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2- Ecoles de Médecine outre-mer

Les principales maladies «exotiques» au XIX e siècle alors qu’étaient crées les trois premières  Ecoles de Médecine françaises outre-mer (1)

 

C’est à Pondichéry, en Inde, que fut crée la première Ecole de Médecine française outre-mer en 1863. Par la suite, furent ouvertes dans l’Océan indien l’Ecole de Médecine de Tananarive en 1896 et en Extrême-Orient l’Ecole de Médecine d’Hanoi en 1902.

 

Pourquoi regrouper l’étude de ces trois Ecoles de Médecine françaises d’outre-mer ? Parce qu’elles ont été ouvertes toutes trois dans la seconde moitié du XIXe siècle (ou au tout début du XXe siècle), à la grande période de l’expansion coloniale française et également à celle de l’ère pastorienne, dans un espace géographique relativement proche (figure 1), alors que la quatrième Ecole de Médecine française d’outre-mer, celle de Dakar, ne sera ouverte qu’en 1918 sur la côte de l’Afrique de l’Ouest..

 

Le XIXe siècle est le siècle de la révolution médicale qui commence avec la méthode anatomoclinique (Laennec, 1781-1826 ), puis continue avec la méthode expérimentale (Claude Bernard, 1813-1878). La démarche médicale est fondée sur des observations et des preuves.

Puis, Cruveilhier  (1791-1874) et Virchow (1821-1902) établissent la théorie cellulaire, basée sur l’anatomie pathologique.

Mais l’avancée la plus significative pour les maladies infectieuses et tropicales est celle de la microbiologie avec les travaux de Pasteur (1828-1895) et de Koch ( 1848-1910). C’est d’abord l’observation des parasites unicellulaires, la mise en évidence du rôle des insectes dans la transmission de maladies transmissibles, puis la découverte des microbes comme agents de maladies infectieuses.

Avant même que les agents pathogènes ne soient identifiés, des vaccins avaient été mis au point : Jenner et la vaccination contre la variole par la vaccine en 1796, Pasteur et la  vaccination contre la rage en 1885.

Ainsi, au cours du XIXe siècle, les maladies infectieuses, qui sont pour la plupart encore ubiquitaires, perdent peu à peu de leur mystère (2).

C’est dans ce contexte scientifique rapidement évolutif que s’ouvrent trois Ecoles de Médecine françaises outre mer deux dans l’Océan indien, une en Extrême-Orient.

 

 

 

 

Figure 1. Carte situant l’Inde, l’Indochine et les îles de l’Océan indien

 

Le premier chapitre de cette étude sera consacré à l’histoire de ces trois Ecoles de Médecine françaises d’outre-mer. Le deuxième chapitre évoquera les principales maladies «exotiques» auxquelles seront confrontés les jeunes médecins issus de ces Ecoles, ainsi que leurs enseignants, pour la majorité médecins de la Marine, puis des Colonies.

 

1- Histoire de trois Ecoles de Médecine françaises d’outre-mer

 

1.1- L’Ecole de Médecine de Pondichéry ( 3, 4)

 

La ville de Pondichéry, fondée en 1874, est le chef-lieu des établissements français de l’Inde. Elle est située sur la Côte de Coromandel. La Compagnie des Indes Orientales a été crée en 1864 par Colbert. Pondichéry est séparée en deux par un canal : la ville noire habitée par les Hindous, la ville blanche habitée par les blancs et les créoles. Sa population dépasse 100 000 habitants (121 186 en 1867).

Par le traité de Paris de 1764, la France garde en Inde cinq comptoirs : Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé et Yanaon qui seront rendus à l’Inde en 1954.

L’Ecole de Médecine de Pondichéry est crée en 1863 par le Gouverneur Bontemps  sous l’impulsion du docteur Beaujean, médecin de la Marine. Beaujean enseigne la clinique médicale et chirurgicale. A ses côtés, le Docteur Huillet, médecin de la Marine, a en charge les cours d’anatomie et de petite chirurgie (3).

Plusieurs siècles avant notre ère, l’art de guérir s’étudiait en Inde dans des traités manuscrits qui nous ont été transmis à travers les âges. La défaite religieuse du bouddhisme et l’avènement du brahmanisme, les invasions amenèrent un rapide déclin de la médecine. Les médecins empiriques devinrent plus ignorants sans cesser d’être indispensables à la société hindoue. Quelques médecins furent enrôlés par les premiers Chefs d’Escadre, souvent comme interprètes. Les Chirurgiens de Marine purent apprécier les services rendus par leurs confrères indigènes et ils s’appliquèrent à les instruire. Puis les collèges missionnaires et les institutions brahmaniques fournirent des élevés ayant assez de connaissances pour qu’on put songer à en faire des étudiants en médecine.

