Maladie de Kaposi
Actualités 2007
Professeur
Pierre Aubry. Mise au point le 15/06/2007
1.
Généralités
La Maladie de Kaposi (ou Sarcome de
Kaposi [SK]) peut se définir comme un processus prolifératif mésenchymateux
concernant les cellules des systèmes sanguin et lymphatique, induit par des
facteurs de croissance viraux, notamment l'interleukine 6 de l'herpès virus
humain type 8 (HHV8).
Quatre formes de maladie de Kaposi sont
identifiées :
- une forme classique méditerranéenne
décrite en 1872 par Kaposi à Vienne en Autriche, maladie cutanée maligne, rare,
atteignant surtout l’homme âgé,
- une forme endémique
décrite en 1950 en Afrique centrale et de l’est, maladie de l’homme adulte et
de l’enfant,
- une forme dite post
transplant liée à une immunodépression acquise iatrogène, décrite en 1970 chez
des patients greffés traités par immunosuppresseurs,
- une forme
épidémique liée au sida, décrite en 1981, chez les personnes infectées par le
VIH. C'est une des affections opportunistes les plus fréquentes et le premier
cancer chez les sidéens. La Maladie de Kaposi pose en Afrique de l’est et
centrale un véritable problème de santé publique (elle représente dans
certaines régions 20 à 50% de tous les cancers diagnostiqués).
Depuis 1994, un nouvel agent viral, l’HHV-8 est identifié comme l’agent
étiologique de toutes les formes de Maladie de Kaposi (classique, endémique,
post transplant, et épidémique liée au VIH). Toutes ces formes ont en commun
une même image histologique.
Les lésions élémentaires sont identiques
quel que soit le type de Maladie de Kaposi. Seuls varient leur degré
d'expression, leur topographie prédominante et leur mode évolutif. Les
principales caractéristiques des différentes formes de Maladie de Kaposi sont
rappelées dans le tableau I. L'étude de la Maladie de Kaposi liée au sida est
ICI seule développée.
Tableau I. Spectre épidémio-clinique de
la Maladie de Kaposi
Maladie de Kaposi
|
Kaposi classique
|
Kaposi endémique
|
Kaposi post transplant
|
Kaposi-sida
|
Géographie
|
Europe
centrale
Pourtour méditerranéen
|
Afrique
centrale et de l'est
|
Europe
Amérique du nord
Moyen-Orient
|
Mondiale
|
Age
|
50-80
|
25-40
enfant/forme ganglionnaire
|
10-80
|
Surtout
Adulte
|
Sexe ratio
|
15
H/1 F
|
H
>>> F
|
2
H/ 1 F
|
50
H/ 1 F
|
Terrain
|
Syndrome
lymphoprolifératif
Lymphopénie CD4 idiopathique
|
?
|
Greffe
Immunosuppresseurs
Risque x 500
|
Homo
ou bisexuels
Hétérosexuels et enfants en Afrique
|
Atteinte cutanée
|
Macules
Papulo-nodules
Larges plaques coalescentes
Localisation acrale
Lymphoedème
|
Idem/forme
nodulaire 25%
forme floride 40%
forme infiltrante /MI 15%
forme ganglionnaire/enfant 20%
|
Expression
clinique intermédiaire (dépend du déficit immunitaire) Atteinte visage et
tronc
possible
|
Macules,
papules, nodules,
Plaques diffuses (faciales,
génitales)
Ulcérations
|
Atteinte muqueuse
|
Rares
|
Rares
|
Plus
fréquentes
|
Fréquentes
|
Adénopathies
|
Rares
|
Surtout
si forme floride
Constante si forme ganglionnaire
(enfant)
|
Occasionnelles
|
Fréquentes
|
Localisations viscérales
|
Rares:
digestive, osseuse
|
Rares
|
Occasionnelles
|
Respiratoire,
digestive, ORL, médullaire,
urogénitale
|
Evolution
|
Lente
|
Variable
|
Localisée
|
Rapide
|
Pronostc
|
Survie
10-15 ans
|
1
à 10 ans
|
Amélioration
après restauration immunitaire
|
Rémission
sous trithérapie
|
2. Etude de la Maladie de Kaposi liée au sida
2.1. Epidémiologie
Le risque de développer une Maladie de
Kaposi lors du sida est estimé à 20 000 fois celui de la population générale et
près de 300 fois celui des autres sujets immunodéprimés. Parmi les sidéens, le
risque est bien supérieur pour les homosexuels que pour les femmes ayant eu des
rapports avec des hommes bisexuels, les toxicomanes et les malades transfusés
par du sang contaminé. Le rapport anal ou oro-anal homosexuel est le principal
mode de transmission dans les pays du nord.
