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Tuberculose cutanée chez un jeune adulte algérien : cas clinique

Tuberculose cutanée chez un jeune adulte algérien : cas clinique

 

Observation

 

Un  algérien de 24 ans consulte à l’Hôpital Central d’Instruction à Alger pour l’apparition progressive depuis 4 mois d’abcès indolores de la face et du pied.

Il n’a pas d’antécédent notable. Il a été vacciné dans l’enfance par le BCG.
L’apparition des abcès s’est accompagnée d’une atteinte de l’état général : perte de poids de 6 kg et fièvre vespérale inférieure à 38°C.

L’examen clinique montre un abcès sous-orbitaire gauche de 3 cm sur 2 cm, froid, fluctuant, une lésion controlatérale affaissée qui aux dires du malade aurait évolué spontanément, une tuméfaction de la joue gauche déformant le visage et un abcès  ulcéré. du gros orteil gauche

On palpe de multiples adénopathies cervicales infra-centimètriques.

Le reste de l’examen clinique est sans anomalie. 

 

Examens paracliniques 

VSH : 35 mm à la première heure ; CRP : 56 mg/l ; fibrinémie : 5,85 g/l

NFS : taux d’Hb : 15 g/100 ml ; Globules blancs : 6 200 él/mm3, Polynucléaires neutrophiles : 68%,  lymphocytes : 24% ; plaquettes : 210 000 él/mm3.

IDR à la tuberculine à 10 U : positive à 12 mm

Radiographie thoracique : absence d’image pleuroparenchymateuse pathologique, médiastin d’aspect normal.

Prélèvement de pus au niveau de la lésion sous-orbitaire gauche : pus laiteux, inodore ; colorations au PAS, Ziehl et Giemsa : absence de bactéries, absence de parasites.

Les cultures sur milieux usuels sont négatives.
Les cultures sur milieux de Lowenstein vont apporter le diagnostic.

 

Quels diagnostics faut-il évoquer ?

Quels sont les examens paracliniques  utiles pour confirmer le diagnostic ?

Quelles sont les principales formes cliniques de cette maladie ?

Quelle thérapeutique faut-il proposer ?

 

Discussion

 

Il s’agit d’abcès froids au niveau du visage et d’un pied. Il s’agit d’abcès froids tuberculeux dont le diagnostic de certitude sera apporté quelques semaines plus tard par la présence dans les cultures sur milieux de Lowenstein de bacilles de Koch (BK), sensibles aux antituberculeux majeurs.

Le bilan para clinique doit être ici complété :

- par la recherche d’autres localisations de la tuberculose au niveau pulmonaire, pleural, urinaire, méningé, abdominal… Il faut donc demander, outre la radiographie thoracique déjà faite, une recherche de BAAR dans les tubages gastriques et les urines, pratiquer une ponction lombaire pour examen du LCR, et une échographie abdominale avec étude de l’étage basi thoracique,

- par l’examen histopathologique d’une lésion, élément important du diagnostic. La lésion caractéristique, mais non spécifique, est un granulome tuberculoïde avec cellules géantes et épithélioïdes, entouré d’une couronne de lymphocytes.

- par  la recherche d’une immunodépression, en particulier d’une infection à VIH/SIDA ;

- par la recherche de l’ADN de Mycobactérium tuberculosis par méthode d’amplification génique (PCR), si le diagnostic n’est pas apporté par l’examen direct et/ou par la culture, et/ou par l’examen histopathologique.

Dans le cas présenté, la recherche d’un foyer primitif a été négatif,  les anticorps anti-VIH étaient négatifs, et l’image histopathologique était celle d’une nécrose avec un infiltrat tuberculoïde en périphérie.

 

Les formes cutanées de la tuberculose sont rares (1 à 2% de l’ensemble des tuberculoses), mais sont toujours observées dans les pays tropicaux. La tuberculose cutanée résulte le plus souvent d’une localisation généralisée (miliaire) ou localisée à un organe de voisinage (ganglion, os), soit encore d’une dissémination à distance. Il existe probablement dans la tuberculose cutanée un spectre clinique fonction de l’immunité cellulaire (comme dans la lèpre).

 

Tableau I. Spectre clinico-immunologique de la tuberculose cutané (J.J. Morand et coll.)

