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Envenimation par poisson-pierre. Maladie sérique : cas clinique.

 

Observation

 

Un homme de 36 ans, Eurasien, vivant en Nouvelle-Calédonie, est adressé en urgence au CHT de Nouméa, pour suspicion de tétanos. Il présente une fièvre à 38°5 C, des courbatures un trismus apparus depuis quelques heures.

L’interrogatoire apprend qu’il a été piqué au pied gauche 9 jours auparavant, à la plage, par un poisson-pierre. La piqûre a entraîné une douleur immédiate, syncopale avec apparition rapide localement d’un œdème inflammatoire. Il a été traité sur place : nettoyage de la plaie, immersion du pied dans de l’eau chaude. Il a reçu le soir même de la piqûre deux injections intramusculaires  de sérum anti-stonefish (Stonefish antivenon Commenwealth Sérum Laboratoriesâ, Department of Health, Melbourne, Victoria).  Il n’a pas reçu d’anatoxine antitétanique, ayant été vacciné correctement contre le tétanos 4 ans auparavant, avec injection de rappel un an après.

A l’examen, la température est à 39°5 C, le pouls dissocié à 72/mn, la TA à 120/70 mmHg. Il est noté un trismus, une discrète raideur de la nuque. Les articulations sont douloureuses spontanément et à la mobilisation. On note une éruption cutanée à type d’érythème scarlatiniforme avec prurit. Il existe une plaie ecchymotique du deuxième orteil du pied gauche, lieu de la piqûre.

Il n’y a pas d’anomalie au niveau de la cavité buccale. L’examen neurologique est normal.

 

Examens paracliniques :

VSH : 17 mm à la première heure,

NFS : taux d’Hb : 16 g/dl ; globules blancs : 17 500/mm3, polynucléaires neutrophiles : 90%, éosinophiles : 2% ; plaquettes : 312 000/mm3,

Fond d’œil normal

Ponction lombaire : LCR eau de roche, 3 él/mm3, protéines : 0,15 g/l, glucose : 3,1 mmol/l, chlorures : 123 mmol/l.

 

Quel est votre diagnostic ?

Comment expliquez-vous la complication actuelle ?

Que savez-vous de l’envenimation par poisson pierre ?

Quelle est la prise en charge de l’envenimation par poisson-pierre ?

Y a-t-il une prévention ?

Que prescrivez-vous dans le cas présenté ?

 

Discussion 

 

Le patient est adressé pour suspicion de tétanos, 9 jours après avoir été piqué par un poisson-pierre. Le seul signe objectif en faveur d’un tétanos est le trismus, mais le patient est correctement vacciné contre le tétanos depuis moins de 10 ans. D’autre part, l’examen de la cavité buccale et l’examen neurologique sont normaux et il n’y a pas de prise médicamenteuse récente, en particulier pas de prise de neuroleptiques.

En fait, le diagnostic d’arthrite temporo-maxillaire dans le cadre d’une maladie sérique est évident chez ce malade qui a reçu 9 jours auparavant du sérum antivenimeux hétérologue d’origine animale (le sérum anti-stonefish est un sérum équin). Les manifestations cliniques de la maladie sérique se manifestent entre le 7ème et le 10ème jour après l’injection, caractérisées par une fièvre, des courbatures, une urticaire ou un érythème polymorphe. Ce tableau se complète d’arthralgies, parfois d’adénopathies avec splénomégalie. L’évolution se fait le plus souvent vers la guérison en 1 à 2 semaines. Des séquelles sont possibles : neuropathies, glomérulonéphrites. La maladie sérique est une vascularite secondaire à la formation de complexes immuns circulants.

La fréquence des blessures par animaux marins est en augmentation dans les régions d’endémie, en particulier dans l’Océan indo-pacifique (donc en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, à l’Ile de la Réunion).

Le poisson-pierre (Synanceja verrucosa) ou stonefish ou crapaud de mer, est présent dans les eaux chaudes et peu profondes des lagons, en particulier sur la côte australienne prés de la Grande Barrière de corail.

Le poisson-pierre est de la famille des Scorpaenidae qui comprend les Scorpaena (poisson scorpion), les Pteroïs (rascasses) et les Synanceja (poisson-pierre).

