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  Historique du paludisme

Histoire du paludisme. Le paludisme à Madagascar.

 

Professeur Pierre Aubry, Professeur Emérite à la Faculté de Médecine d’Antananarivo.

 

 

L’histoire du paludisme débute avec Hippocrate qui décrit les fièvres tierces et les fièvres quartes au Vème siècle avant Jésus-Christ. Ces fièvres sont rattachées aux marais et le mot paludisme vient du latin « palus » qui signifie marais. Il sera adopté par les médecins francophones, alors que les anglophones parleront de malaria de l’Italien « mala aria » ou mauvais air.

 

En 1620, au Pérou, des pères jésuites espagnols sont guéris de fièvres intermittentes par une décoction de l’écorce d’un arbre : le kina-kina. La Comtesse Cinchon, épouse du vice-roi du Pérou, sujette aux accès de fièvres intermittentes, prend du quinquina et « guérit ». On donne à cette médication les noms de Cinchona, Poudre des Jésuites, Poudre de la Comtesse. Les Jésuites de Lima introduisent la poudre de quinquina en Europe, à Séville et à Rome en 1923.

La fièvre des marais sévit alors en Europe et les grands de ce monde en sont atteints. Richelieu est atteint d’accès fébriles en 1628 au siège de La Rochelle. Il écrit «la fièvre ardente des marais m’assaille sans cesse et m’oblige à ne sortir qu’en litière». Oliver Cromwell en 1640 ramène de sa campagne victorieuse en Irlande une fièvre intermittente qu’il attribue à la malaria «la fièvre des marais me tourmente et décime mon armée».

Les Portugais « découvrent » Madagascar en 1500 (Diego Diaz). Madagascar sert de points de «touchées» aux navires (marins dieppois, 1527) et les côtes malgaches ont auprès des marins qui vont à terre une mauvaise réputation, due probablement au paludisme. Les colons français de la Compagnie des Indes orientales installés à Madagascar (Ile Sainte-Marie, baie d’Antongil, baie de Sainte Lucie, Fort Dauphin) confirment l’insalubrité des côtes malgaches.

Parasites et vecteurs ont été amenés sur les côtes de Madagascar par les migrations de populations :

- migration des Indonésiens du I au XIIIème siècle,

- migration des Bantous au IIème  et IIIème siècle,

- migration des Arabes du VII au XIVème siècle.

 

Le XIXème siècle sera le siècle des grandes découvertes :

- en 1820, Pelletier et Caventou de la Faculté de Pharmacie de Paris isolent l’alcaloÏde actif du quinquina : la quinine.

- en 1834, à Bône en Algérie, Maillot prescrit des doses «élevées» de quinine : 2 à 3 g/j, alors que la dose était alors de 6 g d’écorce de quinine, soit 0,6 g d’alcaloïde actif,

- pendant la guerre de Sécession des Etats-Unis (1861-1865), une prophylaxie par la quinine est prescrite dans les unités appelées à occuper des postes très insalubres,

- en 1860, Laveran à Constantine découvre l’agent du paludisme ; l’hématozoaire ou plasmodium.

La mise au point de colorations permettra de décrire trois espèces de plasmodium : (1885-1895) : Plasmodium falciparum, l’hématozoaire qui tue, responsable des fièvres tierces malignes, P. vivax responsable des fièvres tierces bénignes, P. malariae, responsable des fièvres quartes. Une quatrième espèce plasmodiale sera découverte en 1922 ; P. ovale.

Ces quatre espèces plasmodiales sont présentes à Madagascar, mais P. falciparum est cause de plus de 90% des accès palustres.

 

Alors que le XIXème siècle se termine et que les expéditions coloniales se succèdent, l’expédition française de Madagascar de 1895 sera un désastre sanitaire majeur. Sur 21 600 hommes débarqués, 5 756 resteront en terre malgache, dont 25 tués au combat et 5 731 morts de maladie, essentiellement de paludisme. Il est surprenant de constater qu’à cette époque, si depuis le congrès d’Alger de 1881, il y avait un accord quasi-unanime des médecins français sur l’efficacité de la quinine dans le traitement du paludisme, certains refusaient au même médicament toute efficacité dans la prophylaxie du paludisme, malgré la démonstration faite sur le terrain au Tonkin et au Dahomey de son utilité. En 1898, un médecin qui avait servi en 1895 à l’Hôpital d’Amabato-Boeni écrira « le soldat … s’impaludera malgré la médication préventive la plus scrupuleusement suivie, il n’échappera ni à l’accès palustre, ni à la cachexie… ». Pendant l’expédition de Madagascar, la prophylaxie par la quinine a été mal prescrite et mal suivie.

