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Réaction reverse chez un africain : cas clinique

 

Observation

 

Un homme, d’origine zaïroise, habitant au Burundi depuis l’enfance, âgé de 32 ans, consulte dans le service de Médecine Interne du CHU de Bujumbura pour l’apparition en quelques jours de placards inflammatoires au niveau du visage. Il est porteur d’un carnet de soins du Dispensaire antilépreux de la ville de Bujumbura où il a consulté il y a 5 mois. Le diagnostic de lèpre Borderline TuberculoÏde (BT) a alors été porté et le malade mis sous polychimiothérapie (PCT) suivant le schéma recommandé par l’OMS  pour les lèpres paucibacillaires : rifampicine (RMP) 600 mg 1 fois par mois supervisée et disulone (DDS) 100 mg par jour tous les jours. Sous traitement correctement suivi, l’évolution semble avoir été favorable

A l’examen, le patient est en bon état général. La température est à 37,2°C L’examen montre des lésions cutanées érythémateuses en placards au niveau du visage, qui est tuméfié, mais aussi au niveau du tronc et des membres, à l’endroit, aux dires du malade, d’anciennes lésions lépreuses qui avaient disparu sous traitement. L’examen neurologique objective une hypertrophie bilatérale des nerfs cubitaux et du sciatique poplité externe droit, une hypoesthésie bilatérale des doigts qui sont boudinés et une anesthésie distale en chaussette des 2 pieds. Il n’y a pas de déficit moteur évident.

 

Examens paracliniques :

VSH : 34 mm à la première heure

NFS : globules rouges : 3 600 000, taux d’Hb : 10 g/dl, globules blancs : 6 200, polynucléaires neutrophiles : 79%

Recherche de bacilles de Hansen dans le mucus nasal et sur le frottis du suc dermique : négative.

 

Quel est votre diagnostic ?
Quel examen complémentaire peut être utile au diagnostic ?

Quelle est la pathogénie de cette réaction ?

Quel  est le traitement ?

Quel  est le pronostic ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’une poussée inflammatoire de survenue brutale au niveau de lésions préexistantes de la peau et des nerfs au cours d’une lèpre BT en traitement antibacillaire. Il s’agit d’une réaction lépreuse de type 1, qui comprend :

- la réaction de dégradation caractérisée par une évolution vers le pôle lépromateux due à une baisse de l’immunité cellulaire,

- la réaction reverse caractérisée par une évolution vers le pôle tuberculoïde due à une récupération de l’immunité cellulaire.

 

 Il s’agit ici d’une réaction reverse (RR) qui est caractérisée essentiellement par :

- une réactivation d’anciennes lésions cutanées prenant un aspect infiltré, œdémateux, érythémateux, à bordure nette, douloureuses, avec une hypoesthésie à leur niveau,

- une atteinte neurologique à type de névrite aiguë ou subaiguë, hypertrophique, douloureuse, et déficitaire entraînant une paralysie et/ou une anesthésie totale dans les territoires intéressés.

Peuvent s’y associer des manifestations articulaires (tenosynovite, polyarthrite) et des atteintes ophtalmologiques (iridocyclite ou uvéite).

Il n’y a pas de signes généraux.

Les recherches de bacilles de Hansen (mucus nasal, frottis de suc dermique) sont négatives. Une biopsie de peau pourrait être faite montrant à l’ histopathologique un infiltrat de type tuberculoïde avec œdème et l’absence de bacilles de Hansen.

Il y a une augmentation de fréquence des RR depuis la mise en place d’une PCT par l’OMS (1982). Celle-ci a fait preuve de son efficacité, mais a entraîné une augmentation des RR.

La RR survient en général chez un lépreux en traitement, mais peut survenir après l’arrêt de tout traitement an cas de PCT de courte durée. Il faut alors différencier la RR d’une rechute. La RR est caractérisée par la réapparition d’anciennes lésions, la rechute par l’apparition de nouvelles lésions. Cette distinction clinique n’est pas toujours évidente, d’où l’intérêt des critères bactériologiques

(recherche de BH dans le mucus nasal, le suc dermique, la biopsie cutanée) et histopathologiques (biopsie cutanée).

La RR est une réaction d’hypersensibilité cutanée, responsable d’un renforcement de l’immunité cellulaire vis-à-vis de Mycobacterium leprae entraînant d’un déplacement vers le pôle tuberculoïde. Dans le cas présenté, le malade s’est probablement contaminé au Burundi où les lèpres paucibacillaires (TT et surtout BT) représente 75% environ des formes de lèpre

Les deux types de réactions lépreuses observées en pratique courante sont la RR et l’érythème noueux lépreux, dont les caractéristiques sont rappelées dans le tableau ci-dessous.

 

 

 

Réaction reverse (RR)

 

 

Erythème noueux lépreux (ENL)

 

Type de lèpre

 

Borderline

 

Lépromateux

 

 

Mécanisme

 

Récupération d’une immunité à médiation cellulaire (IMC)

 

 

Immuns complexes circulants

 

Relation

avec le traitement

 

 

Très fréquente au cours PCT

 

Habituelle avec les sulfones

 

Clinique

 

Poussée inflammatoire de lésions cutanées et nerveuses

 

 

Erythème noueux, fièvre, manifestations extra cutanées

 

Bactériologie

 

M. leprae absents ou rares

 

 

M. leprae présents

 

Histopathologie

 

Granulome tuberculoïde actif

 

Granulome de type Virchow+ vascularite nécrosante

 

Traitement

antiréactionnel

 

Corticoïdes

Acide acétylsalicylique

Décompressioin nerveuse chirurgicale

 

 

Thalidomide

Corticoïdes

Clofazimine

 

La RR est une urgence médico-chirurgicale. Le traitement médical fait appel à la corticothérapie à la dose de 1 mg/kg/j de prednisone.

SI les signes s’améliorent, la corticothérapie est diminuée 15 jours à 3 semaines après la disparition des lésions neurologiques (et non des lésions cutanées).

S’il n’y a pas d’amélioration des signes déficitaires au bout de 5 à 10 jours, le malade est soumis à une chirurgie de décompression par neurolyse extraneurale ou épineurale (névrite hyperalgique ou déficitaire).

La durée totale de la corticothérapie est au minimum de 6 mois. Il y est associé un repos et une immobilisation par attelles des segments de membres concernés par les névrites.

Dans les formes mineures, l’acide acétylsalicylique est prescrite en premier, mais les corticoïdes sont toujours  prescrits en cas de névrite.

Le traitement antibacillaire doit être poursuivi, ici rifampicine et disulone.

Le risque majeur est, en l’absence d’un traitement précoce de la RR, des séquelles neurologiques définitives. Le pronostic est donc lié à l’atteinte neurologique et à la précocité du traitement.

Chez le malade présenté, qui ne présentait pas lors de la mise en traitement de la RR, de signe déficitaire, l’évolution a été favorable sous corticothérapie et immobilisation.

 

 

Références

 

Aubry P., Barabé P., Darie H. Les manifestations viscérales de la lèpre. Acta leprologica, 1985, 3, 108-11.

 

Bobin  P. Lèpre. Encycl. Med. Chir. Maladies infectieuses ; 8-038-F-10, 1999, 17 p.

 

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Une lèpre en poussée inflammatoire. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format utile. Editions Varia, 20011, pp. 180-182.

 

Flageul B. Prise en charge médicale actuelle de la maladie de Hansen. Bull. Soc. Path. Exot., 2003, 96, 357-360.

 

 

Iconographies

 

Photographies du malade : visage, dos et membre supérieur droit

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 20/04/2004

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Lèpre BT : réaction reverse