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Lettre d’information

 

La lettre d’information du diplôme et de la capacité de médecine tropicale des pays de l’océan indien.

N° 18 - décembre 2009

 

La lettre d'information n°18 est consacrée aux Intoxications par les animaux marins en zones tropicales.

 

Position du problème

Environ dix groupes de biotoxines ont été identifiés chez les animaux marins, elles comptent parmi les substances les plus dangereuses produites sur la planète par des organismes vivants. En effet, elles sont toxiques à partir d'une quantité de l'ordre de la nanomole et provoquent des symptômes dans un intervalle de temps qui va de la minute à quelques heures, en agissant le plus souvent sur les cellules nerveuses.

A l'exception du scrombrotoxisme qui est une intoxication par formation d'histamine dans la chair de poissons bleus, et du tétrodotoxisme qui est dû à des bactéries produisant la tétrodotoxine, les biotoxines marines sont des phycotoxines, produites naturellement par les algues unicellulaires du phytoplancton. Les espèces marines productrices de phycotoxines susceptibles de se retrouver dans des animaux marins consommés par l'homme sont limitées à deux classes de micro-algues :

·       les dinophycées dont le nom courant est dinoflagellés;

·       les diatomophycées dont le nom courant est diatomées.

Les dinoflagellés sont des micro-algues mobiles définies par leurs deux flagelles, les diatomées sont des algues unicellulaires dépourvues de flagelle.

L'intoxication la plus fréquente est la ciguatera, ichtyosarcotoxisme spécifique des écosystèmes coralliens, dû à une intoxication alimentaire par la chair de poissons de récifs tropicaux et subtropicaux, lié à la production de ciguatoxines par un dinoflagéllé. La ciguatera est bien connue des médecins tropicalistes et ne sera pas étudiée ici.

Si les autres intoxications sont plus rares, elles doivent être connues des médecins exercent sous les tropiques, qu'il s’agisse de l'ichthyoalléinotoxisme dû à des poissons herbivores hallucinogènes, le clupèotoxisme dû à l'ingestion de sardines tropicales, la palytoxicose due à l'ingestion de crabes contaminés par les palytoxines, le carchatoxisme dû à l'intoxication par des grands requins, et le chélonitoxisme qui est l'intoxication par la chair de tortues marines.

Quant aux intoxications par les fruits de mer; elles sont cosmopolites, voire limitées à l'hémisphère nord et ne sont que signalées ici.

 

1- Le scombrotoxisme

Le scombrotoxisme est l'intoxication par les poissons qui est la plus fréquente au monde. Elle est due à la consommation de poissons du large : thons, bonites, maquereaux, de la famille des scombridés; qui sont consommés en grandes quantités sur tous les continents. Il s'agit d'une intoxication de nature chimique.

La chair de ces poissons a un aspect rouge évoquant la viande, d'où le nom de poissons bleus. Lorsque les méthodes de conservation sont défectueuses, la chair se charge en quelques heures de grandes quantités d'histidine. L'histidine est transformée en histamine par l'action de bactéries qui se développent à la chaleur et au soleil. L'ingestion de ces poissons bleus peut alors entraîner des signes évoquant une allergie aiguë dont les signes sont immédiats. Il ne s'agit cependant pas à proprement parler d'une allergie, mais d'une toxicité directe due à la chair riche en histamine. Le diagnostic différentiel avec une réaction allergique qui touche habituellement un seul individu, est facile en raison du caractère collectif des signes.

Après ingestion de quelques bouchées de poisson, apparaissent dans un délai de dix minutes à trois heures, par ordre de fréquence décroissante : bouffées de chaleur et de rougeur, vasodilatation, céphalées, tachycardie, malaise, urticaire, prurit, vomissements, hypotension artérielle, nausées.

Le traitement repose sur les antihistaminiques d'efficacité quasi constante en quelques heures, par exemple la diphénhydramine.