 

 

Formes d’inoculation

Formes multibacillaires

Formes paucibacillaires

Formes réactionnelles

Clinique

Chancre d’inoculation

Tuberculose

ulcéro-orificielle

Miliaire

Gomme

Scrofuloderme

 

 

Tuberculose verruqueuse

Lupus vulgaire

Erythème  marginé de Bazin

Tuberculides

papulo-

nécrotiques

Culture

+

+

++

+

+

+/-

+/-

-

-

IDR à la

tuberculine

-

-

-

-

-

+

+

++

++

Terrain

Nourrisson

Jeune enfant

Auto-inoculation

Immuno dépression

 

Faible immunité

Sujet déjà

sensibilisé

Réactivation

Hyperréactivité cellulaire

 

 

Il s’agit, dans notre observation, de gommes tuberculeuses qui font partie, avec les scrofulodermes et la miliaire cutanée, des formes multibacillaires, survenant sur un terrain à faible immunité.

Ce sont des lésions rares à type d’abcès froids. Leur aspect clinique est proche de celui des scrofulodermes, fréquents en zones tropicales, réalisant au cou les classiques écrouelles. Gommes tuberculeuses et scrofulodermes sont au départ des nodules sous-cutanés, fermes, mobiles : c’est le stade de crudité ; puis, les nodules se ramollissent pour former des abcès fluctuants, indolores : c’est le stade de ramollissement. ; puis la peau se perfore avec formation d’ulcérations à bords décollés et de fistules déchargeant un pus séro-grumeleux : c’est le stade d’ulcération ; suivi d’une cicatrisation vicieuse. Mais, la physiopathologie des gommes tuberculeuses et des scrofulodermes  est différente : les scrofulodermes sont des abcès froids tuberculeux satellites de foyers ganglionnaires et ostéoarticulaires qui  fistulisent à la peau ; les gommes tuberculeuses sont dues à la dissémination des BK dans les tissus sous-cutanés lors d’une bacillémie, à partir d’un foyer tuberculeux à distance, ce qui impose un bilan à la recherche du foyer primitif. Parfois, comme dans le cas présenté, le foyer initial n’est pas identifié : on parle, alors, de « bacillémie silencieuse ».

Les gommes sont souvent multiples, asymétriques, situées sur les membres,  mais aussi la paroi thoracique, les fesses, le visage, … Les BK peuvent être retrouvés dans le pus à l’examen direct ou, plus souvent,  à l’examen des cultures sur milieu de Lowenstein. L’examen histopathologique montre un granulome tuberculoïde en périphérie avec une nécrose centrale souvent massive. L’immunité du sujet est déficiente : enfants dénutris, patients infectés par le VIH.

Le diagnostic différentiel des gommes ou abcès tuberculeux se fait avec les suppurations froides de la syphilis, les mycoses tropicales (chromomycose, actinomycose, sporotrichose). Si la gomme tuberculeuse est vue au stade d’ulcération, le diagnostic à éliminer est un ulcére à Mycobactérium ulcérans (intérêt de la PCR).

Le traitement de la tuberculose cutanée est le même que celui de la tuberculose pulmonaire et fait appel à la quadrithérapie par isoniazide, rifampicine, éthambutol et pyrazinamide  pendant 2 mois, puis isoniazide et reifampicine pendant 4 mois.. En cas d’immunodépression acquise, le traitement doit être poursuivi pendant 9 à  12 mois.

Sous traitement antituberculeuse,  l’évolution a été ici favorable : les abcès se sont asséchés, et l’état général s’est restaure.

 

Références :

 

Darie H., Cautoclaud A., Morlain B. Les formes anatomo-cliniques de la tuberculose cutanée. Méd. Trop., 1990, 50, 307-309.

Hovette P., Camara P., Raynaud E., Donzel C., Ba K., Wade B. L’abcès froid tuberculeux présternal : une forme méconnue de tuberculose. Méd. Trop., 2000, 60, 204-205.

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Un masque de loup. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format utile. Editions Varia. 2001, pp. 196-199.

Tifoulet F., Fournier V., Caumes E. Formes cliniques de la tuberculose cutanée. Bull. Soc. Pathol. Exot., 2003, 96, 362-367.

Morand J.J., Garnotel E., Simon F., Lightburn E. Panorama de la tuberculose cutanée. Méd. Trop., 2006, 66, 229-236.

 

Iconographies :

Photographies du visage et du pied gauche du malade

 

Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille)

Tuberculose cutanée : oeil Tuberculose cutanée : orteil

Professeur Pierre Aubry. Texte révu le 20/09/2006..