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Trypanosomiase à Tr. brucei gambiense chez un enfant de 10 ans : cas clinique

 

Observation 

Un garçon gabonais âgé de 10 ans est hospitalisé au Centre Hospitalier de Libreville pour une asthénie, des épisodes fébriles à répétition, des céphalées intermittentes et une hypersomnie diurne.
Le début de la maladie remonte à environ 3 mois par une fièvre irrégulière, puis le tableau clinique s’est complété avec une hypersomnie progressive depuis un mois.

Cet enfant a passé des vacances il y a 10 mois dans un village de l’estuaire de Libreville, où il dit avoir été piqué à de nombreuses reprises par des mouches. A l’issue de ces vacances, il a présenté une fièvre irrégulière, mais non chiffrée et un prurit. A l’examen, on note des adénopathies cervicales postérieures non douloureuses. Il n'y a ni hépatomégalie, ni splénomégalie. Les bruits du cœur sont assourdis, rapides. La température oscille entre 37,5° et 40° C. A l’examen neurologique, la nuque est souple, la somnolence cède à la stimulation mais reprend dès que l’on arrête celle-ci. Les réflexes ostéo-tendineux sont diminués de manière diffuse et symétrique. Les réflexes cutanés plantaires sont en flexion. Sur le plan moteur, on note un frémissement intermittent des extrémités et des tics du visage.  Sur le plan sensitif, on note une hyperpathie à la stimulation cutanée. La recherche du réflexe palmo-mentonnier est positive des 2 côtés.

Le poids est de 22 kg pour une taille de 130 cm.

 

Examens paracliniques :

 

VSH : 80 mm à la première heure, CRP à 150 mg/l

NFS : GR  3 400 000 /mm3, Hb  11 g/100 ml, VGM : 75 µ3 ; GB : 9 400, PN : 60%, PE : 4%, PL : 36%

Protides totaux : 75 g/l, albumine : 30 g/l, gamma globulines : 24 g/l

Electrophorèse des protides : pic massif  au niveau des gamma globulines

Radiographie thoracique : ITN

ECG : tachycardie à 120/mn en rythme sinusal et microvoltage.

 

Quels(s) diagnostic(s) évoquez-vous ?

Quels examens complémentaires sont indispensables pour confirmer le diagnostic ?

Quels sont les traitements de cette maladie ?

Ces traitements ont-ils des risques et si oui lesquels et quelles sont les précautions à prendre pour les éviter ?

 

Discussion 

Le séjour dans l’estuaire de Libreville, foyer de trypanosomiase humaine africaine (THA) à Tr. brucei gambiense, les piqûres de mouches, probablement des glossines, la symptomatologie clinique associant fièvre irrégulière, adénopathies, atteinte du système nerveux central, l’hyperglobulinémie doivent faire évoquer une maladie du sommeil.

En effet, après l’abandon des programmes de lutte, la THA est redevenus épidémique dans des pays d’Afrique subsaharienne en guerre plus ou moins larvée (Angola, RDC, Soudan, Ouganda…), mais, on a observé une augmentation des cas dans la plupart des autres pays africains endémiques. 

Le diagnostic de THA est affirmé par la mise en évidence des trypanosomes sur le frottis sanguin, l’examen cytologique d’une adénopathie, le myélogramme et/ou le liquide céphalo-rachidien.

Le diagnostic du stade évolutif de la THA est apporté par la ponction lombaire et l’examen du LCR : présence de trypanosomes, mais aussi cytorachie > à 10 cellules par µl, et/ou protéinorachie > à 250 mg/l, et/ou augmentation des IgM du LCR.

Dans le cas présenté, le diagnostic à été porté sur l’examen cytologique après centrifugation de la sérosité prélevée à la ponction ganglionnaire qui a montré des trypanosomes, affirmant le diagnostic de THA. Il n’y a pas de trypanosomes dans le LCR, mais on note une hypercellularité à 105 élements/mm3 et une proteinorachie à 0,30 g/l.

On rappelle que la THA  à T. b. gambiense sévit en Afrique de l’ouest et centrale, que la THA à T.b. rhodesiense sévit en Afrique des l’est.

La THA comprend 2 phases :

- une phase lymphatico-sanguine ou phase de généralisation qui évolue en quelques semaines à plusieurs années, associant adénopathies cervicales postérieures, fièvre irrégulière, éruptions érythémateuses ou trypanides, prurit, troubles myocardiques et modifications de l’humeur ;

- une phase méningo-encéphalitique ou phase de polarisation cérébrale  avec inversion du rythme nycthéméral, troubles sensitivomoteurs, cérébelleux, de l’humeur et de la thermorégulation.

