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Lettre d’information

La lettre d’information du diplôme et de la capacité de médecine tropicale des pays de l’océan indien.

N° 16. Juin 2009

 

 

La lettre d’information n°16 est consacrée au Rhumatisme Articulaire Aigu (RAA). Le RAA post streptococcique et les cardiopathies rhumatismales (CR) ont presque disparu dans les pays du nord où la Maladie de Kawasaki, autre pourvoyeuse des cardiopathies de l'enfant, a actuellement une incidence supérieure au RAA. Il n'en va pas de même dans les pays du sud où les CR demeurent fréquentes.

 

 

Quelques chiffres

 

On estime à 470 000 le nombre annuel de nouveaux cas de RAA et à 15,6 millions le nombre de personnes porteuses de CR dans le monde, vivant principalement dans les régions d'endémie que sont l'Afrique, l'Asie du sud-est et la zone Asie-Pacifique. Les CR expliquent au moins le tiers des cas d'insuffisance cardiaque chez les enfants et les adultes jeunes. Environ 233 000 décès seraient directement liés aux CR chaque année. Mais ces chiffres sont probablement sous-estimés, car ils s'appuient dans la plupart des cas sur des enquêtes cliniques et non sur une évaluation échocardiographique plus précise pour le diagnostic d'une CR. Une étude de dépistage par échocardiographie menée au Mozambique a permis d'identifier 10 à 15 fois plus de sujets porteurs de CR : taux de prévalence clinique de 2,3 pour 1 000 versus taux de prévalence échocardiographique de 30,4 pour 1 000.

Ces chiffres montrent l'importance d'une bonne connaissance des CR qui restent fréquentes et graves dans de nombreux pays du sud, alors que la prévention du RAA est facile, sûre et peu coûteuse.

 

Le Rhumatisme Articulaire Aigu

 

1- Pathogénie

Le RAA résulte d'une interaction entre l'hôte, le streptocoque β hémolytique du groupe A (SABH) et l'environnement. Les atteintes articulaires et cardiaques résultent d'une analogie de structure entre le SABH et ces tissus. A côté des facteurs socio-économiques évidents (le RAA est une maladie de la pauvreté, de la mauvaise hygiène et de l'habitat surpeuplé), une prédisposition génétique de l'hôte, le rôle de souches « rhumatogènes » plus virulentes du SABH ont été évoqués, mais en pratique, les facteurs intervenant dans la pathogénie du RAA sont mal connus.

 

2- Aspects cliniques

L'angine à SABH est la maladie initiale. Seul le SABH est susceptible de s'accompagner à l' occasion d'une angine du développement du RAA. La présentation clinique d'une poussée de RAA n'a pas changé au cours des décennies et les critères de Jones établis dans les années 1940 et réactualisés en 1965 avec l'introduction d'une preuve streptococcique, sont toujours valables (Tableau I).

Le RAA s'observe essentiellement entre 4 et 15 ans, frappant les enfants de milieux défavorisés. De 15 à 20 jours après une angine non traitée apparaît une polyarthrite fébrile qui est le signe d'appel initial. Les polyarthralgies sont toujours associées, à un moment ou à un autre, à des arthrites. Les grosses articulations sont touchées : genoux, chevilles, coudes, poignets. Le caractère migratoire est  net.

La cardite est d'apparition précoce, dans les trois semaines suivant le début. Elle est décelée par l'examen clinique et/ou par l'échographie cardiaque. Cet examen est essentiel quand le diagnostic de RAA est évoqué.

La cardite est une pancardite inflammatoire concernant les trois tuniques du cœur:

- l'atteinte endocardique se traduit par des souffles entendus à l'auscultation, traduisant une atteinte mitrale isolée ou mixte, mitrale et aortique,

- l'atteinte myocardique se traduit par un assourdissement des bruits du cœur, une tachycardie, un allongement de l’espace PR, bon élément diagnostique dans une polyarthrite fébrile de l'enfant, à l'électrocardiogramme (ECG),

- l'attente péricardique, plus rare et souvent discrète, est évoquée sur les douleurs thoraciques accrues par l’inspiration profonde, confirmée par un gros cœur peu battant, un bas voltage et l’aplatissement des ondes T à l’ECG.

Les signes cutanés quasi-pathognomoniques, érythème marginé, nodules sous-cutanés, sont aussi classiques qu'exceptionnels. Une scarlatine est la preuve d'une infection streptococcique récente.

 

3- Critères biologiques

Les examens biologiques contribuent au diagnostic :

- recherche d'un syndrome inflammatoire : vitesse de sédimentation accélérée, augmentation de la CRP,

- prélèvement de gorge pour isolement du SABH par culture, qui reste la méthode de référence, mais le délai de réponse est long (24 à 48 heures), d'où l'intérêt des tests de diagnostic rapide, qui reposent sur la détection d'antigènes. En pratique, le prélèvement de gorge est rarement positif au stade rhumatismal.

