Anguillulose : cas clinique.

 

Observation :

 

Une jeune femme sénégalaise de 31 ans est hospitalisée à l’Hôpital Principal de Dakar pour une diarrhée avec altération de l’état général. La diarrhée est faite d’une dizaine de selles par jour, liquides, fécales, accompagnées de douleurs abdominales et de vomissements. L’atteinte de l’état général est marquée avec une anorexie et un  amaigrissement important. Cette jeune femme est traitée pour un diabète sucré par régime et antidiabétiques oraux depuis 2 ans. Elle a reçu plusieurs cures de thiabendazole (MINTEZOL) pour une anguillulose. Deux semaines auparavant, elle a présenté des poly-arthralgies siégeant aux poignets et aux chevilles pour lesquelles elle a reçu une injection par jour de corticoïdes retard pendant quatre jours.

L’examen à l’entrée confirme l’atteinte marquée de l’état général :

- l’amaigrissement est important : le poids est de 36 kg pour une taille de 1m 54 (le poids antérieur était de 53 kg),

- les signes de deshydratation sont modérés contrastant avec des oedèmes des membres inférieurs, mous, prenant le godet et une ascite,

- l’examen des téguments montre des lésions cutanées disséminées, mais prédominant aux chevilles, au cou, aux lombes, faites soit de phlyctènes, soit de lésions desquamées, entourées toutes d’un halo pigmenté brunâtre, ressemblant à des brûlures, qui sont apparues après les injections de corticoïdes. Les cheveux sont clairsemés, fins et cassants. Les conjonctives sont pâles.

La température est à 38°2 C, la tension artérielle à 90 / 50 mm/Hg.

 

Les examens complémentaires à l’admission :

-          Glycémie à 7,8 mmol/l, absence de glycosurie et d’acétonurie,

-          Protidémie à 59 g/l, albuminémie à 13 g/l,

-          Hémoglobine à 9,6 g/100 ml, VGM à 100 m3,

-          Globules blancs à 15.000/mm3 avec PN : 83%, sans éosinophilie,

-          Kaliémie : 2,8 mEq/l,

-          Liquide d’ascite : liquide séro-fibrineux avec 8 g de protides par litre

-          Examen de selles : coproculture négative, examen parasitologique des selles :  présence de larves d’anguillules.

 

 

Quelle étiologie évoquez-vous pour expliquer ce syndrome de malabsorption intestinale ?

Quels examens complémentaires sont utiles pour confirmer le diagnostic étiologique évoqué ?

Quel(s) traitement(s) prescrivez-vous ?

 

Discussion :

 

La clinique (diarrhée, amaigrissement, oedèmes, ascite, troubles trophiques), la biologie (hypoprotidémie, hypoalbuminémie, anémie macrocytaire, hypokaliémie) témoignent d’un syndrome de malabsorption intestinale confirmé par :

-          l’exploration biologique de l’absorption : le test au D-xylose est à 2,5 g sur les urines de 5 heures,

-          les biopsies duodénales per-endoscopiques qui montrent une atrophie villositaire subtotale à la loupe binoculaire.

Compte tenu de la géographie, une malabsorption tropicale pourrait être envisagée. En fait, le diagnostic de malabsorption tropicale qui recouvre deux entités distinctes : le sprue tropicale et la malabsorption tropicale infra clinique, toutes deux d’étiologie inconnue, ne peut être envisagé qu’après avoir éliminé les autres causes de malabsorption , en particulier les malabsorptions parasitaires. La giardiase et l’anguillulose sont les deux parasitoses le plus souvent en cause.

Dans cette observation, le diagnostic, évoqué sur les antécédents, est apporté par l’examen des selles qui montre la présence de larves d’anguillules. On retrouve des larves d’anguillules à l’examen histopathologique des biopsies duodénales.

L’anguillulose est une helminthiase des régions chaudes et humides du globe due à Strongyliïdes stercoralis. La contamination humaine résulte de la marche pieds-nus sur la terre humide ou dans le boue, les larves d’anguillules strongyloides infectantes pénétrant par voue transcutanée (il en est de même dans l’ankylostomiase).