L’Ecole de Médecine de Pondichéry forme des médecins indigènes ou officiers de santé, des sages-femmes et des vaccinateurs. Les étudiants en médecine, en nombre variable (au début 5 à 50 par promotion), ont une scolarité de cinq années, leur programme d’études correspondant à l’official de santé français. La loi de 1802 avait crée en France deux catégories de praticiens : les officiers de santé et les docteurs en médecine. Le corps des officiers de santé fut mis en extinction en 1892.

Seuls les médecins reçus à l’examen de fin d’études sont autorisés à exercer la médecine sur les territoires français. Certains concourent aux places ouvertes par le Gouvernement des Colonies, les autres s’installent dans le privé, continuant en général la clientèle d’un parent, médecin empirique, par droit d’hérédité. Ainsi, est substituée à la médecine indienne, fondée sur l’empirisme avec des pratiques de magie et d’astrologie, la médecine scientifique.

Quelques années après la création de l’Ecole, les médecins fonctionnaires assurent le service des quatre hôpitaux, des prisons, de la léproserie, de l’hospice des vieillards qui se trouvent sur les territoires français de l’Inde, l’inspection médicale des écoles et un service sanitaire avec ses règlements spéciaux contre la peste. Ils assurent aussi le fonctionnement de treize dispensaires gratuits.

Quelques médecins vont poursuivre leurs études en France et devenir docteurs en médecine. Paramananda Mariadassou sera le premier docteur en médecine issu de l’Ecole de Pondichéry.

En 1954, lors de la cession de Pondichéry à l’Inde, l’Ecole de Médecine de Pondichéry continuera de fonctionner sur la demande du gouvernement indien. Lapeyssonnie dirige alors l’Ecole. Il obtiendra de Nehru la transformation de l’Ecole en Medical College et en Centre de Recherche. Les promotions d’étudiants sont alors de 300.

 

1-2. L’Ecole de Médecine de Tananarive ( 5, 6, 7, 8)

 

L’Ecole de Médecine de Tananarive est crée le 11/12/1896 par Gallieni, Résident Général de France à Madagascar.

Madagascar a été découvert par les Portugais en 1500. Les relations entre Madagascar et la France sont anciennes, la Compagnie des Indes orientales avait ouvert un comptoir à Fort Dauphin dès 1642. Les rivalités entre les Français et les Anglais ont été permanentes jusqu’en 1885, année où Madagascar accepte le protectorat de la France. Mais la présence française est mal acceptée et les ressortissants français quittent Madagascar en 1894. La France décide alors l’envoi d’un Corps expéditionnaire à Madagascar en 1895. Un traité de paix est signé antre la France et Madagascar le 01/10/1895, Madagascar devenant une colonie française.

L’origine du peuplement à Madagascar est récente. La Grande Ile aurait vu accoster ses premiers habitants au début de l’ère chrétienne en provenance d’Indonésie. L’île est ensuite peuplée d’émigrants d‘origine arabe vers l’an mille, puis européenne au XV e siècle. Des populations en provenance de l’Inde et d’Asie ont renforcé à la fin du deuxième millénaire le métissage culturel  de Madagascar. La Grande Ile compte 2 millions d’habitants en 1900.

Les Malgaches croient aux esprits, bons ou mauvais. Ils ont des codes ou « fadi » qui leurs imposent des défenses (il est interdit de…). Ils connaissent des plantes dont les différentes vertus sont propres à guérir, et les médecins européens ont été impressionnés par les résultats obtenus, en particulier par les plantes «antipaludiques». Mais, pour les malgaches, ce sont leurs idoles qui guérissent, les plantes ne sont qu’un accessoire.

En 1869, la monarchie Mérina a renoncé officiellement aux pratiques de la médecine magique : la reine Ranavolona II, qui à son avènement en 1868 a proclamé l’adhésion du royaume au christianisme, avait ordonné la destruction par le feu de Ramahavaly, idole royale de la médecine. 

