Shigellose chez un adolescent africain vivant au Gabon : cas
clinique.
Observation
Un adolescent de 16 ans, fils de
commerçant malien, habitant dans un faubourg de Libreville, est hospitalisé au
CNH de Libreville (Gabon) pour un syndrome dysentérique. Le début de la maladie
remonte à 3 jours par l’apparition d’une fièvre avec céphalées, vomissements et
douleurs abdominales. Le lendemain, apparaît une diarrhée liquide profuse
jaunâtre. La veille de l’hospitalisation, le malade présente un syndrome dysentérique
fait de nombreuses (> de 10) selles afécales, glairo-sanglantes, accompagné
d’une recrudescence des douleurs abdominales à type d’épreintes et un ténesme.
Il n’y a pas d’antécédent pathologique
notable chez cet adolescent. Il vit dans un quartier dépourvu d’eau courante et
de tout à l’égout. Les inondations sont fréquentes en saison des pluies.
A l’examen, on est en présence d’un
malade prostré, aux traits tirés. La température est à 40°C. Il existe un pli
cutané. L’abdomen est sensible. Les deux fosses iliaques sont douloureuses et
gargouillantes. La TA est à 90/60 mmHg, le pouls à 110 mm. Les examens
cardiaque, pulmonaire, neurologique sont normaux. Il n’y a ni hépatomégalie, ni
splénomégalie ni adénopathie.
Examens paracliniques :
VSH : 58 mm à la première heure,
CRP 52 mg/l
NFS : globules rouges : 3 800
000/mm3, taux d’Hb : 12,6 g/dl, Ht : 40%, VGM : 78 µ3 ;
globules blancs : 18 300, polynucléaires neutrophiles : 72%,
éosinophiles : 3%, lymphocytes : 20%.
Recherche d’hématozoaires :
négative.
Test d’Emmel : négatif.
Créatininémie : 142 µmol/l,
glycémie : 5,4 mmol/l, ionogramme sanguin : Na : 138 mmol/l,
K : 2,8 mmol/l, chlore : 99 mmol/l.
Radiographie de l’abdomen sans
préparation : dilatation colique modérée.
Rectosigmoïdoscopie au tube
souple : rectite hémorragique avec enduit mucopurulent par plages.
Examen parasitologique des
glaires : négatif.
Le diagnostic est apporté par la
culture des selles et du prélèvement de glaires in situ.
Trois hémocultures sont adressées au
laboratoire
Duel est votre diagnostic ?
Quelles complications sont à
redouter ?
Quel traitement allez-vous
prescrire ?
Quel est la prévention ?
Discussion
Devant un syndrome dysentérique caractérisé par des douleurs abdominales diffuses à type
d’empreintes, un ténesme et des selles afècales, glairo-sanglantes, deux
diagnostics sont évoqués d’emblée en zone tropicale : une amibiase colique
aiguë et une dysenterie bacillaire ou shigellose. L’atteinte marquée de l’état
général, la température à 40°C évoquent d’emblée une shigellose. La
coproculture met en évidence des bacilles gram négatif courts et mobiles.
On distingue 4 groupes de shigelles :
- groupe A : Shigella dysenteriae,
- groupe B : Shigella flexneri,
- groupe C : Shigella boydii,
- groupe D : Shigella sonnei.
Il y a dans chaque groupe plusieurs
sérotypes. Les shigelloses sont dues en zone tropicale à Shigella dysenteriae type 1 ou bacille de Shiga ou à Shigella flexneri ou bacille de Flexner,
responsables des formes graves. La contamination est féco-orale, directe par contact
interhumain (manuportage) ou indirecte par ingestion d’eaux ou d’aliments
souillés par les selles.
Les shigelles envahissent les cellules intestinales. A ce
phénomène invasif, s’ajoute pour le bacille de Shiga, l’élaboration d’une
toxine à effet neurotoxique et entérotoxique, responsable des manifestations
neurologiques et de la composante hydrique de la diarrhée observée au début de
la maladie.
Il faut discuter la
rectosigmoïdoscopie, même réalisée avec un tube souple : elle doit se
limiter à l’exploration du rectum. Elle est douloureuse au delà de la charnière
rectosigmoïdienne et peut être dangereuse, vu la présence d’ulcérations. Elle a
été faite ici vu la négativité de la recherche d’amibes pathogènes à l’examen
parasitologique des selles. Un prélèvement in situ permet, en effet, souvent le
diagnostic d’amibiase colique aiguë, alors que l’examen parasitologique des
selles est négatif. En fait, les coprocultures (selles, prélèvements de glaires
in situ) ont permis d’isoler des shigelles [ensemencement sur milieux
sélectifs (milieu de Hektoen, milieu
Shigelle-Salmonelle), identification sur milieux urée-indol, Kligler-Hajna,
identification biochimique sur galeries, sérogroupage].
Il s’agit ici d’une shigellose à S. dysenteriae type 1 réalisant une
forme dysentérique aiguë typique. Il n’y a pas de critères de mauvais
pronostic : pas de troubles de la conscience, hyperleucocytose modérée
sans myélémie à la NFS, bilan biologique (ionogramme sanguin, glycémie) dans
les limites de la normale.
La fièvre, la déshydratation, la
dilatation colique même modérée, doivent faire craindre des
complications immédiates, locales (mégacôlon toxique, perforation colique)
et générales (septicémies, choc septique).
Les shigelloses surviennent en zone
tropicale sur le mode endémo-èpidémique. La cible principale est l’enfant de moins
de 5 ans, la femme enceinte, le sujet immunodéprimé.
Il faut rechercher une infection
digestive associée : amibiase (dysenterie amoebo-bacillaire),
salmonellose, bilharziose, entérovirose.
Le traitement associe une réhydratation
hydro-électrolytique orale ou parentérale et
une antibiothérapie. Les shigelles hébergent des plasmides de résistance
aux antibiotiques, ceux-ci ne doivent être utilisés que dans les formes graves,
si possible selon les résultas de l’antibiogramme. En pratique, les
céphalosporines de 2e ou 3e génération (C2G, C3G) ou les
fluoroquinolones sont prescrites.
La réhydratation a été faite par voie
orale et la ciprofloxacine a été prescrite à la dose de 500 mg 2 fois par jour
per os pendant 5 jours. La guérison a été obtenue en 72 heures chez cet
adolescent non immunodéprimé.
La prévention repose sur la lutte
contre le péril fécal (hygiène individuelle, hygiène des eaux et des excrétats)
Il n’a pas été signalé d’autres cas dans
l’entourage immédiat, ni dans le quartier.
Références
Aubry
P., Touze J.E. Shigellose. Cas cliniques en Médecine Tropicale, La
Duraulié édit., mars 1990, pp. 133-134.
Carré D., Chapelain J.C., Debonne J.M.,
Klotz F. Diarrhées aiguës infectieuses. Encycl. Med. Chir., Maladies
infectieuses, 8-003-V-10, 2000, 16 p.
Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Une
colite grave. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile,
éditions Varia, 2001, pp. 186-187.
Iconographie
Bacilles gram négatif : shigelles
Professeur Pierre Aubry. Texte revu le
11/04/2006.