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  Ostéomyélite chez un SS : cas clinique

Ostéomyélite chez une fillette gabonaise drépanocytaire SS : cas clinique

 

Observation

 

Une fillette âgée de 12 ans, de race noire, est hospitalisée au CHU de Libreville évacuée d’un village de brousse. Elle présente des douleurs vives au niveau de la jambe gauche, apparues il y a une dizaine de jours, dans un contexte fébrile (frissons, fièvre à 39°C).

L’interrogatoire de la mère apprend que la fillette présente depuis l’enfance des épisodes fébriles avec douleurs ostéo-articulaires et tuméfactions intermittentes des membres. Elle a déjà été hospitalisée à plusieurs reprises. Elle a déjà été transfusée quatre fois. La mère sait que son enfant est drépanocytaire.

A l’examen, on est en présence d’une enfant maigre, pâle et subictérique, fébrile (température à 38,6°C). La jambe gauche est plus volumineuse et plus chaude que la droite, sa palpation et sa mobilisation réveillent de vives douleurs. Les articulations (genou, cheville, hanche) sont libres et sèches. Il existe deux petites plaies torpides de la face externe du 1/3 inférieur de la jambe gauche par lesquels sourd un liquide purulent.

L’examen de l’abdomen met en évidence une hépatomégalie avec flèche hépatique à 13 cm et une splénomégalie stade 3 de l’OMS. L’examen cardio-vasculaire est normal. La TA est à 100/60 mm Hg. L’auscultation pulmonaire est normale. L’examen neurologique est sans anomalie.

 

Examens complémentaires

NFS :  Globules rouges : 2 400 000/mm3, taux d’Hb : 6,7 g/dl,

           Globules blancs : 29 200/mm3, polynucléaires neutrophiles : 78%,

           Plaquettes : 210 000/mm3

VSH : 120 mm à la première heure

CRP : 52 mg/l (n < 5)

Bilirubinémie libre : 38 µmol/l

Glycémie : 5,2 mmol/L

Créatininémie : 110 µmol/l

Frottis sanguin : absence d’hématozoaires.

Test de falciformation (test d’Emmel)  positif

Radiographie thoracique normale

Radiographie sans préparation des os de la jambe gauche : au niveau du tibia, pandiaphysite respectant les épiphyses avec aspect vermoulu corticomédullaire, séquestres en voie de constitution et apposition périostée débordent sur les parties molles.

 

1- Quel est votre diagnostic ?

2- Comment le confirmer ?

3- Comment confirmer la complication en cours ?

4- Quelle est l’évolution prévisible de cette maladie ?

5- Quels sont les traitements à prescrire ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’un tableau infectieux sévère avec tuméfaction de la jambe gauche chez une enfant présentant une drépanocytose.

Le diagnostic de drépanocytose homozygote est de nouveau confirmé  par une électrophorèse de l’hémoglobine qui montre l’absence d’hémoglobine A, 78% d’Hb S, 19% d’HbF, 3% d’Hb A2.

Les radiographies sans préparation de la jambe gauche permettent de porter le diagnostic d’ostéomyélite du tibia. Le prélèvement au niveau des plaies  permet, chez cette enfant, qui n’a pas reçu d’antibiotiques, d’isoler le germe responsable. L’examen direct du pus met en  évidence de très nombreux polynucléaires neutrophiles et des bacilles Gram négatifs. La culture permet d’isoler une Salmonella typhimurium, qui est le sérovar le plus fréquent dans ce type d’infection.

L’ostéomyélite est une complication fréquente au cours de la maladie drépanocytaire (SS,SC, SβThal). Elle est volontiers récidivante, comme dans l’observation rapportée, atteignant les extrémités des membres chez le petit enfant (syndrome mains-pieds), les os longs chez le grand enfant. Les lésions sont multifocales dans 70% des cas. Sur le plan bactériologique, il existe une forte prépondérance des ostéomyélites à salmonelles. L’origine staphylococcique est plus rare.

La drépanocytose est une affection héréditaire de l’hémoglobine. C’est une maladie de la race noire. C’est une maladie de l’enfant, l’espérance de vie dépendant essentiellement de la prise en charge.

Les accidents évolutifs sont dus à des microthrombi des capillaires profonds entraînant des infarctus tissulaires, cause d'accidents vasoocclusifs. Ceux-ci se caractérisent chez l’enfant par des infarctus osseux, en n’importe quel point du squelette, mais aussi par des déficits neurologiques, des syndromes thoraciques aigus, des tableaux douloureux abdominaux. Les surinfections sont fréquentes : ostéomyélites à salmonelles, pneumopathies à pneumocoques, méningites à Haemophilus influenzae et à salmonelles.

Le pronostic est sombre, puisqu’un enfant sur deux meurt avant l’âge de 5 ans et 1 sur 10 seulement parvient à l’âge adulte. Mais, la gravité de la drépanocytose homozygote est variable selon les individus. Dans le cas rapporté, l’électrophorèse de l’hémoglobine montre une persistance de l’Hb F à 19%, expliquant probablement la survie de cette fillette qui vit en brousse.

Le traitement a consisté :

- en un traitement de la maladie drépanocytaire: transfusions de sang, réhydratation parentérale avec 2 litres par jour de sérum glucosé à 5%, oxygénothérapie nasale 3 l/m, traitement antalgique,

- en un traitement antibiotique de l’ostéomyélite : classiquement fluoroquinolones si isolement d’une salmonelle, oxacilline associée à un aminoglycoside si isolement d’un staphylocoque.

Dans le cas présenté, en l’absence d’antibiogramme, toujours souhaitable d’autant que S. typhimutium est souvent résistant aux antibiotiques, le traitement a été le chloramphénicol en IV. L’apyrexie  a été obtenue au 6ème jour et l’enfant a pu quitter le service au 23ème jour en assez bon état général. En effet, l’évolution sous antibiothérapie prolongée avec immobilisation est en général favorable. Les séquestres se résorbent habituellement d’eux-mêmes évitant l’intervention chirurgicale.

La prise de folates et une vaccination antipneumococcique sont recommandés par la suite. Mais, le pronostic vital à moyen terme reste réservé chez cette fillette qui a déjà un lourd passé infectieux. Le traitement de fond est difficile dans ce contexte socio-économique, basé sur les échanges plasmatiques.

 

 

Références

 

Aubry P., Touze J.E. Drépanocytose SS. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1989, pp. 180-181.

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Une cuisse douloureuse et fébrile. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format Utile. Editions Varia, mars 2001, pp. 248-251.

Tshilolo L., Mungu D., Morillon M. Ostéomyélite chez un enfant congolais. Med. Trop., 2005, 65, 134.

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 20/07/2005.

 

 

Iconographie

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Ostéomyélite
avec pandiaphysite du tibia