussures pour pieds sensibles ou de chaussures thérapeutiques de série

 

 

Grade 3

 

Antécédent d’amputation ou d’ulcération du pied ayant duré plus de 3 mois

 

x 25

 

Mesures pour les grades 1 et 2 avec en plus : orientation pour bilan annuel vers une équipe spécialisée.

 

 

 

Cette classification du risque de lésion du pied diabétique est applicable en Afrique sub-saharienne : elle ne fait appel, en effet, qu’à l’interrogatoire et à l’examen clinique (examen des pieds, test au monofilament 10-g, palpation des pouls).

A noter qu’il n’ y a pas de correspondance entre les 2 classifications exposées ci-dessus.

Dans l’observation présentée, la prise en charge a consisté en :

- l’équilibre glycémique : il est obtenu par le recours à l’insuline, type insuline semi-lente, puis, une fois l’ulcération en voie de cicatrisation, reprise du traitement oral par un biguanide ou l’association sulfamise + biguanide ;

- le traitement local : il s’agit d’une ulcération non infectée (pas de syndrome infectieux, pas d’écoulement purulent, pas d’extension profonde), les soins locaux consistent en un débridement de la plaie au bistouri suivi d’un nettoyage au sérum physiologique, puis d’un pansement sec non occlusif,

- la prise en charge podologique : outre l’examen régulier des plaies, il faut prescrire au patient des chaussures adaptées,

- la rééducation : une première phase de repos actif sera suivie d’une phase de remise en charge avec marche avec béquilles.

Cette prise en charge nécessite l’éducation et la formation des personnels de santé et une équipe multidisciplinaire.

La prévention du pied diabétique repose en particulier sur des conseils simples et facilement applicables en Afrique intertropicale. Il faut fortement conseiller aux diabétiques de grades 1 à 3 de la classification du risque de lésion :

- d’ examiner chaque jour leurs pieds,

- de ne pas marcher pieds nus,

- de mettre des chaussettes dans leurs chaussures,

- de passer chaque jour la main dans leurs chaussures pour rechercher un corps étranger ou une aspérité blessante,

- de se faire tailler les ongles par une tierce personne éduquée, s’ils ont du mal à atteindre leurs pieds ou s’ils ont une mauvaise vue,

- de consulter immédiatement, s’ils ont une lésion des pieds, même non douloureuse.

Une prise en charge précoce permet de dépister les patients de grade 1 du groupe international sur le pied diabétique et d’éviter l’évolution vers les complications conduisant à l’amputation. Une réduction du nombre d’amputation est une priorité pour diminuer les coûts humains et économiques du pied diabétique.

 

Références

 

Pham H, Armstrong DG, Harvey C, Harkless LB, Giurini JM, Veves A- Screening techniques to identify people at high risk for diabetic foot ulceration ; a prospective muticenter trial. Diabetes Care, 2000, 23, 606-611.

Passa P. Campagne de dépistage du risque des lésions des pieds chez les diabétiques. Rev Prat. Médecine générale, 2002, 16, 1477-1478.

Tckakonté B., Ndip A., Aubry P., Malvy D., Mbanga J.C. Le pied diabétique au Camerouin. Bull. Soc. Path. Exot., 2005, 98, 94-98.

 

Iconographie

 

Ulcération du 2ème orteil du pied gauche et hyperkératose (collection B. Tchakonté)

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 15/07/2005.