Une jeune
femme de 28 ans, burundaise, épouse d’un haut fonctionnaire, est admise dans le
service de Médecine Interne du CHU de Bujumbura (Burundi) pour suspicion d’un
abcès cérébral.
Dans les
antécédents de cette malade, on note une intervention chirurgicale il y a 5 ans
pour un hémopéritoine par rupture de grossesse extra-utérine. Elle a reçu
plusieurs transfusions sanguines. Son mari servait à l époque en brousse.
Depuis
quelques mois, elle présente un muguet buccal traité par amphotéricine B
(FUNGIZONEâ) orale,
récidivant à l’arrêt du traitement.
A l’examen, la
température est à 39°2C. La malade est obnubilée, elle répond difficilement aux
questions. On note un déficit de l’hémicorps droit et une paralysie du nerf
facial droit. La nuque est souple, les réflexes ostéo-tendineux sont présents
et symétriques. Le réflexe cutané-plantaire est en flexion des 2 côtés. Il
existe des ganglions périphériques cervicaux, axillaires et inguinaux.
Quels sont les
examens complémentaires nécessaires pour confirmer ce diagnostic ?
Quel est le
cycle parasitaire de cette maladie ?
Quel en est le
traitement ?
Y a-t-il dans
le cas présenté une prophylaxie ?
Discussion
Il s’agit d’un coma vigil fébrile d’apparition progressive avec des signes de
localisation neurologique faisant suspecter un abcès cérébral.
Cette
symptomatologie conduit à demander un scanner cérébral, non praticable sur
place, mais pouvant être réalisé à Nairobi, le mari prenant en charge
l’évacuation sanitaire sur le Kenya. L’analyse des clichés scanographiques met
en évidence deux zones accolées d’hypodensité dans la région frontale gauche
avec images en cocarde.
Le diagnostic
d’ «abcès cérébral toxoplasmique» est probable. Les tests sérologiques de
la toxoplasmose ne sont pas significatifs (immunofluorescence indirecte :
IgG : 100 UI/ml ; ELISA : IgM négatif). Mais, la candidose
oro-pharyngée, les adénopathies périphériques, la leucopéniechez cette malade polytransfusée il y a 3
ans en brousse évoquent fortement une infection à VIH/SIDA avec une infection
opportuniste : la toxoplasmose cérébrale, ce que confirme la positivité de
la recherche des anticorps anti-VIH.
La preuve
parasitologique de la toxoplasmose ne peut être apportée (il ne peut être fait
sur place une biopsie cérébrale). La malade est mise sous traitement par
sulfadiazine-pyriméthamine. L’évolution clinique favorable dès le 10ème
jour confirmera le diagnostic de toxoplasmose cérébrale.
Il s’agit donc
d’une toxoplasmose cérébrale révélant un sida secondaire à une polytransfusion
nécessitée par une intervention chirurgicale en urgence il y 3 ans en brousse,
sans contrôle sérologique préalable du sang transfusé.
La
toxoplasmose est une anthropozoonose due à une coccidie : Toxoplasma gondii. Elle est cosmopolite.
Sa prévalence est très élevée dans les régions chaudes et humides. Elle varie
beaucoup en Afrique, comme ailleurs, d’un pays à l’autre, en raison des
différences dans les habitudes alimentaires. Le risque de neurotoxoplasmose
liée au sida est très élevé en Afrique centrale et de l’est(RDC, RCA, Rwanda, Burundi).
La maladie est
le plus souvent latente. Elle est patente chez les nouveaux nés infectés in
utero (toxoplasmose congénitale), chez les immunodéprimés et chez certains
sujets non immunisés.
Le cycle
parasitaire de la toxoplasmose comprend 2 phases :
- une
reproduction sexuée ou gamogonie qui se déroule chez des carnivores (chats),
- une
reproduction asexuée ou schizogonie qui se déroule chez de nombreux hôtes
intermédiaires (mammifères, oiseaux et aussi hommes).