La première Ecole de Médecine, le Kolejy Medikaly Malagasyy, est ouverte en 1870 à Tananarive, puis, en 1886, la Médical Missionnnary Academy,  par les missions protestantes anglaises. Une Ecole officielle de médecine fonctionne en 1868 et un hôpital d’Etat est ouvert en 1875 près du Palais de la Reine

D’ailleurs, lorsque l’Ecole de Médecine française ouvre en 1896, cinquante-huit étudiants sont d’emblée admis  de la 5 e à la 1ère année, compte tenu qu’il s’agit pour beaucoup d’anciens élèves de la Médical Missionnary Academy, L’Hôpital d’Etat devient la Clinique de la nouvelle Ecole de Médecine.

Gallieni inaugure l’Ecole de Médecine le 06/02/1897 et déclare aux jeunes étudiants : « Cette Ecole est crée pour vous, jeunes malgaches, pour vous permettre l’accès à une noble et utile profession et pour fournir aux populations le secours de soins éclairés ».

Le premier directeur de l’Ecole est le docteur Mestayer, Médecin des Colonies. Deux Médecins des Colonies assurent l’enseignement, Jourdran et Rencurel, ainsi qu’un médecin malgache, le docteur Joseph Ratsimimanana, ancien élève de l’Ecole de santé militaire de Lyon et ancien Chef du Service de santé de l’armée malgache durant la campagne de 1895. Edmond Jourdran va diriger l’Ecole de 1900 à 1908. Antoine-Maurice Fontoymont, ancien interne des Hôpitaux de Paris (l’internat des Hôpitaux de Paris a été créé en 1802), lui succédera et dirigera l’Ecole pendant 25 ans de 1909 à 1934. Un des professeurs, Antoine Lasnet, médecin des Colonies, met sur pied en 1899 le premier service d’Assistance Médicale Indigène (AMI) dont se sont ensuite inspirés les responsables des services de santé d’Afrique et d’Asie.

En 1900, Gallieni crée le Corps des Médecins Indigènes de Colonisation, cheville ouvrière de l’Assistance Médicale. La formation des Médecins de Colonisation est l’objectif de l’Ecole, leur recrutement se faisant au sein de l’Ecole après un concours. Ils sont employés dans les différentes formations sanitaires mises en place par l’AMI : postes médicaux, hôpitaux, léproseries, chantiers du chemin de fer.

Les programmes d’enseignement sont calqués sur ceux de la Faculté de Médecine de Montpellier. La formation dure cinq ans, menant au diplôme de médecin de l’Assistance Médicale. Les médecins doivent signer un engagement de cinq ans, une fois leur diplôme obtenu.

En 1929, l’Ecole et l’Hôpital s’installeront dans les nouveaux bâtiments de Befalatanana Au 01/01/1970, l'Ecole a diplômé 1 233 médecins, 189 ont obtenu le diplôme de docteur d’Université ou le diplôme d’Etat dans une Université française. La dernière promotion de médecins de l’Assistance Médicale sortira en 1977, l’Ecole devenant Faculté de Médecine.

 

1-3. L’Ecole de Médecine d’Hanoi (9, 10)

 

Le 8 janvier 1902, un arrêté du Gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, fonde l’Ecole de Médecine d’Hanoi avec pour directeur Alexandre Yersin.

Dans  l’article 2, il était précisé que l’Ecole de Médecine d’Hanoi avait pour objectifs :

- de former des médecins asiatiques capables d’assurer avec les médecins français et sous leur direction le service de santé en Indochine et dans les postes de l’extérieur,

- de contribuer aux recherches scientifiques intéressant l’étiologie et le traitement des maladies qui affectent en Extrême-Orient les européens et les indigènes.

L’Indochine comprenait à la fin du XIXe siècle cinq pays : la Cochinchine qui était une colonie, le Cambodge, le Laos, l’Annam et le Tonkin qui étaient des protectorats. Le Viêt-Nam unifié depuis 1802 va être en 1887 sous domination française et ceci jusqu’à la fin de la guerre d’Indochine en 1954. Il sera réunifié en 1975 regroupant du nord au sud le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine.

En 1859, les français prennent possession de Saigon et la Cochinchine est pacifiée en 1861. L’Empereur Tu Duc la cédera à la France en 1862. En 1863, la France établit son protectorat sur le Cambodge . En 1884 et 1885, la Chine reconnaît par les traités de Tientsin les droits de la France sur le Tonkin. L’Union indochinoise est fondée en 1887. L’Indochine compte alors 13 millions d’habitants.