Le poisson pierre mesure 15 à 30 cm de long, il est enfoui dans le sable, caché par les coraux, ressemblant à s’y méprendre à un rocher. Il est doté de 13 épines dorsales venimeuses et également d’épines venimeuses sur les nageoires pelviennes et anales. Son venin est très toxique, proche de celui des élapidés. Le venin a des propriétés myotoxiques, neurotoxiques et hémolytiques. Il possède des propriétés antigéniques à l’origine du sérum antivenimeux. Il est thermostable à partir de 52°C.

Les piqûres de poisson-pierre se situent en général aux pieds, la blessure survenant en marchant sur l’animal. Des piqûres aux mains se voient chez des pêcheurs ou les cuisiniers (le venin reste toxique 48 heures après le décès du poisson-pierre).

Le tableau clinique qu’entraîne la piqûre de poisson-pierre se caractérise par des signes locaux : douleurs souvent syncopales, œdème, phlyctènes hémorragiques, nécrose et des signes généraux : convulsions, accidents cardiaques et respiratoires entraînant la mort. Des complications tardives secondaires aux lésions nécrotiques sont dues à des surinfections : lymphangites, cellulites, pouvant être cause de septicémies et de mort.

 

La prise en charge d’un patient piqué par un poisson-pierre peut être ainsi schématisée :

- soustraire le blessé du milieu aquatique pour éviter la noyade,

- immerger le plus rapidement possible la blessure dans de l’eau chaude, pendant 1 heure à 1 heure 30, le venin étant thermolabile, mais, l’eau ne doit pas dépasser 45°C pour éviter les brûlures,

- faire un traitement antalgique,

- vacciner, si nécessaire, contre le tétanos,

- explorer la plaie à la recherche d’un corps étranger et s’il y a lieu, débrider avec prélèvements bactériologiques et mise en culture,

- discuter une antibioprophylaxie en cas de blessure profonde, de présence d’un corps étranger ou chez un sujet immunodéprimé, les antibiotiques étant prescrits en fonction de l’écologie bactérienne du milieu marin : dominée par les vibrions, les anaérobies, les BGN.

- injecter le sérum anti-stonefish en se rappelant q’il s’agit d’un sérum équin, avec le risque d’accidents de la sérothérapie : choc anaphylactique immédiat, maladie sérique retardée.

 

La prévention de l’envenimation par poisson pierre consiste à porter des chaussures à semelles très épaisses lorsque l’on marche dans des eaux peu profondes des lagons de l’Océan indo-pacifique, d’éviter de marcher sur les récifs coralliens et les fonds rocheux.

 

Dans le cas présenté, le traitement a consisté en une courte corticothérapie qui accélère la guérison le plus souvent spontanée de la maladie sérique : prednisolone (SOLUMEDROLâ), 80 mg/24 heures en IV directe, associé à de l’acétylsalicylate de sodium (ASPEGICâ) 500 mg/24 heures en IM. Il n’y avait pas de surinfection locale. L’évolution a été rapidement favorable, permettant la sortie au 3ème jour d’hospitalisation.

 

 

Références

 

Aubry P., Touze J.E. Maladie sérique. Envenimation par poisson pierre. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp 218.

 

Martelly M., Morbidelli P. Les envenimations par poisson pierre  l’île de la Réunion : la fin d’un mythe. Réan. Soins Intens. MED. URG., 1996, 12, 63-69.

 

Aubry P. Envenimations par les animaux marins. Med. Trop., 1998, 58, 131-133.

 

Rural F. Les envenimations marines. L’exemple de la Nouvelle-Calédonie. Med. Trop. , 1999, 59, 287-297.

 

Louis-François C., Mathurin C., Halbwachs C., Grivois J.P., Bricaire F., Chaumes E. Complications cutanées des envenimations par poisson pierre chez 6 voyageurs au retour de la région maritime indopacifique. Bull. Soc. Path. Exot., 2003, 96, 415-419.

 

Iconographies

 

- Poissons-pierres (Madagascar)

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 04/05/2004. Photos : Didier Félix. Nosy-Bé, Madagascar