En pratique, les 2 phases cliniques s’intriquent et on distingue sur le plan thérapeutique :

- phase 1 : LCR normal,

- phase 2 : LCR pathologique.

Notre malade est en phase méningo-encéphalique, le LCR est pathologique et le traitement sera celui de la phase 2.

Le traitement en phase 1 repose sur la pentamidine iséthionate formulée en flacon de 200 mg spécialement pour l’OMS. Posologie : 4 mg/kg/j en IM pendant 7 jours consécutifs. Risque d’hypotension artérielle et de syncope immédiatement après l’injection, imposant un repos de 1 à 2 heures après l’administration du produit ;

En phase 2, deux médicaments sont actifs :

- le mélarsoprol (ARSOBALâ) : ampoule de 5 ml contenant 180 mg de produit actif . Posologie : administration de 3 séries d’injections réalisées avec une période de repos de 8 à 10 jours entre chaque série, une série est constituée d’une injection de 3,6 mg/kg/j pendant 3 jours consécutifs. L’injection doit être réalisée en IV lente. Il y a risque de phlébite et de nécrose cutanée si l’injection n’est pas faite en IV stricte. Mais le risque majeur est l’encéphalopathie arsenicale dans 5 à 10% des cas caractérisée par des convulsions, un coma, des troubles neurologiques inattendus imposant l’arrêt immédiat du traitement. L’issue est fatale dans 90% des cas. Une contre-indication absolue : la grossesse.

- la difluoreométhylornithine ou DFMO ou éflornithine (ORNIDYLâ) flacon de 100 ml contenant 20 mg/ml d’éflornithine soit 20 g de produit actif. Administration en perfusion IV, à la dose de 150 mg/kg/j chez l’enfant répartis en 4 perfusions IV lente, d’une durée de 2 heures environ, par jour, administrées toutes les 6 heures, à diluer dans 250 ml de sérum salé isotonique, pendant 14 jours si traitement de première intention, et de 7 jours si prescrite en cas d’échec par le mélarsoprol. Outre des effets indésirables : diarrhée, vomissements, convulsions, le risque est la toxicité hématologique (anémie) d’où la nécessité de surveiller l’hémogramme. L’ORNIDYLâ est efficace sur T. b. gambiense et est inefficace sur T. b. rhodesiense. Il est prescrit à la dose de 400 mg/kg/j chez l’adulte. Il est accessible gratuitement, à la demande, auprès de l’OMS.

La THA nécessite un dépistage actif, et non passif, comme dans le cas présenté, par un diagnostic indirect : agglutination sur carte ou CATT.

Dans notre observation, le traitement a été en première intention l’ARSOBALâ, médicament de la phase 2, dont on connaît les risques. Trois séries d’injections IV  pendant 3 jours (une injection de 2 ml tous les jours) avec 10 jours d’intervalle entre chaque série. L’évolution immédiate a été favorable, mais l’enfant a rechuté 3 mois après la fin du traitement : hypersomnie, mouvements anormaux nécessitant une 2ème cure d’ARSOBALâ. L’amélioration a été alors peu significative nécessitant alors une cure d’ORNIDYLâ à la dose de 150 mg/kg/j en perfusion pendant 7 jours. Après une période d’hyperthermie initiale, une nette amélioration a été observée : disparition de l’hypersomnie, réflexe palmo-mentonnier négatif. On observe une résistance à l’ARSOBALâ chez environ 30% des malades, le mécanisme  de cette résistance est mal connu.

Le malade a été adressé au Centre de la trypanosomiase de Libreville pour poursuivre la surveillance.

La prophylaxie individuelle consiste à se protéger mécaniquement des piqûres de glossines.

 

 

Références 

 

Aubry P., Touze J.E. Trypanosomiase humaine africaine. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié édit., mars 1990, pp. 33-34

 

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Un syndrome myéloprolifératif. Mlédecine tropicale au quotidien, 100 cas cliniques. , Format utile, Varia édit. pp. 40-43

 

Simarro P.P., Louis F.J., Jannin J. Maladie du sommeil : maladie oubliée. Quelles conséquences sur le terrain. Méd. Trop., 2003, 63, 231-235.

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 19/01/2004.