La médecine pratiquée au XIXe siècle en Indochine est calquée sur la médecine chinoise, organisée depuis les Tchéou, au III e  siècle av . J.-C., basée sur l’acupuncture et les plantes médicinales.

La création d’un établissement d’enseignement médical en Indochine a été rapidement envisagée et une commission avait été constituée en 1898  pour décider du lieu d’implantation, la création de l’Ecole à Saigon paraissait alors certaine, d’autant qu’existait à Saigon depuis 1860 une formation sanitaire qui fonctionne comme un hôpital de la Marine, le futur hôpital Grall. Mais, la Commission permanente du Conseil Supérieure de l’Indochine en sa séance du 08/01/1902 se décida pour Hanoi. Hanoi fut choisie «parce que le Tonkin permet, en plus de l’observation des malades propres aux climats chauds de l’Extrême-Orient ; l’étude des maladies propres à la saison d’hiver et qu’en outre, il est voisin de la Chine, où s’accentue notre intervention médicale ». Ainsi, l’Ecole de Médecine de Hanoi ne devait pas être seulement un établissement médical d’enseignement pour former les médecins au service des malades, mais aussi un centre scientifique et culturel rayonnant la civilisation occidentale.

Il est vrai, qu’en ce début du XX e siècle, le grand élan pastorien et les premières missions scientifiques outre-mer destinées à étudier les maladies infectieuses et parasitaires ont déjà été à l’origine de grandes découvertes, comme celle du bacille pesteux par Alexandre Yersin en 1894 et de la fondation des premiers Instituts Pasteur d’Outre-Mer  à Saigon par Albert Calmette en 1891 et Nha Trang par Yersin en 1895. On comprend alors  pourquoi un des deux objectifs de l’Ecole de Médecine d’Hanoi est de contribuer à la recherche scientifique.

Vingt-neuf élèves boursiers entrent à l’Ecole le 01/03/1902. Le recrutement a été réalisé par concours au Tonkin et il a été retenu 15 lauréats sur 121 candidats, tandis qu’en Annam, en Cochinchine et au Cambodge la sélection au choix a permis à 14 autres élèves de rejoindre l’Ecole. Un programme d’études préparatoires en culture générale est réalisé sur 3 mois, puis les élèves suivirent un cursus de 3 ans. L’Ecole formait des Officiers de santé pour le Viêt Nam, le Cambodge et le Laos. Mais, les médecins nouvellement diplômés pourront ensuite concourir pour être placés pendant 2 ans comme internes à l’Hôpital indigène ou comme répétiteurs de cours à l’Ecole de Médecine. Les diplômés pourront suivre ultérieurement les études en France pour obtenir le Doctorat en Médecine. Le docteur Nguyen Van Thanh fut le premier docteur en médecine vietnamien , il passa sa thèse à Paris en 1921.

Alexandre Yersin quitta la direction de l’Ecole en 1904, pour se consacrer à ses travaux à l’Institut Pasteur de Nha Trang. Des enseignants illustres officièrent à l’Ecole de Médecine d’Hanoi : Lasnet (l’initiateur de l’AMI à Madagascar), Le Dantec (qui dirigera l’Ecole de Médecine de Dakar à sa création en 1918), Vaucel (dont le livre «Médecine Tropicale» fera autorité).

En 1924, l’Ecole devient Ecole de Médecine et de Pharmacie, la section Pharmacie ayant été crée en 1916, puis en 1943, Faculté mixte de Médecine et de Pharmacie. En 1947, une annexe fut ouverte à Saigon.

 

2- Histoire des principales maladies « exotiques » au XIX siècle ( 11, 12).

 

2.1- La variole

La variole est une des maladies infectieuses les plus anciennement connues. Elle a causé des ravages épidémiques en Chine et en Inde, bien avant les conquêtes européennes. La variolisation, prophylaxie à partir d’une variole bénigne, consistait à inoculer à un sujet indemne du pus varioleux pour lui faire contracter une variole qu’on espérait bénigne et qui l’immuniserait. Elle était très répandue et était pratiquée par les médecins hindous et les médecins chinois. La mortalité par variolisation était importante et la variolisation contribuait à entretenir l’endémie. De plus, l’immunité conférée par la variole étant de courte (moins de 10 ans), de fréquentes récidives se manifestaient à l’âge adulte. Bien que la découverte par Jenner de l’immunité croisée entre le virus de la vaccine et celui du cow-pox (vaccine) date de 1796, la variole restait au milieu du XIX e siècle le fléau mondial le plus meurtrier

A Pondichéry, la variole régnait à l’état endémique et il était rare de rencontrer un indien qui n’en ait pas été atteint. Une épidémie de variole avait sévi en 1863, année de l’ouverture de L’Ecole. Puis, le nombre de varioleux va diminuer grâce à la propagation de la vaccination pratiquée par des vaccinateurs indiens.