La présence de l'HHV8 dans les
lésions tumorales de toutes les formes de Maladie de Kaposi a été démontrée. Il
a également été montré que l'infection par l'HHV8 précédait l'apparition
de la maladie : séroconversion pour l'HHV8 et détection de séquences
virales dans les lymphocytes du sang périphérique quelques mois avant
l'apparition de la maladie clinique. De plus, le niveau de prévalence des
anticorps anti HHV8 (0% en Angleterre, 20% en Italie du sud, 75% en
Ouganda) et l'incidence de la Maladie de Kaposi concordent. Ces arguments
associés à des données moléculaires ont permis d'impliquer l'HHV8 comme
agent causal de la Maladie de Kaposi.
Alors que l'HHV8 est transmis
durant les contacts sexuels dans la population homosexuelle masculine, les
modes de transmission dans les zones de forte transmission, comme en Afrique,
semblent principalement la transmission mère-enfant et la transmission d'un
enfant à l'autre par la salive. La transmission hétérosexuelle semble plus rare
en zone d'endémie. Par ailleurs, l'existence de nombreux porteurs
asymptomatiques de l'HHV8 pose le problème du dépistage de ce virus dans
les dons du sang et surtout dans les dons d'organes.
L’HHV8
est identifié comme l’agent étiologique de la Maladie de Kaposi, mais aussi
des lymphomes des cavités ou lymphomes primitifs des séreuses (PEL), de
certaines formes agressives de la maladie de Castleman multicentrique (MCM).
2.2.
Etude clinique
2.2.1. L’atteinte cutanée est inaugurale dans 90% des cas
2.2.1.1. Les
lésions élémentaires
- macules brun violet ou marron sur peau
pigmentée,
- papulonodules pigmentés
- nodule angiomateux
- placard infiltré ou verruqueux ou
ulcéropapuleux
2.2.1.2. De nombreux diagnostics
différentiels cliniques se posent devant ces lésions élémentaires, mais la
profusion des lésions, la fréquence des autres localisations, en particulier
muqueuses, leur topographie faciale attire l'attention.
2.2.1.3. Toutes ces lésions peuvent
atteindre l’ensemble des téguments en particulier le tronc, les membres
(extrémités : mains, pieds), et le visage (nez et paupières).
Un Lymphoedème du membre atteint peut
être révélateur.
2.2.2. L’atteinte muqueuse est fréquemment observée (50 % des
cas)
- atteinte bucco pharyngée : palatine, gingivale,
labiale, jugale, linguale, amygdalienne, pouvant s’ulcérer et se surinfecter
(champignons, bactéries),
- atteinte génitale,
- atteinte oculaire.
2.2.3. L’atteinte ganglionnaire est fréquente
2.2.4. Les atteintes viscérales sont fréquentes, surtout digestive
et pulmonaire
- atteinte digestive : dans 50% des sarcomes
de Kaposi avec atteinte cutanée, 100% avec localisation buccale. Asymptomatique
ou révélée par des douleurs, une diarrhée, des hémorragies digestives, avec à l’examen
endoscopique : papules ou nodules angiomateux, rouges, siégeant au niveau de l’estomac, du duodénum, du colon,
du rectum ;
- atteinte
pulmonaire : dans 20 à 50% des SK, révélée par une toux sèche, une
dyspnée, un SDRA évoquant une pneumocystose, avec des signes radiologiques non
spécifiques : infiltrat interstitiel ou alvéolaire bilatéral et images
nodulaires mal limitées ;
- autres atteintes : tous les
organes peuvent être atteints, en particulier atteinte ORL, médullaire,
uro-gynécologique, osseuse.
L’évolution, en l'absence de traitement antirétroviral, est
rapidement progressive vers une forme polyviscérale, associée à des
infections opportunistes qu’il faut
systématiquement rechercher.
