Splénomégalie
palustre hyperimmune ou Paludisme viscéral évolutif ? Cas clinique.
Observation
Un homme, âgé de 35 ans, de nationalité
française, est hospitalisé à Marseille deux mois après son retour des
Comores, où il a séjourné pendant trois
ans. Il a effectué de nombreux déplacements dans les îles. Il a présenté au
cours de son séjour plusieurs accès fébriles présumés palustres. Il a pris à
trois reprises de l’halofantrine (HALFAN®). Il accuse
depuis 3 semaines une altération de l’état général, une fièvre entre 37°5 et
38°5C et des troubles digestifs.. Il n’a pas suivi de prophylaxie pendant son
séjour aux Comores et n’a pas utilisé régulièrement de moustiquaire.
A l’admission, la température est à
38°2C, le poids à 62 kg (amaigrissement chiffré à 10 kg depuis 2 mois.
A l’examen, on note une pâleur conjonctivale avec
subictère et on palpe une volumineuse splénomégalie indolore (stade 3 de
Hackett : rate ne dépassant pas une horizontale passant par l’ombilic) et
une hépatomégalie modérée, la flèche hépatique étant à 12 cm. Il n’y a pas
d’adénopathies périphériques.
Examens complémentaires :
NFS: G.R. : 3 200 000 mm3, taux
d’Hb : 9,8g/ dl,
G .B. : 3 200 mm3 dont 55% de PN et
5% de PE, Plaquettes : 84 000 mm3.
VSH : 70 mm à la 1éré heure.
Protéines totales sériques à 80 g/l. A
l’électrophorèse des protides : gammaglobulines à 28 g/l avec pic
polyclonal.
Absence d’hématozoaires au frottis
sanguin.
Bilirubinémie totale à 19 µmol/l,
bilirubinémie libre à 17 µmol/l. Transaminases normales.
Echographie abdominale :
hépatosplénomégalie homogène, absence d’adénopathies abdominales.
Test QBC (Quantitative Buffy Coat) à
l’acridine orange: quelques hématies parasitées visibles au microscope à
fluorescence.
Le malade signale
avoir fait à son retour des Comores une sérologie VIH (relations sexuelles avec
des partenaires de rencontre) : résultat négatif.
Quel est votre diagnostic ?
Quels examens complémentaires sont
utiles pour conforter ce diagnostic ?
Quel traitement proposer ?
Discussion :
Devant une
hépatosplénomégalie fébrile avec atteinte de l’état général ,une pancytopénie
périphérique et un syndrome inflammatoire biologique au retour d’un séjour sous
les tropiques, le diagnostic de leishmaniose viscérale peut être évoqué.
Toutefois, les Comores ne sont pas une zone d’endémie leishmanienne et cette
éventualité est rapidement écartée devant la positivité du test QBC qui montre
quelques hématies parasitées.
Le frottis sanguin,
sensibilisé par une technique de concentration leucocytaire, est immédiatement
renouvelé. Il montre la présence de trophozoïtes âgés de Plasmodium falciparum avec une parasitémie faible inférieure à
0,01%.
Dans quelle forme
clinique classer ce paludisme à P.
falciparum ?
La présence d’une
importante splénomégalie fait discuter un paludisme viscéral évolutif ou une
splénomégalie palustre hyperimmune. Les principaux caractères distinctifs entre
ces deux entités cliniques sont résumées dans le tableau ci-dessous :
|
Paludisme
viscéral évolutif
(PVE)
|
Splénomégalie
palustre hyperimmune
(SPH)
|
Age
Splénomégalie
Frottis sanguin
Sérologie
antipalustre
Immunoélectrophorèse
Réponse au
traitement antipalustre
|
< 15 ans
Constante
Positif
Titre élevé
Taux d’IgG élevé
Taux d’IgM peu
élevé
Assez rapide
|
> 15 ans
Volumineuse
Négatif
Titre très élevé
Taux d’IgG peu
élevé
Taux d’IgM très
élevé
Très lente
|
Chez ce malade, ayant vécu trois ans en
zone de d’endémie palustre, sans aucune prophylaxie, le diagnostic de splénomégalie palustre hyperimmune (SPH) paraît
le plus vraisemblable. Le bilan paraclinique est donc complété pour conforter
ce diagnostic : la sérologie
antipalustre est à 1/320 en immunofluorescence indirecte (seuil : 1/80) et
à l’immunoélectrophorèse, le taux des IgM est à 10 g/l (N<2 g), le taux des
IgG à 16g/l (N<12 g).
Le malade est traité par méfloquine (LARIAM®) à la dose de 25 mg/kg, soit 1500 mg en un jour. En
pratique, tous les antipalustres actifs vis-à-vis d’une souche
chloroquino-résistante peuvent être prescrits : quinine, méfloquine,
halofantrine. Trois cures de méfloquine à une semaine
d’intervalle sont pratiquées. L’anémie s’est corrigée à la 3 éme semaine
(Hb : 13,4 g/dl), les plaquettes ont été contrôlées à 210 000/mm3 et le
taux d’IgM à 2,40 g/l. La régression de la splénomégalie n’a été obtenue qu’au
bout de 3 mois.
Le diagnostic de SPH a été retenu sur les cinq critères
suivants :
- adulte ayant vécu en zone d’endémie
palustre,
- présence d’une volumineuse
splénomégalie sans autre cause
décelable,
- sérologie antipalustre fortement
positive,
- élévation du taux des IgM sériques
supérieur à 4 fois la normale,
- réponse clinique et immunologique à
la thérapeutique antipalustre.
La splénomégalie palustre hyperimmune
correspond à la splénomégalie idiopathique tropicale (Charmot, 1959) et au
syndrome de splénomégalie tropicale (Pitney, 1968). Elle est liée à une
réaction hyperimmune aberrante aux infections palustres répétées et prolongées.
La chloroquine a d’ailleurs été proposée à la dose de 100 à 200 mg/j, en relais
des antipalustres actifs, pour son action immunomodulatrice.
Les arguments cliniques et biologiques
ne permettent pas toujours de trancher entre SPH et PVE. Le terme de
« hyperactive malarial splenomegaly » est utilisé par les auteurs
anglo-saxons : il ne différencie pas PVE et SPH. Charmot avait proposé le
terme de « splénomégalie palustre avec hyperIgM » pour bien
différencier la splénomégalie de la SPH de celle du PVE.
Références
Charmot G., Demarchi J., Orio J.
Reynaud R., Vargues R. Le syndrome splénomégalie avec macroglobulinémie. Presse
Med., 1959, 67, 11-12.
Aubry
P., Touze J.E. Paludisme viscéral évolutif. Cas cliniques en Médecine
Tropicale. La Duraulié edit ., mars 1990, p. 19.
Maslin J., Rey P., Morillon M.,
Garnotel E., Debonne J.M., Martet G. A propos d’un cas de splénomégalie
malarique hyperactive. Med. Trop. 1997, 57, 307-308.
Granier H., Vatan X., Nicolas M.,
Richecoeur M., Martin J. Splénomégalie malarique hyperactive chez un Européen
revenant d’Afrique. Rev. Med.
Interne, 1999, 20, 431-433.
Gangneux J.P., Vignes S., Poinsignon Y., Derouin F. Paludisme viscéral
évolutif et splénomégalie palustre hyperimmune. Bull. Soc. Pathol. Exot., 1999, 92,
27-28.