A Madagascar, la variole constituait un frein au bon développement de la population malgache. Gallieni crée en 1898 l’Institut vacciniogène et antirabique qui deviendra en 1927 l’Institut Pasteur de Madagascar. Le vaccin antivariolique est produit sur place et la lutte antivariolique connaît alors une réussite spectaculaire.

En Indochine, Calmette crée en 1891 l’Institut de la Vaccine. Le vaccin, qui était jusqu’alors pratiqué de bras à bras à partir d’enfants vaccinifères  est préparé sur place à partir de jeunes bufflons. La formation de vaccinateurs indigènes permet de rendre obligatoire la vaccination (la vaccination antivariolique est obligatoire en France en 1902). Les vaccinateurs se déplacent dans tout le territoire, la production locale de vaccin permettant de vacciner toute la population. Le vaccin de l’Institut Pasteur de Saigon sera d’ailleurs utilisé par les colonies anglaises et néerlandaises.

 

2.2- Le choléra

Le choléra est connu depuis l’antiquité où il sévissait à l’état endémique en Inde (delta du Gange et Bengladesh), où il a donné lieu à tout un rituel religieux visant à se protéger. Au XIX e siècle, six pandémies mondiales causent la mort de milliers de personnes en Asie, en Europe et en Amérique. Une Conférence est tenue à Paris en 1851, inaugurant l’internationalisation des problèmes de Santé Publique. Le vibrion cholérique est isolé par Robert Koch à Alexandrie en 1883. Conséquence immédiate : des mesures de salubrité sont prises et font la preuve de leur efficacité à New York à l’arrivée d’un navire infesté par le choléra et mis en quarantaine.

Les connaissances sur le choléra sont donc limitées alors qu’est crée l’Ecole de Médecine de Pondichéry. Le choléra est la maladie de l’Inde, le peuple tamoul l’appelle vandy-védy qui signifie diarrhée-vomissement. Il atteint à Pondichéry la population indienne dans la ville noire et très rarement les blancs dans la ville blanche. Il survient par épidémies surtout pendant les mois pluvieux et chauds. La notion de contagiosité est discutée : «on peut être contagionniste en Europe, on ne l’est pas dans l’Inde (3)».

De même, le choléra a toujours sévi à l’état endémique en Asie. En Indochine, le choléra se répand en saison sèche par les grandes voies fluviales. Le Mékong est une véritable dilution de matières fécales. Le choléra remonte à contre-courant du delta du Mékong vers le nord par les sampans, maisons flottantes où les indigènes passent toute leur vie. Les vibrions, éliminés par les matières fécales dans le fleuve, cultivent dans l’eau et créent un foyer de choléra à chaque escale. De plus, la crémation est refusée aux malades qui meurent de mal foudroyant et les cadavres sont jetés dans le fleuve. C’est par la voie fluviale du Ménam que l’épidémie de choléra au Cambodge en 1900 s’est propagée à partir du Siam. La pénétration par les axes routiers est moins importante, il n’y a peu de routes et elles ne sont praticables qu’en saison sèche. Cependant, à certaines périodes de l’année (fêtes, nouvel an), il y a de grands mouvements de population.

Le choléra a épargné Madagascar jusqu’en 1999,alors, alors que des navires l’avaient introduit dans les îles voisines, à La Réunion en 1859 par le  Mascareignes  et à Maurice  en 1819 par la frégate britannique la Topaze.

 

2.3- Le paludisme

Le paludisme a été à la fin du XIX e siècle une des mieux connues parmi les maladies tropicales. Le paludisme est la fièvre des marais européens, la fièvre des grands delta fluviaux d’outre-mer. Les médecins de l’Inde védique et brahmanique (1800 à 800 av JC) décrivaient les fièvres endoépidémiques quotidiennes ou survenant tous les 2 ou 3 jours. Le traitement du paludisme par le quinquina était connu des médecins européens dès 1640. Maillot à Bône en 1834 avait prescrit des doses élevées de quinine. Pendant la guerre de sécession des Etats-Unis (1861-1865), une prophylaxie par la quinine avait été prescrite dans les unités appelées à occuper des postes très insalubres. Laveran avait  découvert l’hématozoaire à Constantine en 1880 et Ross le rôle joué par les anophèles dans la transmission en 1898 à Calcutta.