Le pronostic de la Maladie
de Kaposi dépend de la classification TIS pour Tumeur, Système Immunitaire,
Symptômes Systémiques.
Tableau II. Classement pronostique du
SK-sida
Classification
TIS
|
Meilleur
risque 0
|
Mauvais
risque 1
|
T
: Tumeur
|
Restreinte à
- peau et/ou
- ganglions et/ou
- lésion plane du palais
|
Associée à
- œdème et/ou ulcération cutanée
- lésions buccales non planes
- autres localisations viscérales
|
I
: Système Immunitaire
|
CD4 > 200/mm3
|
CD4 < 200/mm3
|
S
: Symptômes systémiques
|
- pas d'antécédent d'IO
- pas d'antécédent de candidose
oro-pharyngée
- pas de fièvre ou d'amaigrissement
- indice de Karnovsky > 70*
|
- antécédents d'infection
opportuniste
- fièvre, amaigrissement,
- indice de Karnovsky < 70*
- atteinte neurologique, lymphome ...
|
* indice de Karnovsky à 70 : le malade
peut se prendre en charge, incapable de mener une activité normale ou de travailler
2.3. Diagnostic
2.3.1. Le diagnostic de l'infection à HHV8 repose sur la sérologie
(immunofluorescence, ELISA), la mise en évidence des protéines virales dans les
tissus cibles, et des séquences génomiques par PCR.
2.3.2. Le diagnostic
de la Maladie de Kaposi est
histologique : prolifération de fentes vasculaires irrégulièrement
anastomosées, s'insinuant entre les amas de collagène et s'étendant autour des
vaisseaux dermiques normaux ainsi que des annexes, mêlées à des faisceaux de
cellules fusiformes, à un infiltrat inflammatoire mononuclé à prédominance
lymphocytaire avec des globules rouges extravasés prenant, une fois phagocytés,
l'aspect de globules hyalins. L'immuno-marquage HHV8 est positif.
2.3.3. Le diagnostic
différentiel se pose en Afrique entre la forme
épidémique liée au sida et la forme endémique, avec des lésions cutanées
florides ou infiltrantes. Chez l’enfant africain, le SK se caractérise par une
atteinte ganglionnaire, sans signe cutané, mais avec des atteintes viscérales
et une d’évolution rapidement disséminée et une survie brève (en 1 à 3 ans).
Le diagnostic
différentiel entre la forme épidémique et les autres formes repose sur la
recherche d’autres éléments cliniques en faveur du sida et sur la sérologie
VIH.
2.4. Traitement
2.4.1. Le traitement de la
Maladie de Kaposi liée au sida repose d’abord et essentiellement sur le
traitement antirétroviral qui a considérablement modifié le
pronostic de la Maladie de Kaposi.
2.4.2. Le traitement
spécifique de la Maladie de Kaposi repose sur des moyens locaux et
généraux :
- locaux : chirurgie sur lésions
limitées, peu nombreuse, permettant l'examen histologique; cryothérapie à
l'azote liquide; cryochirurgie au protoxyde d'azote; radiothérapie à doses
fractionnées; chimiothérapie locale à la vinblastine;
-
généraux : monothérapie par
blèomycine; vincristine, épirubicine, étoposide, surtout anthracyclines
liposomiales et taxones qui tendent désormais à remplacer la polychimiothérapie
de type ABV (adriamycine+bléomycine+vinvcristine)
2.4.3.
Les indications
- si les lésions cutanées sont peu
étendues, le traitement est local,
- si les lésions cutanées sont étendues
et les lésions viscérales peu évolutives, le traitement repose sur une mono
chimiothérapie par bléomycine, 5 mg x 3 IM/14 j.
- si les lésions cutanées sont
oedématiés et les lésions viscérales graves, il repose classiquement sur une
poly chimiothérapie associant adriamycine, bléomycine, vincristine, mais avec
le risque d’infections opportunistes et une toxicité hématologique. La réalisation
d’une chimiothérapie systémique n’allonge pas la survie. Ces traitements sont
difficiles à appliquer dans les PED. Un traitement non agressif par
monothérapie est préférable devant ce processus prolifératif et non tumoral.
En pratique, le traitement de la
Maladie de Kaposi est le traitement par les antirétroviraux.
Références :
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Hladik W. et coll. Transmission of human herpesvirus 8
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Morand J.J.,
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