N° 15. Mars 2009
La lettre d’information n° 15 est consacrée aux « Actualités en
Médecine tropicale dans les pays de l'Océan indien »; à la suite de la
séance d'Enseignement Post-Universitaire (EPU) qui s'est tenue au Centre
Hospitalier Régional de Saint Denis de La Réunion le 12 mars 2009.
L'objectif
est d'apporter au lecteur des informations épidémiologiques, thérapeutiques et
prophylactiques qui lui permettent d'adapter sa pratique aux données les plus
récentes de la littérature, dans le cadre géographique limité aux pays de
l'Océan indien. Une relecture des cours sur les maladies tropicales qui font
l'objet de cette lettre d'information est conseillée (http://www.medecinetropicale.com)
1) Le paludisme
Une cinquième espèce de
plasmodium chez l'homme : Plasmodium
knowlesi
Jusqu'ici responsable du paludisme simien, P. knowlesi est
depuis 2004, responsable à Bornéo d’infections humaines de type fièvre quarte
attribuées jusqu'alors à P.
malariae. Puis, des cas de paludisme
à P. knowlesi ont
été signalés en Malaisie, aux Philippines et à Singapour en 2008. Quatre décès
ont été rapportés aux Philippines. Le risque est de confondre P. malariae, espèce
bénigne et P. knowlesi, espèce potentiellement maligne, qu'il faut traiter comme P. falciparum.
Le paludisme à Plasmodium
vivax : pas si anodin
P. vivax est
classiquement l'agent d'un paludisme bénin. En fait, il est négligé, mais pas
bénin, et ceci pour deux raisons :
- des formes graves avec décès de paludisme à P. vivax ont été
rapportées en 2005 en Inde (Rajasthan)
- des souches de P. vivax résistantes à la chloroquine ont été décelées dès 1989 en
Papouasie-Nouvelle Guinée puis dans d'autres pays (Myanmar).
Le paludisme à P.
falciparum : le réduire à
défaut de l'anéantir
Pour l'OMS, il ne s'agit plus d'attendre un vaccin qui
« réglerait » le problème du paludisme à P. falciparum, mais
simplement de faire un vaccin ayant une efficacité partielle, et qui ne serait
qu'une composante, avec les moustiquaires imprégnées et les dérivés de
l'artémisinine, de la lutte contre le paludisme. Le vaccin antisporozoïte
RTS,S, visant une phase pré-érythrocytaire du paludisme à P. falciparum. peut
jouer ce rôle. Il est en phase III, le taux d'efficacité globale est de 50%, il
est bien toléré (Mozambique; Tanzanie).
2) La filariose lymphatique à Wuchereria bancrofti
De « nouveaux » moyens de diagnostic sont à notre
disposition dans la filariose lymphatique à W. bancrofti : la mise en évidence des macrofilaires par échographie scrotale,
la mise en évidence dans le sang d'un antigène spécifique de W. bancrofti par
l'anticorps monoclonal OG4C3, la détection par PCR de W. bancrofti dans le
sang et le suivi de l'infection après traitement.
Quelle est la place d'un macrofilaricide, la doxycycline, dans le
traitement de la filariose lymphatique ?
Les bactéries Wolbachia sont des endosymbiomes nécessaires au développement des stades
larvaires et à la fertilité des filaires adultes. Une étude en double aveugle,
versus placebo, a été réalisée en Tanzanie avec une prise de 200 mg/j de
doxycycline pendant 8 semaines. Au bout de 5 mois, la microfilarémie moyenne
était tombée à 5 mf/ml dans le groupe doxycycline contre 21 mf/ml dans le
groupe placebo. Les échographies scrotales montraient 22% de patients du groupe
doxycycline avec des filaires adultes contre 89% dans le groupe placebo. Le
traitement par doxycycline, associé à un antifilarien, permet d'envisager un
meilleur contrôle de l'endémie de la filariose lymphatique
Avec les progrès diagnostiques et thérapeutiques, l'OMS envisage
l'élimination de la filariose lymphatique. Les campagnes de masse
(administration massive de 2 des 3 microfilaricides : DEC, albendazole,
ivermectine) donnent de bons résultats, mais nécessitent des moyens humains et
matériels au long cours. L'OMS propose de fournir aux populations des zones
d'endémie du sel enrichi en DEC, sur le même modèle que celui contre le crétinisme
avec le sel enrichi en iode. Cette stratégie est efficace (Inde, Tanzanie). Un
des avantages est de faire disparaître les effets nocifs de la DEC en
comprimés. Le sel étant largement employé dans l'alimentation, c'est une
méthode peu coûteuse.