Ceci explique que les premières observations sur le paludisme faites à Pondichéry en 1863 soient essentiellement cliniques, mais que le traitement par le sulfate de quinine à hautes doses soit déjà prescrit..

Le paludisme est connu à Madagascar depuis les années 1880. Il sévit surtout dans les régions côtières. Les Hautes Terres Centrales ont connu cependant une première épidémie en 1878 suite à la généralisation de la riziculture  et à l’introduction de travailleurs émigrés venus d’Afrique. L’expédition française de 1895 sera un désastre sanitaire : 5 731 morts sur 21 600 hommes débarqués, dont 5 726 de maladies, essentiellement de paludisme, et 25 tués au combat. La mortalité sera importante dès le début de l’expédition prés de Majunga, port du débarquement, dans les marais du delta de la Betsiboka. L’explication est simple : alors qu’il y avait un accord des médecins français sur l’efficacité de la quinine dans le traitement du paludisme, certains refusaient encore à la quinine toute efficacité dans la prophylaxie du paludisme. Pourtant, la démonstration de l’efficacité de la quinine prophylactique avait été faite sur le terrain au Tonkin quelques années auparavant. Une deuxième épidémie surviendra sur les Hautes Terres lors de la construction de la ligne ferroviaire entre Tananarive et Tamatave en 1896.

Le paludisme en Indochine a un faciès particulier : il fait peu de victimes dans les delta, zones de culture du riz,  et il est par contre très meurtrier dans les montagnes : c’est la fièvre des bois. C’est la région boisée intermédiaire entre la côte et les sommets qui est la plus malsaine. Elle est située entre 400 et 800 mètres d’altitude. Les travailleurs indochinois recrutés sur la côte et envoyés dans la montagne pour défricher paieront un lourd tribut au paludisme. Il en sera ainsi lors de l’introduction de la culture de l’Hévéa brasilensis dans les forêts en 1897.

 

2.4- La peste

Les plus anciens textes chinois mentionnant des épidémies de peste  La première grande pandémie de peste, la peste noire, partie de Chine, atteint l’Europe en 1347. A partir du foyer asiatique, les épidémies de peste étaient à la fin du XIX e siècle suivies à la trace. En 1894, la peste se réveille au Yunnan, descend des plateaux et des montagnes pour atteindre les ports, Canton, Hong Kong, puis Bombay en Inde et  par voie maritime l’Europe et Marseille en 1903. C’est la troisième pandémie toujours actuelle. Alexandre Yersin  découvre le bacille de la peste à Hong Kong le 20/07/1894 et Paul-Louis Simond, en service à l’Institut Pasteur de Saigon, le rôle de la puce du rat à Karachi en 1898.

La peste est «entrée» a Madagascar en 1898 à l’escale de Tamatave à partir d’un bateau venant de l’Inde. Thiroux, médecin des Colonies, qui arrive à Tamatave le 06/01/1899 en pleine épidémie de peste, va participer en tant que médecin-major à la lutte contre la peste avant de gagner son poste à l’Instiut Pasteur de Tananarive. La peste atteindra ensuite le port de Diégo-Suarez en 1899, de Majunga en 1902, puis les Hauts Terres Centrales à Tananarive en 1921.

 

2.5- La lèpre

L’inde serait le foyer le plus ancien de la lèpre. Elle a été décrite sous le nom de Kushta dans le Caraka Samhita et le Susrata Samhita, les plus anciens livres de la médecine indienne (600 av. J.C.). En Chine, elle a été décrite dans le Su-Wen, ouvrage médical datant de la dynastie des Chou (1182-250 av. J.-C.) (13).

Originaire d’Inde et de Chine, la lèpre a gagné les rives de la Méditerranée et atteint son apogée en Europe au XII éme siècle.