Les chats
infestés éliminent dans leurs selles des oocystes, très résistants dans le
milieu extérieur.
Les animaux et
l’homme s’infectent en mangeant des végétaux (herbe, légumes) souillés de terre
contaminée (ingestion d’oocystes). Les oocystes libèrent 4 sporozoïtes qui
parasitent le système réticulo-endothélial, où se développent les tachyzoïtes
(ou trophozoïtes). Les tachyzoïtes s’entourent d’une membrane qui s’épaissit,
formant des kystes dans les tissus, mais surtout dans les muscles et le système
nerveux. L’homme peut donc aussi se contaminer en mangeant de la viande crue ou
mal cuite (ingestion de kystes).
Les
manifestations cliniques de la toxoplasmose acquise sont variables :
- forme
asymptomatique, très fréquente > 80% des cas,
- toxoplasmose
acquise du patient immunocompétent qui est cause d’un syndrome mononucléosique
- toxoplasmose
de l’immunodéprimé, réactivation d’une infection latente inaugurant ou
compliquant une infection à VIH/SIDA :
- neurotoxoplasmose : atteinte focalisée avec syndrome
déficitaire (hémiplégie, déficit des paires crâniennes), crises comitiales ou
atteinte encéphalique (troubles de la conscience, épilepsie)
- pneumopathie
interstitielle,
-
choriorétinite,
- toxoplasmose
disséminée (CD4 < 50/mm3)
Le diagnostic
de la neurotoxoplasmose repose sur des arguments cliniques et radiologiques
(scanner, IRM). Le scanner montre une image en cocarde formée d’une hypodensité
(nécrose) entourée d’un anneau hyperdense (réaction inflammatoire) lui-même
dans une zone hypodense (œdème cérébral).
Le diagnostic
biologique est direct : mise en évidence des toxoplasmes dans les
préparations colorées par le Giemsa (biopsies, LCR), PCR ; et
indirect : sérodiagnostic (Dye-test, IFI, agglutination directe
sensibilisée (ADS), ELISA. La négativité de la sérologie toxoplasmique est
classique chez l’immunodéprimé (disparition des anticorps).
Le traitement
doit débuter dès la suspicion du diagnostic. Il est basé sur l’association de
pyriméthamine (MALOCIDEâ) 1mg/kg/j et
de sulfadiazine (ADIAZINEâ) 100 mg/kg/j
pendant 6 semaines. L’efficacité de traitement est observée dès le 10ème
jour (clinique et radiologique). C’est donc un traitement d’épreuve qu’il faut
débuter le plus tôt possible dans les PED, où la confirmation du diagnostic
n’est pas possible.
La
pyriméthamine doit toujours être prescrite, la sulfadiazine peut être remplacée
par la clindamycine (30 mg/kg/j) ou l’atovaquone (750 mg/8 heures).
La prophylaxie
primaire par cotrimoxazole doit être débutée dès que le taux des CD4 est <
200/mm3. La prophylaxie secondaire est prescrite à vie.
Le pronostic
dépend de l’infection à VIH/SIDA, selon la possibilité ou non d’une
trithérapie.
Références
Derouin F.,
Thuilliez P., Garin Y. Intérêt et limites de la sérologie du toxoplasme chez le
sujet VIH +. Path. Biol., 1991, 39, 255-259
Nzisabira L.,
Dumas M., Vallat J.M., Laroche R., Armstrong O., Aubry P. Manifestations
neurologiques associées au VIH au Burundi. In Neurologie Tropicale, John
Libbey, Eurotext Ed., 1994, Paris, 133-136.
Fortier B.,
Dao A., Ajana F. Toxoplasmes et toxoplasmose. Encycl. Med. Chir., Maladies
infectieuses, 8-509-A-10, 2000, 13 p.
Iconographies
Scanner
cérébral : deux images accolées en cocarde dans la région frontale gauche
Kyste
toxoplasmique
Professeur
Pierre Aubry. Texte rédigé le 08/06/2004.
Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)