 

2- Le tétrodotoxisme

Le tétrodotoxisme est dû à la consommation de tétrodons ou fugu (poisson lune, poisson globe, poisson ballon) ou de diodons (poisson porc-épic).

La zone d'intoxication par la tétrodotoxine est classiquement située au Japon, à Hong Kong et en Océanie. Des  des épisodes ont également été rapportés au Maroc, en Malaisie, en Californie, à La Réunion et à Madagascar (Ile de Nosy Bé). Depuis quelques décennies, le fugu colonise la Méditerranée orientale.

La tétrodotoxine est une neurotoxine puissante produite par des bactéries (vibrions, pseudomonas). Chez le poisson, la tétrodotoxine se concentre dans le foie, les viscères et les gonades. Les poissons femelles sont considérés comme plus toxiques que les mâles, puisqu'elles ont des concentrations élevées de toxines au niveau des ovaires. La tétradotoxine inhibe l'activité des canaux sodiques dans la phase ascendante du potentiel d'action. La tétrodotoxine est produite à partir de plusieurs bactéries, par une algue rouge. Ainsi, le fugu élevé en milieu artificiel ne produit pas de tétrodotoxine. Celle-ci est vraisemblablement digérée avec l'algue par les poissons qui l'accumulent ensuite. Le fugu y est lui-même résistant.

Les signes cliniques apparaissent dans la demi-heure qui suit le repas. Il y a quatre stades de gravité :

·       fourmillement de la bouche et des extrémités des membres, avec parfois diarrhées et vomissements;

·       incoordination motrice avec conservation des réflexes ostéo-tendineux;

·       survenue de troubles de la déglutition, d'une mydriase bilatérale;

·       survenue d'un coma.

Le diagnostic est basé sur la notion d'ingestion récente de tétrodons ou de diodons, les signes typiques à ce type d'intoxication et les résultats des investigations biologiques, notamment l'étude toxicologique (bio essai souris). Un gramme de tétrodotoxine peut tuer jusqu'à cinq cents personnes et 60 à 70% des personnes intoxiquées décèdent. Il n'existe aucun antidote. Le traitement repose sur les perfusions d'atropine et la ventilation assistée.

La prévention consiste à ne pas consommer des tétrodons ou de diodons.

 

3- L'ichthyoalléinotoxisme

Plusieurs espèces de poissons herbivores sont cause de syndromes hallucinatoires. Ce sont des poissons de récifs qui se nourrissent d'algues ou de débris organiques, comme les mulets, les rougets, les poissons-lapins, les saupes et certains poissons chirurgiens.

La majorité des cas a été rapportés dans l'océan Pacifique, mais des cas ont été rapportés dans l'océan Indien (Ile Maurice, Afrique du sud), en Méditerranée (dus à la saupe, boops salpa, Sarpa salpa), en mer Rouge avec extension à la Méditerranée (dus au poisson-lapin à queue tronquée,  rabbitfish, Siganus luridus).

Des toxines d'algues ingérées par ces poissons seraient à l'origine de l'ichthyalléinotoxisme, comme le suggère le fait que les poissons ne sont toxiques que durant quelques semaines ou mois.

Les signes sont neurologiques centraux avec des hallucinations visuelles et auditives. Les troubles digestifs sont modérés et peu fréquents. Il n'existe pas de traitement spécifique. Il faut minimiser et prévenir les comportements agressifs des personnes hallucinées pendant environ vingt-quatre heures.

 

4- Le clupéotoxisme

C'est une intoxication redoutable qui survient après l'ingestion de sardines, de harengs ou d'anchois des mers tropicales (océan Indien, océan Pacifique, Caraïbes). Les toxines en cause sont appelées clupéotoxines et sont vraisemblablement liées à des algues unicellulaires du plancton, car les poissons impliqués sont exclusivement planctonophages

L'intoxication se manifeste brutalement par un goût métallique dans la bouche, des troubles digestifs, une paralysie généralisée, une tachycardie, des convulsions et une asphyxie.