Cette helminthiase a trois caractéristiques essentielles :

-          l’invasion obligatoire de la muqueuse intestinale par les parasites :  après passage circulatoire, les larves passent par les poumons, sont dégluties et pénètrent dans la paroi duodénale où elles deviennent adultes. Les femelles pondent des œufs qui éclosent dans la muqueuse intestinale et ils donnent naissance à des larves rhabitoïdes non infectantes émises dans les selles,

-          un cycle interne d’auto-réinfection : à côté du cycle externe qui se passe dans le milieu extérieur et aboutit à des larves strongyloïdes infectantes, il existe un cycle d’auto-réinfection . Les larves rhabitoïdes se transforment directement dans la lumière intestinale en larves strongyloïdes infectantes qui pénètrent la muqueuse colique ou la peau de la région péri-anale.

-          l’anguillulose maligne est observée  en cas de déficit de l’immunité cellulaire. L’anguillulose est la seule helminthiase qui peut être opportuniste. Elle peut se disséminer et devenir maligne au cours de l’infection à VIH/SIDA ou à HTLV1. C’est cependant exceptionnel. Par contre une corticothérapie prolongée favorise la dissémination des larves. Il existe alors un emballement des cycles d’infections avec présence en abondance de larves dans les selles et dans l’appareil broncho-pulmonaire.

L’anguillulose maligne associe des troubles digestifs, un état d’anasarque avec une hypoalbuminémie, des manifestations systémiques en particulier pulmonaires et neurologiques. L’éosinopénie est fréquente. L’évolution est toujours préoccupante, souvent mortelle.

L’observation rapportée est celle d’une anguillulose sévère. La malade diabétique  a reçu un traitement intempestif par corticoïdes. Il faut insister sur le rôle des corticoïdes dans la survenue d’anguillulose sévère ou maligne et rappeler que la malade avait déjà été traitée pour anguillulose, ce qui aurait du faire pratiquer des examens de selles avant de la soumettre à une corticothérapie (d’autant que les poly-arthralgies, qui ont disparu après traitement anti-parasitaire,  étaient probablement en rapport avec l’anguillulose).

Le diagnostic de l’anguillulose, facile dans les anguilluloses malignes où les larves pullulent, est difficile dans les anguilluloses communes où il y a peu de larves. Le diagnostic repose sur la méthode de Baermann qui utilise le thermotropisme et l’hygrotropisme des larves.

Le traitement repose classiquement sur les médicaments benzo-imidazolés : le thiabendazole (MINTEZOL), comprimés à 500 mg, 25mg/kg/j pendant 4 jours et l’albendazole (ZENTEL) comprimés à 400 mg, 16 mg/kg/j pendant 3 jours. Actuellement , le traitement de choix est l’ivermectine ( STROMECTOL, MECTIZAN) à la dose de 200 µg/kg en prise unique.
Notre malade a été traitée par MINTEZOL à la dose de 25 mg/kg/j pendant 4 jours consécutifs. Une deuxième cure a été prescrite 15 jours plus tard. L’évolution a été favorable : arrêt de la diarrhée en 4 jours, disparition des oedèmes en une semaine, des troubles trophiques en 15 jours, poids contrôlé à 53,5 kg au 2 éme mois. L’évolution biologique a été de même favorable avec protidémie à 81 g/l et albuminémie à 31 g/l au bout de 3 semaines. Il a fallu six cures de MINTEZOL avant que les examens parasitologiques de selles se négativent.

Dans les formes malignes ou récidivantes, il faut actuellement alterner MINTEZOL (par cures de 10 jours) et ivermectine.

La prophylaxie de l’anguillulose repose sur la lutte contre le péril fécal.

 

 

 

Références :

 

Aubry P, Ménard M., Klotz F. Nématodoses et malabsorption intestinale. Gastroentéro. Clin. Biol., 1982, 6, 408-409.

 

Aubry P., Touze J.E. Cas cliniques en Médecine Tropicale. La Duraulié edit., mars 1990, pp. 76-79.

 

Touze J.E., Peyron F., Malvy D. Médecine Tropicale au quotidien. 100 cas cliniques. Format utile, éditions Varia, mars 2001, pp.86-89.

 

 

 

 

Iconographies :

 

Cycle évolutif de Strongyloïdes stercoralis

 

Larve rhabditoïde d’anguillule dans les selles

 

Larves d’anguillules dans une biopsie duodénale per-endoscopique