Il est vrai que le rôle du moustique comme agent vecteur du paludisme n’est pas encore affirmé. C’est en 1897 que Ross établit ce rôle. Mais, Laveran, dès sa découverte du plasmodium, avait suspecté le rôle du moustique. Dans son Traité des fièvres palustres, paru en 1884, il avance que le moustique se comporte comme l’hôte temporaire du paludisme. Le rôle joué par les gîtes larvaires des moustiques entraîne le drainage  des marais pour la destruction des larves aquatiques. Ainsi, est mise en valeur la plaine de la Mitidja en Algérie et peut être terminé le canal de Panama. Mais les pays de riziculture inondée, omniprésente, indispensable à la survie des habitants, comme en Asie et à Madagascar, ne peuvent assécher les terres. Il reste à se protéger des piqûres d’anophèles par les moustiquaires.

Ainsi, dès la fin du XIXème siècle, et après de nombreux siècles d’empirisme, tous les acteurs épidémiologiques du paludisme sont connus : l’environnement insalubre, l’homme réservoir de parasites, le moustique (l’anophèle femelle) responsable de la transmission, l’homme malade victime.  La quinine et la moustiquaire sont les deux moyens de lutte efficaces contre le paludisme.

 

Le XXème siècle sera marqué par :

- de nombreuses recherches concernant les médicaments antipaludiques et les insecticides,

- l’apparition de la résistance des hématozoaires, essentiellement de Plasmodium falciparum, aux antipaludiques.

Pendant la guerre 1914-1918, il y a une pénurie de quinine en Allemagne, les plantations de quinquina étant sous contrôle allié. Débutent alors les premières recherches de médicaments synthétiques. Bayer synthétisera en 1925 une amino-8 quinoléines, la pamaquine, gamétocytocide, puis en 1931 une amino-4-quinoleine, la resochin, schizonticide, mais les essais seront arrêtés pour cause de toxicité.

La quinine reste donc en 1940 le seul antipaludique. La guerre 1939-1945 voit la reprise des recherches sur les médicaments synthétiques, les Alliés se heurtant dans le Pacifique à un paludisme redoutable, alors que les conquêtes japonaises les privent rapidement de leur approvisionnement en quinquina.

La firme Winthrop prépare à partir de 1940 plusieurs amino-4 quinoléines, schizonticides, dont en 1944 la chloroquine, compose identique à la resochin de Bayer. Cette molécule devient rapidement l’antipaludique de référence en chimioprophylaxie et la première ressource thérapeutique dans l’accès palustre non compliqué, la quinine restant l’antipaludique de référence dans les formes graves.

En 1939, la firme Geigy met au point un insecticide organochloré, à effet rémanent, le DDT dont la fabrication industrielle débutera en 1942. L’utilisation du DDT permet alors d’espérer un contrôle du paludisme et l’OMS lancera en 1955 le Programme Mondial d’Eradication du Paludisme. La résistance des anophèles au DDT (dès 1953 en Grèce) freinera la réalisation de ce programme. Cependant le paludisme sera éradiqué à l’île de La Réunion.

 

Le paludisme, limité au moment du peuplement aux côtes malgaches, va gagner les Hautes Terres  Centrales de Madagascar, qui vont connaître trois épidémies de paludisme :

-  la première en 1878 avec l’arrivée de travailleurs émigrés venus d’Afrique,

- la seconde en 1895, avec les mouvements de populations dus à l’Expédition française, puis aux grands travaux, en particulier du chemin de fer vers l’est,

- la troisième en 1986-1988 : à cette période, près de 1% de la population des Hautes Terres est décédée de paludisme (environ 40 000 morts). Cette épidémie s’explique par le relâchement des pulvérisations intra domiciliaires de DTT et de la chimioprophylaxie scolaire et préscolaire qui avait été mis en place de 1949 à 1962. Les Campagnes d’Aspersion intra-domiciliaires de DDT (CAID) ont  permis l’arrêt de l’épidémie. Depuis 1999, la stratégie utilisée est celle des aspersions ciblées aux foyers résiduels détectés par un système de surveillance épidémiologique et d'alerte.

