Spondylodiscite
tuberculeuse ou mal de Pott : cas clinique.
Professeur
Pierre Aubry. Texte rédigé le 30/07/2003
Observation
Un homme de 48 ans, camerounais, fonctionnaire, consulte
pour des dorsalgies rapportées à un traumatisme direct survenu quelques jours
auparavant. Devant l’absence d’anomalies radiologiques, un traitement par
diclofénac est prescrit entraînant une sédation passagère et incomplète des
douleurs. Des séances de massage vont aggraver la symptomatologie.
Un mois après le traumatisme, les
douleurs dorsales sont intenses et invalidantes, elles sègent au niveau de la
charnière dorsolombair et irradient en ceinture. Elles ont permanentes,
exacerbées par le repos au lit et par la toux. Elles entraînent
l’hospitalisation.
A l’entrée, la malade pèse 78 kg pour 175 cm. La
température est à 38°C. La station debout et la marche sont possibles, mais
toute mobilisation du segment rachidien est contrariée du fait de la douleur.
La palpation retrouve une zone douloureuse paravertébrale gauche en regard de
la charnière dorsolombaire, sans modification des parties molles. Au niveau des
membres inférieurs, dont la force motrice est conservée, existe un syndrome
pyramidal avec clonus des rotules, trépidation épileptoïde des pieds, réflexes
ostéo-tendineux vifs et signe de Babinski bilatéral. Il n’y a pas de troubles
sensitifs.
Il n’y a pas de troubles sphinctériens,
pas d’anomalie neurologique au niveau des membres supérieurs et des paires
crâniennes. Le reste de l’examen est normal.
Examens
paracliniques :
VSH
à 42 mm à la 1ère heure, CRP à
120mg/ml, fibrinogène à 4,8 g/l.
IDR
à la tuberculine positive à 12 mm.
Sérodiagnostic
de Wright, de Widal et Félix : négatifs.
Radiographie de face et de profil du rachis dorsolombaire : pincement au
niveau de D8-D9, avec abrasion des rebords vertébraux antérieurs (profil), sans
fuseau paravertébral. La confrontation avec les radiographies antérieures
montre que ces lésions sont d’apparition récente.
Radiographie
thoracique : ITN.
Quel
est votre diagnostic ?
Quelle
en est l’étiologie ?
Quels
sont les examens paracliniques qui apportent la certitude de l’étiologie ?
Quels sont les traitements à mettre en œuvre ?
Discussion
Ce tableau associant douleurs
rachidiennes fixes, intenses, exacerbées par le repos, résistantes aux AINS
fait évoquer une spondylodiscite. Les données de l’examen clinique :
douleur provoquée localisée, raideur segmentaire viennent conforter cette
hypothèse.
La notion d’un traumatisme récent,
souvent allégué en matière de pathologie ostéoarticulaire, ne doit pas faire
égarer le diagnostic.
L’examen radiologique confirme
l’atteinte dorsovertébrale : la présence d’un pincement discal à une
grande valeur diagnostic, d’autant qu’on a la notion, comme ici, de son
apparition récente. Les anomalies des plateaux adjacents, les érosions et les
géodes sous-chondrales sont plus tardives. L’absence d’anomalies sur les
radiographies initiales montre le décalage radioclinique dans les
spondylodiscites où des clichés normaux ne doivent jamais faire éliminer le
diagnostic. On rappelle l’intérêt des tomographies ou des coupes
tomodensitométriques qu’il faut demander au moindre doute, et surtout de
l’imagerie par résonance magnétique qui est actuellement l’examen le plus
performant pour le diagnostic des spondylodiscites infectieuses.
Le diagnostic étiologique est difficile.
La lenteur d’évolution tend à éliminer une spondylodiscite à pyogènes
(mélitococcique, typhique ou à staphylocoque doré). En Afrique noire,
l’étiologie tuberculeuse doit toujours être soupçonnée, le Mal de Pott
représentant 90% des spondylodiscites.
La tuberculose est en recrudescence en
Afrique noire, en raison de l’extension de l’infection à VIH (32% des malades
atteints de Mal de Pott sont VIH positif au Burkina-Faso) et de
l’appauvrissement de la population.
Le long délai de consultation (un an en
moyenne) explique que le Mal de Pott est souvent diagnostiqué au stade de
complications.
Le diagnostic est basé sur des
antécédents de tuberculose non ou mal traitée, des signes de tuberculose
évolutive (surtout pulmonaire), une IDR à la tuberculine fortement positive,
mais c’est la mise en évidence de BAAR dans le pus et/ou de follicules
tuberculeux à la ponction biopsie au trocart qui apporte le diagnostic de
certitude.
Le traitement est
médicochirurgical :
- le traitement médical consiste en une
quadrithérapie associant isoniazide, rifampicine, éthambutol et pyrazinamide
pendant 2 à 4 mois, suivi d’une bithérapie par isoniazide et rifampicine
pendant les 8 à 10 mois, soit au total un traitement de 12 mois.
- les indications sont en
Afrique :
-
l’échec
d’un traitement médical bien conduit,
-
la
paraplégie avec destructions osseuses importantes et : ou instabilité
vertébrale,
-
les
volumineux abcès pottiques et les abcès fistulisés,
-
les
paraplégies avec cyphose constituée soit pour corriger, soit pour prévenir
l’aggravation.
Dans le cas présenté, une quadrithérapie antituberculeuse
a entraîné une régression totale des signes pyramidaux après 7 jours de
traitement, faisant la preuve formelle de l’étiologie tuberculeuse de cette
spondylodiscite. Tout signe pyramidal n’est donc pas synonyme d’indication
chirurgicale. S’il existe une paraparésie spastique d’apparition récente, la
décompression peut être différée, car la complication neurologique est souvent
en rapport avec un granulome inflammatoire ou une épidurite susceptibles de
régresser sous traitement antituberculeux.
Références
Aubry
P., Touze J.E. Spondylodiscte. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié
édit., mars 1990, 119_120.
Yilboudo
J., Da S.C., Nacoulma S., Bandre E. Spondylodiscite tuberculeuse avec troules
neurologiques : résultats du traitement chirurgical. Med. Trop.,
2002, 62, 39-46.