Des intoxications collectives par les sardines ont été rapportées à Madagascar en 1994, dues à la sardinelle dorée (goldstripe sardinella, Sardinella gibbosa).

Tout poisson ayant un goût métallique doit être immédiatement rejeté.

 

5- La palytoxicose

C'est une intoxication sévère après ingestion de crustacés de récifs coralliens (crabes tropicaux). Les toxines responsables appartiennent au groupe des palytoxines qui sont de puissants vasoconstricteurs. Elles ne sont pas secrétées par les crabes, mais par de petits animaux appelés zoanthides et sont accumulées dans certaines espèces de crabes. Le tableau clinique est caractérisé par une asthénie, une hypersudation, des vomissements et une diarrhée, puis des crampes musculaires, une bradycardie, une insuffisance rénale, des convulsions et une détresse respiratoire. Il n'existe pas d'antidote spécifique.

 

6- Le carchatoxisme

Il est dû à l'ingestion de chair de grands requins. Les signes sont proches de la ciguatera, mais les troubles cardiaques sont plus sévères (bradycardie, troubles du rythme, collapsus) et les risques de dépression respiratoire plus importants. Des intoxications collectives sont régulièrement décrites dans l'océan Indien, en particulier à Madagascar, et dans l'océan Pacifique. La mortalité est de 1%. Les toxines sont inconnues

 

7- Le chélonitoxisme

Il est dû à l'ingestion de chair de tortues marines (Chelonia mydas, tortue verte, green turtle). Plusieurs heures, voire plusieurs jours après un repas, surviennent des vomissements, une diarrhée, une déshydratation, une hypotension artérielle, des ulcérations de la bouche et de la langue. Les toxines en cause, dénommées chélonitoxines, n'ont pas encore été isolées. Le taux de mortalité est élevé (4 à 7,5%). Des décès ont été rapportés à Madagascar, en Inde, en Polynésie et au Sri Lanka.

 

8 - Intoxication par consommation de crabe de cocotier

Deux cas mortels d'intoxication par consommation de crabe de cocotier Birgus latro ont été récemment rapportés en Nouvelle Calédonie (Iles Loyautés). Les deux patients présentaient des symptômes gastro-intestinaux ainsi qu'une bradychardie importante avec collapsus cardiovasculaire suggérant une intoxication par des substances digitaliques.

La toxicité du crabe de cocotier est due à sa consommation de fausses mangues Cerbera manghas qui contiennent des toxines cardiaques (nériifoline). Le crabe de cocotier dont la chair parfumée est très appréciée ne serait que le transmetteur involontaire de cette toxine à l'homme. L'utilisation d'anticorps anti digitaliques pourrait constituer un traitement des formes sévères. Quelques cas avaient également été rapportés au Japon, en Polynésie française et en Inde.

 

Références

 

Pierre Aubry, Bernard-Alex Gaüzère. Splendeurs et dangers de la faune aquatique : Envenimations, intoxications, blessures, traitements. 160 pages. 2010, Editions Xavier Montauban. www.xmsa.fr

De Haro L. Intoxications par organismes aquatiques. Med. Trop., 2008, 68, 367-374.

C. Maillaud, S. Lefebvre, C. Sebat et al - Double lethal coconut crab (Birgus latroL.) poisoning. - Toxicon 2009. doi :10.1016/j.toxicon.2009.06.034.

 

 

La lettre d’information du diplôme et de la capacité de médecine tropicale des pays de l’Océan indien. n°18 décembre 2009. Pr. Pierre Aubry, 11 rue Pierre Loti, 64 500 Saint-Jean-de-Luz. aubry.pierre@wandoo.fr 

 

Professeur Pierre Aubry, Docteur Bernard-Alex Gaüzère. Texte rédigé le 28/12/2009.