On décrit cinq faciès épidémiologiques en lien direct avec les différents types climatiques :

- faciès équatorial au niveau de la côte est : paludisme stable à forte transmission toute l’année,

- faciès tropical au niveau de la côte ouest et au nord :  paludisme stable avec une forte transmission en saison des pluies,

- faciès sahélien dans le sud : paludisme instable à transmission liée aux précipitations (pluviométrie faible > 500 mm),

- faciès des Hautes Terres Centrales : paludisme instable et saisonnier (novembre à avril) avec une pluviométrie de 800 à 1 500 mm, la transmission s’interrompt pendant l’hiver austral,

- absence de paludisme au-dessus de 1500 mètres d’altitude.

 

A la fin du XXème siècle, le paludisme reste la première endémie mondiale et la plus meurtrière. Il y a une stabilité désespérante du nombre de pays où le risque de transmission existe. Plus de 100 pays sont concernés, regroupant plus de trois milliards de sujets. Il y a près de trois millions de morts chaque année, essentiellement des enfants de moins de 5 ans.

Cette situation épidémiologique a deux explications principales :

- la résistance des parasites et des moustiques,

- les limites de notre arsenal thérapeutique et préventif.

La résistance concerne en premier l’hématozoaire, limitée au départ à P. falciparum. Ce phénomène  a concerné la chloroquine en 1960 en Amérique du sud et en Asie du sud-est, puis a atteint l’Afrique de l’est en 1980. Le processus s’est ensuite étendu à tous les pays tropicaux.

A Madagascar, la résistance à la chloroquine de P. falciparum est soupçonnée dès 1975, confirmée en 1982-1983. Les tests de résistance réalisés en 2001 par l’Institut Pasteur de Madagascar confirment la bonne sensibilité in vitro à la chloroquine. Les souches étudiées ont des caractères de résistance de type RI ou RII. Il n’y a pas actuellement de souches de type RIII. La chloroquine demeure le traitement de première ligne et l’association sulfadoxine-pyriméthamine est préconisée en seconde ligne pour relayer la chloroquine en cas d’échec thérapeutique dans les accès palustres simples, vu l’absence de résistance à la pyriméthamine.

Les principaux vecteurs du paludisme à Madagascar sont Anopheles gambiae, An. funestus, An. Arabiensis, An. mascarensis. An. funestus  vit dans les rizières dans toutes les régions de Madagascar.

Des études récentes montrent une sensibilité d’ An. funestus à tous les insecticides, y compris au DDT, sur les Hautes Terres Centrales. Cette observation est essentielle, puisque c’est An. funestus qui est la cible prioritaire des CAID.

 

La chloroquinorésistance de P. falciparum à la chloroquine va entraîner un vaste programme de recherches sur les médicaments antipaludiques aux USA, alors en guerre au Vietnam, et la mise au point de deux molécules : la méfloquine et l’halofantrine, à partir de 16 000 composés testés.

L’apparition de multirésistances de P. falciparum va entraîner le développement de nouveaux antipaludiques, certains très anciens comme l’artémisinine, extraite du Qinghao, connu des Chinois depuis 2000 ans et le développement d’associations d’antipaludiques à effet potentialisateur.

Les antipaludiques qui font l’objet d’un développement récent sont tous associés en bithérapie. Certains sont fixes : atovaquone-proguanil, arthémeter-luméfantrine, chlorproguanil-dapsone, d’autres libres associant toujours un dérivé de l’artémisinine vu sa rapidité d’action, l’impact sur la transmission et l’absence de chimiorésistance de P. falciparum.

Des progrès techniques, en particulier la réussite de la culture érythrocytaire continue de P. falciparum en 1976 allaient donner l’espoir d’un vaccin antipaludique, espoir toujours déçu à ce jour. On sait que le futur vaccin devra prendre en compte toutes les étapes du cycle parasitaire et être capable d’induire une réponse à la fois cellulaire et humorale. Mais quelle peut être l’efficacité d’un vaccin antipaludique pour des populations dont le système immunitaire a déjà été en contact avec le parasite ?

 

En définitive, les plus importants progrès pour le contrôle du paludisme ont été depuis 30 ans les moustiquaires imprégnées d’insecticides et pour le traitement les dérivés de l’artémisinine utilisés en bithérapie. 

Rien de bien nouveau : les moustiquaires sont les descendantes de nos cousinières (du mot cousin, moustique le plus répandu en France au XIXème siècle : il s’agit de Culex pipiens) et l’artémisinine est née de l’empirisme et de l’apport de la médecine traditionnelle chinoise.

 

 

Références 

 

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Texte rédigé le 05/01/2005.