Danielsen et Boeck ont en 1847 établi une classification clinique de la lèpre, Virchow a apporté en 1864 une description pathologique et Hansen a découvert le bacille  en 1873, mais celui-ci n’est pas détecté chez la majorité des lépreux, ce qui est mal compris. Cependant la doctrine de «contagiosité» triomphe, défendue par Besnier. Les nombreux traitements proposés ont échoués. Le traitement par l’huile de Chaulmoogra est conseillé. L’huile de Chaulmoogra a représenté pendant des siècles le seul produit ayant une efficacité, certes limitée, dans la lèpre. Le vrai chaulmoogra est un arbre d’Asie (Inde, Birmanie, Annam) dont le fruit semblable à une orange contient des pépins dont on extrait l’huile. La  prophylaxie est basée sur l’isolement et la France a établi une réglementation dans deux de ses colonies, en Guyane en 1891 et en Nouvelle-Calédonie en 1893, obligeant les lépreux n’ayant aucun moyen pour se soigner à être admis en léproserie.

Pondichéry possède une léproserie depuis 1845. L’origine de la lèpre est alors encore inconnue, et la syphilis est considérée comme responsable (3).

En Indochine, le nombre de lépreux était en 1900 entre 12 000 et 15 000 Elle était fréquente au Laos et au Cambodge. Sous la domination annamite, les lépreux étaient groupés dans des villages. Depuis la colonisation française, les lépreux qui peuvent survenir à leurs besoins se sont répandus dans la population saine et les indigents sont restés dans leurs villages. Mais, ils circulent sans entrave. En se basant sur le fait que la seule arme contre la lèpre est la prévention basée sur l’isolement, la section d’hygiène et de médecine du Congrès colonial de 1904 va demandé que tout lépreux soit «isolé».

 

2.6- Les dysenteries

L’étiologie des dysenteries est l’objet de discussions. Il y a les dysenteries sensibles à l’ipéca qui seront rattachées à l’amibiase. Losh a découvert l’amibe à Petrograd en 1872, Koch a établi les relations entre les ulcérations coliques et l’amibe en 1883, et Kelsh et Klener la relation entre les dysenteries et l’abcès tropical du foie en 1889. Mais le rôle de l’amibe est discuté : sa découverte trop fréquente aussi bien chez l’homme sain que chez l’homme malade fait mettre en doute son rôle pathogène. Calmette, qui connaît les travaux de Kartalis, médecin à l’hôpital d’Alexandrie, travaux laissant suspecter l’existence de deux amibes différentes , l’une pathogène, l’autre inoffensive (1885), écrit « qu’il est possible que des amibes jouent un rôle nocif dans la genèse de la dysenterie ». En revanche, il insiste sur le rôle joué par les microbes. Il a isolé à l’Institut Pasteur de Saigon un pyocyanique. Les dysenteries bacillaires entraient dans la pathologie. Le bacille de Shiga, premier agent connu des dysenteries bacillaires, sera isolé  en 1898.

 

2.7- Le béribéri

C’est la grande carence nutritionnelle des populations indigènes. C’est une maladie de la famine, de la misère. En Inde, le béribéri est observé «sur les plages maritimes,… à une certaine distance de la mer, cette affection est très rare et même inconnue». Le béribéri sera surtout observée dans les collectivités, en particulier dans les prisons. L’exemple le plus connu est l’épidémie de béribéri du pénitencier de Paulo Condor en Cochinchine en 1897-1898. Une épidémie de béribéri a littéralement vidé le bagne. L’alimentation défectueuse est suspectée : le béribéri atteint les détenus indigènes, mais ni les détenus européens, ni les gardiens indigènes, ni les détenus indigènes détachés comme boys ou comme employés du bagne (pêche, ateliers). Le riz n’est pas incriminé, mais une alimentation avec vives fraîches, légumes verts, condiments, fruits est recommandée à l’administration pénitentiaire. Il sera plus tard observé à la prison de Nosy-Lava à Madagascar.

 

2.8- Les drogues

L’opium tient la première place parmi les drogues. Il fait autant de ravages que l’alcool en Occident. En Inde, l’aire cultivée du pavot est immense, mais il n’en est consommé sur place qu’une faible partie. Tout l’excédent est exporté vers la Chine, l’Indochine, Singapour, Java. L’opium a été introduit en Chine en 1757 par la Compagnie anglaise des Indes Orientales. La Chine, vaincue par les Anglais en 1842 (les Chinois ont arraisonné des bateaux anglais dans la rivière de Canton en 1839 et jetés l’opium à la mer) est contrainte de céder à l’Angleterre Hongkong, d’indemniser les contrebandiers anglais et d’ouvrir quatre nouveaux ports au trafic de l’opium : la Chine est condamnée à fumer l’opium.