3) Les leishmanioses
La leishmaniose viscérale
L'extension de l'épidémie de VIH/Sida provoque l'émergence, plus
tardive qu'en Europe, de la co-infection VIH/leishmaniose viscérale (Inde,
Népal, Afrique de l'est). L'homme étant la seule source d'infection, la présence
et l'abondance des leishmanies dans le sang périphérique de l'homme co-infecté
accroit le risque de transmission par le vecteur.
Le diagnostic de la leishmaniose viscérale est apporté par la
parasitologie : présence de leishmanies dans la moelle, dans le sang (en
particulier en cas de co-infection), voire dans la rate. Le test
d'agglutination directe et l'ELISA ont une excellente sensibilité et
spécificité et le diagnostic sérologique est supérieur au diagnostic
parasitologique par ponction splénique. La PCR, réalisée sur prélèvement de
sang ou de moelle osseuse, est supérieure à l'examen parasitologique par
ponction médullaire et à la sérologie. La sérologie peut être faussement
positive pour le VIH, d'où la nécessité d'un Western blot. Sur le terrain,
c'est le test sur bandelette qui est l'examen le plus facile à réaliser et
comparativement, le plus performant chez les sujets VIH négatifs (Inde, Népal,
Soudan).
Quels traitements en 2008 dans la LV?
Il y a une résistance accrue aux antimoniés (Inde). L'amphotéricine
B et sa forme liposomale sont efficaces. La miltefosine (Impavido®), médicament
oral, a été évalué sur le terrain en Inde : le taux de guérison est de 82% à
six mois, elle est assez bien tolérée (troubles digestifs), il y a un risque
tératogène. La paromomycine (aminoglycoside) injectable, non disponible en
Europe, a été comparée à l'amphotéricine B : l'efficacité est comparable
(essais en phase III).
La leishmaniose cutanée
Le diagnostic de certitude est apporté par la mise en évidence de
parasites (frottis, biopsie). Le Western blot avant la biopsie permet, du fait
de sa bonne valeur prédictive négative, d'exclure le diagnostic de LC et
d'éviter les prélèvements inutiles notamment chez l'enfant. Il en est de même,
et c'est plus facile à réaliser, du test sur bandelette.
Quelles sont les alternatives thérapeutiques proposées dans la LC
de l'Ancien monde aux traitements
injectables? Le fluconazole oral a été comparé avec un placebo, le taux
de guérison est de 44%, identique au taux sous placebo. La miltefosine orale a
été comparée à un sel d'antimoine pentavalent (SbV), le taux de guérison avec
la miltefosine est de 83% versus 57% avec le SbV. L'azithromycine
orale a été comparée à un SbV : il a été noté l'absence de réponse chez
62% des patients. En pratique, ce sont les topiques à base de paromomycine qui
devraient permettre une simplification de la prise en charge de la LC de
l'Ancien Monde (essais comparatifs à poursuivre).
4) La neurocysticercose
L'examen de première intention pour le diagnostic de la
neurocysticercose est le scanner cérébral suivi d'une sérologie dans le sang
et/ou le LCR (ELISA et EITB). Le malade qui consulte pour des crises
d'épilepsie présente le plus souvent au scanner un ou plusieurs kystes au stade
vésiculaire colloïdal, avec dégénérescence du kyste marquée par une réaction
inflammatoire (œdème péri lésionnel) et une rehaussement de la paroi du kyste
après injection IV de contraste.