- titrage des anticorps antistreptococciques : ASLO (supérieur à 500 unités Todd, antistreptokinases, antistreptodornase B.

L’atteinte poly-articulaire fébrile associée à une angine à streptococciques récente fait porter le diagnostic de rhumatisme articulaire aigu.

 

 Tableau I – Critères de Jones modifiés

 

Critères*

Majeurs

Mineurs

Cliniques

Cardite

Polyarthrite

Chorée**

Erythème marginé

Nodules sous cutanés

Fièvre supérieure ou égale à 39°C

Polyarthralgies

Poussées antérieures rhumatismale ou cardiaque

Paracliniques

 

Syndrome inflammatoire : élévation de la VSH et de la CRP

Allongement de l'espace PR à l'ECG

 

* Le RAA est très probable si 2 critères majeurs ou 1 critère majeur et 2 critères mineurs avec arguments en faveur d'une infection à SABH récente : culture positive ou test de diagnostic rapide des antigènes streptococciques positif, anticorps anti streptococciques élevés , scarlatine.

** La chorée survient 1 à 6 mois après une angine à streptocoques. Il faut rechercher les autres éléments de la maladie post streptococcique, notamment une polyarthrite et surtout une atteinte cardiaque.

 

4- L'évolution

Le retard au diagnostic  fait que le RAA se révèle habituellement dans les pays du sud par un tableau de cardite qui ne guérit le plus souvent qu’au prix de séquelles valvulaires dont l’importance fixe le pronostic à long terme. L’évolution dépend aussi des rechutes rhumatismales, de greffes bactériennes sur les valves cardiaques réalisant une endocardite infectieuse.

 

5- La prise en charge thérapeutique

Elle comporte :

- l’éradication du SABH : antibiothérapie par pénicilline G ou V. Soit, benzathine penicilline G intramusculaire (Extencilline®) 600 000 UI si poids < 30 kg, 1 200 000 UI si poids > 30 kg par jour pendant 10 jours, soit phénoxyméthylpénicilline per os (Oracilline®), 1 à 2 000 000 UI/j en 2 prises par jour pendant 10 jours. En cas d’allergie sévère à la pénicilline, le choix se porte sur les macrolides (érythromycine : 40 mg/kg /j),

- le traitement de la maladie inflammatoire : corticothérapie 2 mg/kg/j de prednisone en cas de cardite, sans dépasser 80 mg chez l’enfant (Cortancyl 5 ou 20 mg®) à prendre au cours des repas, pendant 2 semaines, avec dégression progressive d’environ 5 mg tous les 3 jours, la durée totale de la corticothérapie étant de 8 à 14 semaines, puis relais par acide acétylsalicylique, 75 mg/kg/j pendant 6 semaines.

- la prévention des rechutes : prophylaxie antibiotique par Extencilline®, 600 000 UI si poids < 30 kg ou 1 200 000 UI si poids > 30kg, tous les 15 jours pendant 5 ans en l’absence d’endocardite ou toute la vie en cas de cardite ou par Oracilline® per os  (500 000 à 1 000 000 UI, 2 fois par jour).

Une prévention de l’endocardite infectieuse doit être réalisée par l’éradication des foyers infectieux amygdalien, dentaire et rhino-pharyngé.

 

6- La prévention

La prévention du RAA repose sur le diagnostic et le traitement de l'angine streptococcique :

- les tests de diagnostic rapide  font la différence entre une angine virale et une angine à SABH. Ils sont  réalisés à partir d'un prélèvement de gorge par le médecin traitant, le résultat est obtenu 2 mn après. Ils ont une sensibilité et une spécificité voisines de 96%.

- le traitement repose sur la phénoxyméthylpénicilline V, traitement de référence, à la dose de 50 000 UI/kg/j chez l'enfant et de 1 000 000 UI chez l'adulte trois fois par jour . La durée du traitement est de 10 jours.

 

Le RAA reste une maladie d’actualité en raison de sa persistance dans les pays du sud avec une haute fréquence d’atteintes cardiaques : c’est un problème de santé publique. Une poussée de RAA est une urgence thérapeutique.

 

Références

 

Olivier C. Le rhumatisme articulaire aigu chez l’enfant aujourd’hui. Presse Med., 1998, 27, 1159-1167.

 

David L. Le rhumatisme articulaire aigu-diagnostic et traitemlent. Arch. Pédiatr., 1998, 5, 681-686.

 

Bonnet E., Gandois J.M., Marchou B. Infections à streptocoques. Encycl. Med. Chir., Paris, Maladies infectieuses, 8-009-A-10, 2002, 29 p.

Marijon E., Ou P; Celermajer D.S. et coll. Prevalence of rhumatic heart disease detected par echocardiographic screening. N. Engl. J. Med., 2007, 237, 470-476.

 

Fourcade L. Cardiopathies rhumatismales dans les pays en développement : où en sommes nous? Med. Trop., 2008, 68, 660.

 

Professeur Pierre Aubry. Texte rédigé le 20/06/2009.