Les pays dits civilisés sont indifférents ou complices. En 1899, le monopole de l’opium est réorganisé par l’administration française en Indochine,  l’opium fournissant le 1/3 des revenus à la colonie.

Les conséquences de la consommation d’opium sont désastreuses pour l’individu et pour la société : déchéance et abrutissement de l’individu, misère de la famille, augmentation du taux de crimes et des délits, famine (la culture de l’opium se substitue à celle du riz et du froment, moins rémunératrices).

 

2.9- Les envenimations ophidiennes

Il y a de nombreuses espèces de serpents terrestres dangereux dans la péninsule de l’Inde : élapidés (naja, cobra), vipéridés (échis). Il y a en moyenne 15 décès par morsures de serpents à Pondichéry par an. Il en est de même en Indochine. Il n’y aura jamais de serpents venimeux à Madagascar.

Il n’y a pas d’antidote contre l’envenimation par les serpents. C’est Calmette qui, à l’Institut Pasteur de Saigon, mettra au point la sérumthérapie en 1891, l’antivenin étant obtenu selon les mêmes principes que les sérums développés à partir des toxines microbiennes (sérum antidiphtérique de Roux, Martin et Chaillou en 1890, sérum anitétanique de Roux, Vaillard et Bazy en 1893).

 

Certaines maladies «exotiques» sont propres à chaque colonie. Il en est en particulier à Pondichéry:de l’éléphantiasis des arabes (la filariose lymphatique) , du rajah ou anthrax, du pied de Maduré rattaché alors à la tuberculose (le mycétome ou Pied de Madura), du dragonneau (la filaire de Médine) ; en Indochine, de la diarrhée de Cochinchine ou sprue, nom donné par Manson en 1880 à Amoy, concession française en Chine ; à Madagascar, de la rage, les premiers traitements débutant dès 1900 avec un vaccin préparé à partir de moelle de lapin..

 

En conclusion, la médecine «exotique» va connaître dans la deuxième moitié du XIX e siècle des avancées scientifiques majeures. Si les  Ecoles de Médecine françaises d’outre mer ouvertes à Pondichéry, Tananarive et Hanoi avaient toutes trois pour objectif la formation de médecins pour traiter et prévenir les maladies sévissant sur leur territoire, avec l’ouverture de l’Ecole de Médecine d’Hanoi, un deuxième objectif est clairement défini : contribuer aux recherches scientifiques. Il est vrai, cependant, que ce sont les Pastoriens qui feront outre-mer au cours du XX e siècle les nouvelles découvertes, toujours orientées vers l’amélioration de la Santé Publique, finalité principale des travaux de Pasteur.

 

 

Références

 

1- Deroo E., Champeroux A., Milleliri J.M., Quéguiner P. L’Ecole du Pharo. Cent ans de Médecine Outre-Mer. 1905-2005. Lavauzelle, 2005

2- Dachez R. La révolution médicale du XIX siècle. In Histoire de la médecine, de l’antiquité au XXe siècle. Tallandier éditions, Paris, 2004, pp. 533-587.

3- Huillet. Contribution à la géographie médicale. Pondichéry. Arch. de Méd. Nav. 1867, VIII, 321-357 et 401-425, 1868, IX, 5-30 et 81-96.

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5- Kermorgant. Ecole de Médecine et Hôpital Indigène de Tananarive. Annales d’Hygiène et de Médecine Coloniales, 1903, 6, 181-184.

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8- Merlin J., Mafart B., Triaud J.L. L’assistance médicale indigène à Madagascar (1898-1950). Med. Trop., 2003,63, 17-21.

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11- Micoud M. Histoire des maladies infectieuses. In Histoire de la Médecine, de la Pharmacie, de l’Art dentaire et de l’Art Vétérinaire, tome 6, pp. 25&-301. Albin Michel, Robert Laffont, Tchou éditeurs, Paris, 1990.

12- Blanc F. Histoire des maladies exotiques. In Histoire de la Médecine, de la Pharmacie, de l’Art dentaire et de l’Art Vétérinaire, tome VIII, pp. 217-256. Albin Michel, Robert Laffont, Tchou éditeurs, Paris, 1990.

13- Aubry P. Prévention de la lèpre en Indochine au début du XX e siècle. Bulletin de l’ALLF, 2003, 12, 53-54.

 

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 28/01/2006