Le traitement repose sur une cure d'albendazole ou de
praziquantel, l'albendazole étant préféré car plus actif. Les malades
bénéficient-ils d'un traitement par l'albendazole ? Une méta-analyse de 11
essais suggère qu'il y a probablement un léger avantage pour les patients qui
ont des lésions actives, mais aucun avantage pour ceux qui ont seulement des
lésions mortes ou inactives.
Deux essais récents remettent en cause l'efficacité de
l'albendazole : un essai comparant albendazole+antiépileptiques aux
antiépileptiques seuls a conclu à une supériorité des antiépileptiques seuls;
un essai comparant albendazole+prednisone à la prednisone seule ne montre qu'un
avantage modeste de l'albendazole en terme de réduction des kystes actifs.
5) La mélioïdose
La mélioïdose a été reconnue après le tsunami de décembre 2004
tant chez les autochtones (Thaïlande, Indonésie) que chez les touristes, ce qui
était prévisible compte-tenu de son épidémiologie. Une meilleure connaissance
de la lésion cutanée primaire (chancre d’inoculation) en a résulté La PCR
permet un diagnostic rapide indispensable à une prise en charge immédiate,
toujours difficile. Quel est l’avenir de sujets infectés asymptomatiques,
compte-tenu des récurrences imprévisibles à distance ?
6) Les arboviroses
Les épidémies de dengue sont plus importantes, plus fréquentes, la
transmission est endémique avec circulation des 4 sérotypes, le pourcentage des
formes sévères augmente, la maladie « gagne »
l’Afrique : épidémie de dengue 3 en Côte d’Ivoire en 2008. On voit
donc l'intérêt d'un vaccin. Des progrès importants sont en cours dans le
développement d'un vaccin atténué tétravalent entraînant une séroconversion
dans 100% des cas avec 2 doses, une immunisation en 2 à 3 semaines après la
vaccination, des effets secondaires mineures.
L'épidémie de Chikungunya est en extension vers l'est. C'est
l'heure des bilans dans les îles de l'Océan indien et de l’étude des douleurs
articulaires résiduelles
L'Encéphalite Japonaise s'étend vers l'ouest (Inde du sud). La vaccination est indispensable pour la
prévenir. Le vaccin Jevax® n'est plus fabriqué. Les vaccins élaborés en Asie ne
sont pas disponibles. Pour remplacer le Jévax®, un vaccin inactivé préparé sur
cellules Vero, le vaccin IC-51, est en phase III.
La Fièvre de la Vallée du Rift s'est « réveillée » en
2007 en Afrique de l'est et a atteint la Grande Comore. Un cas a été évacué sur
Mayotte. Une étude de la circulation du virus dans la population générale de
Mayotte a montré que 4,5% des sérums étaient positifs. Le risque d'introduction
encouru par Mayotte vis-à-vis des arbovirus circulants en Afrique de l'est est certain
(Chikungunya en 2005, FVR en 2007). Une épidémie de FVR sévit à Madagascar
depuis janvier 2008. C'est le réveil d'une arbovirose connue chez le bétail
depuis 1990.
Quel est le risque de survenue d'une épidémie d'infection virale,
arbovirale ou non, dans l'Océan indien en 2009? Compte tenu du nombre de virus
circulants en Afrique de l'est, en Asie, en Océanie, ce risque existe. On
retient parmi les arbovirus, le virus Zika
et parmi les hépinavirus, le virus Nipah. Ces virus ont déjà
été cause d'épidémies en Inde.
7) L'hépatite à virus E (HVE)
Le VHE est le principal agent des hépatites aiguës en zone
tropicale (inde, Népal). Il y a une grande fréquence des formes fulminantes de
l'HVE chez les femmes enceintes avec une mortalité de 20% au troisième trimestre
de la grossesse. Un vaccin contre l'HVE est en phase III. Il a une efficacité
de 95% avec trois doses. Il a été testé chez des hommes. On ne connait pas
actuellement son efficacité et sa tolérance chez les femmes enceintes.
21/03/2009
Professeur Pierre Aubry
http://www.medecinetropicale.com